Un monde merveilleux : IV

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— Voilà, c’est ici qu’on peut consulter la mémoire de Mebd, m’apprit Naradryan en me montrant un glyphe gravé qui scintillait sur un arbre.

Je m’en approchai, dubitative. Comme toute la technologie ældienne, la « machine », si on pouvait appeler cela ainsi, fonctionnait sur la base d’un échange énergétique entre ses composants, dont j’ignorais la nature, et un organe solénoïde.

— Tu peux t’y connecter ? demandai-je à Naradryan, avouant mon impuissance.

— Bien sûr, me répondit-il, avant d’ôter son cristal de son cou et de le poser sur le glyphe.

Aussitôt, une carte du vaisseau en trois dimensions apparut devant nos yeux, comme sur la console de navigation des cír ældiens.

— Qui cherches-tu ?

— Mon époux, Ar-waën Elaig Silivren. Tu ne peux pas le rater, c’est un sil-illythiiri, un ædhel à la peau noire et à la robe blanche.

— Un khari ? fit pensivement le petit, concentré. Ah ! Je l’ai trouvé !

Le cœur battant la chamade, je me rapprochai de la console, imitée par mes enfants qui sautaient, bras en l’air, en hurlant de joie.

— Où est-il ? demandai-je, fébrile. Je ne le vois pas sur la carte.

— Il est à la Cascade des Chagrins, sur le pont thil-neben. Mais ce n’est pas un ædhellon, c’est une elleth !

— Une femelle ?

— Arda ou Eren ! s’écria Cerin.

— Une seule ?

— Une seule, me confirma Naradryan.

Je m’efforçai de le cacher, mais j’étais inquiète. Une seule sœur ? Où était donc l’autre ?

— Est-ce que c’est loin ?

— Oh, ce n’est pas tout près, répondit le hënnel en haussant ses petites épaules. Cela nous prendra peut-être la moitié d’un cycle d’aller là-bas à pied.

— Un cycle ?

— Oui, un cycle. Le temps écoulé entre la nuit et le jour !

Une demi-journée, donc. Et rien ne disait qu’Arda ou Eren resterait là-bas… Mais il fallait le tenter.

— Bon. Peux-tu nous configurer une petite carte, Naradryan, ou, du moins, nous indiquer une direction ?

— Mieux que ça : je vais venir avec vous ! proposa le petit ældien.

Je secouai la tête.

— Tu ne peux pas, Naradryan, c’est trop loin. Ton père va s’inquiéter.

L’expression de tristesse intense que je vis passer sur son petit visage me fit immédiatement regretter mes paroles insensibles. Son père n’était plus qu’une enveloppe vide. Cet enfant n’avait plus personne au monde.

— D’accord, soufflai-je, à la grande joie de mes enfants. Tu viens avec nous.

Le périple ne dura pas une demi-journée, mais une journée entière, en partie parce que j’étais une humaine accompagnée de trois enfants ignorants, avec peu de ressources et de moyens. Mais, grâce à la persistance du petit Naradryan, nous arrivâmes à la fameuse cascade à la fin de la journée.

L’endroit était magnifique. C’était un petit pan de nature sauvage, surmonté par de majestueux ponts, émaillé ci et là de petits kiosques blancs. Le soleil, dont la douce lumière faiblissait, amenait une lueur orangée sur ces merveilles, qui culminait par une superbe cascade brillant de ses derniers rayons.

Mes enfants étaient époustouflés. Bouche bée, ils contemplèrent la vue sur le petit pont que nous apprêtions à traverser, guidés par Naradryan qui marchait fièrement devant.

Et soudain, je le vis. Ren.

Ses cheveux avaient repoussé à leur longueur initiale, lui arrivant jusqu’en bas des reins. Je devais avoir passé trop de temps avec les dorśari infusés à la drogue et amaigris par leurs passe-temps déviants, car je le trouvais glorieusement musclé, plus grand et massif que je ne l’avais jamais vu. Qu’il était beau, même de dos ! La courbe de ses reins sensuellement cambrés, même à travers sa tunique, suscita une douce chaleur dans le fond de mon ventre. Oh, comme j’avais hâte de l’étreindre !

— Ren ! appelai-je. Ren !

Les petits couraient déjà vers lui.

Pour ma part, je me retins de le faire. Je m’avançai d’un pas décidé, songeant au cadre merveilleux de nos retrouvailles. Il se retourna et me vit.

Et soudain, je réalisai que ce n’était pas lui. C’était un autre ældien mâle, couleur de lune, qui ressemblait beaucoup à Ren, sans être lui. Il était immense, toisant bien à trois mètres. Sa longue chevelure aux tresses emmêlées, attachée en queue sur sa nuque, pendait jusqu’à ses fesses, dégageant un visage couturé de cicatrices qui présentait en sus un terrifiant mélange de traits bestiaux et anthropomorphes. Au milieu de cette noirceur absolue luisaient trois yeux obliques, sans pupille.

Les enfants s’arrêtèrent dès qu’ils virent son visage. L’inconnu, qui ressemblait plus à un orcanide qu’à un ældien, leur jeta un regard totalement dénué de tendresse, puis il reporta ses yeux rouges sur moi. Rouges, pas blancs.

— Venez, les enfants ! les rappelai-je.

Ils vinrent se coller dans mon giron, tous les trois, effrayés par l’étranger, qui, après nous avoir regardé en silence, se mit soudain à marcher vers nous d’un pas aussi décidé que menaçant. Ses griffes, immenses et non taillées, pendaient le long de ses énormes mains comme un jeu de couteaux.

— Allez, on s’en va, murmurai-je à mes petits, tout en commençant à reculer. Malgré ma terreur grandissante, je ne quittais pas la créature des yeux.

Mais le monstrueux titan se mit, lui, à accélérer. Prise de panique, je saisis mes deux petits et me mis à courir, Naradryan sur mes talons. Mais il trébucha. Je ne pouvais pas l’abandonner : il faisait désormais partie de ma portée, j’aurais donné ma vie pour ce gosse. Je sautai devant lui, prête à en découdre.

— On n’approche pas ! hurlai-je au grand mâle noir. Reculez !

Surpris, ce dernier s’arrêta net. Puis il fit mine de reculer… avant de saisir Nínim !

Le petit hurla de terreur, avant de mordre férocement la main de son agresseur.

— C’est bien, Nínim ! l’encourageai-je. Ne te laisse pas faire par cette grosse brute ! Défends-toi !

Son ravisseur le lâcha, et mon aîné me sauta dans les bras. Je me saisis des trois gosses et me mis à courir.

— Rika ! fit une voix puissante derrière moi. Rika ! Attends !

Affolée et surprise, je jetai un coup d’œil derrière mon épaule. C’était le monstre à la peau noire. Il s’était arrêté, et criait mon nom de sa grosse voix d’ours.

Alors, un piaillement familier retentit. Caëlurín. Mon petit Caëlurín.

À travers mes larmes, je le vis se précipiter entre les jambes de l’ældien, puis sur le pont. Lorsqu’il me sauta dans les bras, je criai de joie. Mes trois enfants étaient réunis, vivants. Je les avais retrouvés. J’avais accompli ma mission de mère.

L’ældien inconnu m’avait rejoint.

— Rika, fit-il d’une voix déjà plus douce.

Je sortis le nez du cou de mes enfants pour le regarder, méfiante. Derrière lui, je vis apparaître Isolda.

— Je suis Śimrod Surinthiel, se présenta le grand mâle. Le père de Ren.

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