Le réveil du dieu de la guerre : III

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Je laissai Círdan à son travail et allais retrouver Ren au lieu de détente où je m'étais rendue avec les petits en sortant de l’audience avec Edegil. Il était affalé dans un sofa avec Elbereth et Dea, en train de siroter du gwidth et d’inhaler une espèce de buée bleue sortant d’un tube. Je me faufilai entre les clients et pris place à mon tour sur un canapé, à côté de mon compagnon.

— Eh bien, tu passes du bon temps !

— Je m’entraîne pour la croisière, me répondit Ren en faisant signe au sluagh de service, qui posa d’office un verre de gwidth devant moi.

— J’espère que tu n’en profites pas pour regarder les belles ellith en petite tenue qui circulent devant nous !

Ren me jeta un regard blasé.

— C’est du même niveau que si je t’avais reproché de regarder les aios nus à la cérémonie de ce matin, répliqua-t-il d’un air digne. Alors je ne dirai rien.

— Je plaisantais, fis-je en le poussant du coude.

Puis, me tournant vers Dea et Elbereth :

— C’est rare de vous voir quitter le cair.

— On avait envie de voir à quoi ressemblait le Ráith Mebd, répondit Dea.

— Tu avais envie, précisa Elbereth. Pour ma part, je déteste monter dans le cair des autres.

Cela me paraissait compréhensible. Après tout, ces vaisseaux étaient constitués des corps morts des êtres de son espèce…

— Où sont les enfants ? demandai-je.

— Avec Śimrod et Isolda.

— Qui sont ?

— Partis faire des achats.

Je cherchai le regard de Ren. Je ne lui avais toujours pas parlé du problème posé par ces deux-là.

— C’est bizarre que ton père apprécie autant les gosses, tentai-je. Je n’aurais jamais cru !

Ren fit cligner ses paupières nictitantes, puis son regard aigu fusa sur moi.

— Moi non plus, avoua-t-il.

Je me penchais vers lui.

— Tu crois que c’est à cause des petits perædhil qu’il a perdu autrefois ?

— Quels petits perædhil ?

Je soupirai.

— Ah oui, c’est vrai que tu as oublié tout ça...

Je me sentis soudain découragée. Il y avait des choses que j’allais devoir reprendre à zéro, dont cette discussion.

— Au fait, tu as vu Mana, depuis son arrivée sur le vaisseau ?

— Vite fait, entre deux portes. Mais on ne s’est pas dit grand-chose.

— Est-ce qu’elle est au courant, pour…?

— Oui.

De nouveau, je me tus. Ren tendit la main pour attraper une gorgée de gwidth. Je l’imitai, puis reposai ma coupe.

— As-tu réussi à parler à Uriel ? chuchotai-je à nouveau.

— C’est en allant chez lui que j’ai vu Mana.

— Et alors ?

— Alors, il s’est excusé.

Je penchai la tête, dubitative. Uriel qui s’excuse… Ren se tourna vers moi.

— Il viendra te voir avant le départ, m’apprit-il. Pour te présenter ses excuses. Si tu acceptes de le recevoir, bien sûr.

J’ignorai ce qu’avait bien pu lui raconter Ren, mais ce qui était sûr, c’est qu’Uriel avait quelque peu changé depuis son attaque par Shemehaz. Il était moins imbu de lui-même. Ou était-ce le fait d’être tombé amoureux, de la sœur de Ren, en plus ?

— J’ai hâte de partir, continua mon époux. J’ai vu Edegil aujourd’hui, entre la cérémonie et Uriel… Je lui ai dit que j’allais partir, et il m’a demandé, si je le pouvais, d’aller prévenir les humains que deux essaims parasites se préparaient à entrer dans leur espace orbital.

Je regardais Ren, effarée.

— Il a osé te demander ça ?

Ren hocha la tête.

— Un certain nombre de colonies humaines se trouve sur leurs trajectoires, et des millions de gens mourront bêtement si on ne leur dit rien. Edegil voit les choses avec au moins un quart de lunaison blanche d’avance. En temps solarien, cela doit faire quelques mois… Peut-être trois. Cela nous laisse le loisir d’arriver, de trouver un moyen de prévenir les instances responsables, puis celui, pour eux, de s’organiser. Tu m’as dit que les adannath avaient une unité spécialement affectée au nettoyage homoncule, et je sais que leur armée est forte… Je dois aussi te dire que la guilde de Syandel a proposé de nous aider dans cette quête, et ils disent qu’ils sont même prêts à offrir un soutien militaire aux humains si besoin. Edegil est d’accord avec ça. Plus on sera nombreux, coordonnés et efficaces, mieux ce sera.

Je réfléchis rapidement.

— Au vu de nos expériences passées, je ne sais pas si c’est une bonne idée, Ren, murmurai-je. Je ne suis même pas sûre que les humains accepteront d’écouter des ældiens. Dès qu’ils te verront arriver, ils t’arrêteront pour terrorisme.

— Ce n’est pas celui qu’ils appellent Tiger Sibricher qu’ils verront, mais trois ou quatre agents ædhil anonymes et parfaitement insaisissables, infiltrés dans leur centre de commandement. Personnellement, mon plan est de m’introduire dans la chambre à coucher du gouverneur du système de Nuniel et de le tirer du lit. On lui montrera la projection holo du rêve qu’à eu Edegil et on le laissera gamberger là-dessus. Je sais que les tiens reconnaissent les qualités psychiques de ceux de notre race.

— Ils savent aussi que vous êtes des maîtres ès illusions, précisai-je. C’est même votre caractéristique principale, aux yeux de l’Holos.

— Tant pis pour eux, alors. Tant pis pour les millions de colons et civils innocents qui mourront bêtement à cause de l’aveuglement de quelques dirigeants… Moi, je ne peux me résigner à ne pas tenter le minimum pour leur éviter une mort aussi absurde qu’horrible. Et je sais que tu seras d’accord avec moi, Rika.

Je me serrai contre lui. Il avait raison.

Elbereth se tourna alors vers nous.

— Voilà ce que j’ai trouvé dans les caisses de revues cochonnes de Louis Wu, fit-elle en jetant un magazine devant nous. Jettes-y un œil, Alfirin.

La couverture représentait des scènes qui firent ouvrir de grands yeux choqués à un ældien à l’air guindé assis non loin, mais cela n’arrêta pas Ren, qui prit le magazine entre ses longs doigts et commença à le feuilleter. Au milieu, entre deux étalages de chair artificielle, il trouva un encart publicitaire holographique qu’il arracha et posa sur la table, avant de rejeter le magazine sur le côté.

C’était une publicité pour une croisière spatiale ayant pour thème les mondes perdus de l’empire d’Ultar, et dont le point culminant était la planète Nuniel. L’argumentaire mettait en avant le fait que cette croisière était fréquentée par le gouverneur du système et sa femme une fois par révolution solaire…

— Eh bien, voilà la preuve que même Amarrigan nous pousse à entreprendre cette quête, sourit Ren. Et il n’est jamais bon de refuser les injonctions de la Tisseuse des fils du destin !

Visiblement, Ren avait pris sa décision. Très content de lui, il vida son verre de gwidth. Au moment où il se levait pour aller payer, l’ældien guindé à côté de lui désigna de son long doigt élégant le magazine cochon.

— Oh là messire, vous n’en voulez plus ?

Ren secoua la tête, répondant par la négative. Sous le regard dubitatif d’Elbereth et de Dea, l’ældien inconnu jeta un œil prudent autour de lui. Puis, constatant qu’il n’attirait l’attention de personne, il reposa les yeux sur Ren.

— Est-ce que je peux… ? hésita-t-il.

— Allez-y, répondit Ren, généreux. Il est à vous.

Souriant d’un air innocent, il ajouta ceci :

— J’en ai plein d’autres du même acabit sur mon cair.

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