Partie IV : les avant-bras

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« Les avant-bras, les bras en général suggèrent la force, le pouvoir, la protection, l'instrument de la justice. »

4.

Paris, 24 octobre 2009
Début des vacances de la Toussaint

Le Psaume chanté Miserere mei deus m'emporte dans des Temps révolus. Assise sur les bancs de la nef, je suis encerclée par une prouesse architecturale du XIIIème siècle. Des scènes bibliques s'étalant de la Genèse à l'Apocalypse m'entourent jusqu'à l'épicentre de la bâtisse où, face à moi, prône le vitrail de la Passion. La façade de La Sainte-Chapelle de Paris, ornée de vitraux colorés, projette une lumière quasi mystique à l'intérieur de l'église et ouvre les portes d'un chef-d'œuvre de l'architecture gothique. De quoi émerveiller les regards les plus dédaigneux. Aucun mot n'est assez descriptible pour évoquer l'immense fascination que j'éprouve, admirative devant ce remarquable édifice.

Mes yeux ne cessent de contempler chaque représentation de la Bible. La majestuosité du lieu est aussi tributaire des peintres verriers. Artisans émérites qui ont su dévoiler toute leur virtuosité à travers les siècles des cathédrales, dans les grands vitraux de la chapelle haute.

La Sainte-Chapelle était jadis destinée à abriter les plus précieuses reliques de la chrétienté, dont la Couronne d'épines du Christ, acquises par les Vénitiens puis rachetées par Saint-Louis. La possession de ces saints reliquats désigne le très puissant monarque comme le chef de la chrétienté occidentale. Aujourd'hui, ces reliques sont conservées à Notre-Dame de Paris.

L'écho des chants résonne et les dernières paroles de la chorale s'évanouissent :

« Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
Si j'offre un sacrifice, Tu n'en veux pas,
Tu n'acceptes pas d'holocauste.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un esprit brisé ;
Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
Accorde à Sion le bonheur, relève les murs de Jérusalem. »

Une larme m'échappe et ma gorge se noue. Brisée. Broyée.

Mon portable vibre, j'essuie mes yeux d'un bref revers de main et décide de ne pas décrocher.

Debout face au Christ, je le défie comme s'il avait été la cause de mes tourments. Dieu. Où était-il cette nuit où l'on m'a arraché ma virginité ?

Je tourne les talons en essayant de chasser ces réflexions néfastes et prends la sortie, tout de même satisfaite d'avoir visité un monument à analyser en cours cette semaine, puis plisse les yeux face à la luminosité en contraste avec celle plus lugubre connue des églises.

La Sainte-Chapelle se situe en plein cœur de l'Île de la Cité, dans le Quartier Latin, là où j'ai débuté mon cursus d'HIDA – Histoire de l'Art et d'Archéologie - à l'Université Panthéon-Sorbonne 1ère, il y a un mois. Je rêvais de pouvoir faire cours au Centre Michelet, l'Institut d'Art et d'Archéologie, réservé seulement aux dernières années de Licence et la Sorbonne-mère. Le lieu prestigieux de la Place du Panthéon se mérite ! L'impressionnante université insinue, par sa prestance, que seuls les plus ambitieux y ont leur place. Prestige que les femmes, avant la fin du Second Empire, n'y avaient aucun droit d'accès. Une école, jadis, où le clergé dirigeait les étudiants formatés pour faire carrière dans la théologie, le droit canonique ou la médecine. Au fil des siècles, l'école était devenue une Université.

Je dois me contenter de plusieurs sites, et surtout de celui de Tolbiac dans le 13ème arrondissement de Paris. Miteux et vieux, l'endroit est d'une pitoyable architecture et nous comparons souvent le site à une usine. Situé non loin de la Bibliothèque Nationale de France, sur le site Mitterrand, le bâtiment comporte environ vingt-trois étages, avec un étrange système d'ascenseur : le bouton vert dessert du cinquième au neuvième étage ; le jaune du neuvième au quatorzième, puis le rouge, pour ceux restants. Les ascenseurs ne sont pas très grands et nous nous retrouvons très vite serrés ou à attendre de longues minutes à nous bousculer comme si notre temps de vie était compté. L'image que je m'étais faite de la Sorbonne s'écroulait comme un château de cartes.

J'ai le droit de mettre les pieds à la Sorbonne-mère seulement pour le latin, quand la salle ne change pas d'une semaine à l'autre. En revanche, lorsque je m'y rends, j'avoue sortir mes plus beaux habits afin de me fondre dans le décor. Encore une fois, mon image compte auprès des autres. Chercher à se démarquer m'effraie. Donc, j'évite les jeans troués et les baskets blanches trop vite grisées, tout comme les boucles d'oreilles de pacotilles, achetées au marché de Belle-Île-en-Mer. En soi, j'ai honte de ce que je suis, provinciale face à tous ces parisiens qui en savent sûrement plus que moi sur l'art, la culture, l'histoire et la vie urbaine. Et j'ai honte d'avoir honte.

Pourtant, malgré ce manque de confiance en moi, je remarque aussi que la plupart des étudiants de première année abandonnent les cours, seulement un mois après le début de l'année scolaire. En vérité, comme toute l'organisation et l'administration française, il n'y a rien de logique dans tout cette pagaille de sites éparpillées aux quatre coins de la capitale. Et pour ces étudiants, la pression semble trop grande, et les voyages entre sites peuvent rapidement faire baisser les bras. Ce n'est pas mon cas : je suis plus motivée que jamais.

Le planning des matières à étudier, au cours du premier semestre, m'a été révélé quelques jours avant la rentrée. En archéologie, nous abordons l'introduction sur la Préhistoire et l'initiation à l'archéologie antique grecque et romaine. En Histoire de l'Art, les enseignements portent sur les périodes préhistoriques, antiques, médiévales, modernes et contemporaines. Je dois pratiquer l'anglais et l'italien, puis une langue morte, le latin, obligatoire tout comme l'informatique. Ma matière préférée reste l'iconographie, une discipline où l'on apprend à reconnaître les motifs et symboles récurrents dans les arts.

Grâce à ce planning semestriel, j'ai le nez dans mes cours du matin au soir et je n'ai en aucun cas besoin de me sociabiliser avec qui que ce soit. D'ailleurs, aucun étudiant n'a le temps de faire connaissance, hormis peut-être ceux qui suivent les mêmes cours. Et ça n'est pas moi qui vais rechigner, cela me convient.

Si je suis ici, à la Sainte-Chapelle, c'est grâce à Madame Cigliano, Professeure d'histoire de l'art médiéval. Une femme au petit gabarit qui a su nous appâter avec finesse. Elle nous a exposé quelques topos sur notre semestre et a su attiser ma curiosité pour un sujet sur lequel je ne m'étais jamais penché : l'Art.

À l'exception de la peinture sur toile, j'ignorais encore ce qu'englobait ce mot. Nous traitons sur : l'architecture, la sculpture, les vitraux, la poterie, les mosaïques, les fresques dont d'innombrables mouvements artistiques majeurs ont traversé les siècles tels que l'art préchrétien, byzantin, celtique, roman, cistercien, gothique ou encore islamique. Une discipline fabuleuse.

Tandis que je gagne le Boulevard du Palais, la vibration de mon portable me sort de ma torpeur. En bout de ligne, Camille Durand, la fille d'un commissaire-priseur du 16ème. La seule avec laquelle j'ai pu sympathiser, du fait d'un courant immédiat entre nous. Je l'ai rencontrée lors du premier cours de M. Mollet, Professeur d'archéologie antique, dont la voix, assurée et très masculine, ne coïncide pas du tout avec son physique. Un bonhomme à l'aspect chétif, au regard surplombé d'un mono sourcil. Un mou du genou, en prime.

Quatre fois qu'elle tente de me joindre. Qu'a-t-elle à insister à m'appeler ?

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