L'avènement de Shemehaz : I

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Círdan ouvrit les yeux. Discrètement, sans un bruit, faisant attention à ne pas réveiller sa compagne qui dormait à côté de lui, il se leva, et marcha jusqu’à la baie qui donnait vue sur l’espace. De là, d’un œil appréciateur, il contempla les lignes agressives du vaisseau d’Uriel. Un superbe porteur de guerre, reconnut-il. Des formes fuselées, étudiées pour convoyer la puissance de son propriétaire, et susciter la peur chez l’adversaire.

Círdan, sans jamais l’avoir avoué à personne, éprouvait une certaine admiration pour ces machines dorśari au design prédateur. La première fois qu’il avait vu le cair d’Ar-waën Elaig Silivren, son beau-père, il avait été ébloui. Mais, aussi belle soit -elle, avec ses courbes anguleuses, férales, de Hurleuse Noire, Elbereth était loin d’être aussi belle et terrible que Mercor, le gigantesque vaisseau d’Uriel. En songeant au wyrm titanesque que cela avait dû être, Círdan ne put retenir un frisson.

Un bruit derrière lui le fit se retourner : Angraema se réveillait. Cette dernière s’étira en baillant, les cheveux en l’air et le pyjama froissé, le toupet de poils noirs et blancs au bout de sa queue, hirsute. Círdan sourit, attendri : sa dulcinée était loin d’être une princesse. Mais il l’aimait tellement !

— Tu as bien dormi ? demanda-t-il après avoir rapidement – et vainement – regardé autour de lui, en quête de quelque friandise à amener à Angraema pour son petit déjeuner.

Cette dernière, assise en tailleur sur l’immense lit, secoua la tête.

— J’ai très mal dormi. Tu n’as pas entendu les hurlements d’Uriel cette nuit ? Je ne sais pas ce que ma mère lui a fait, mais ça devait faire très mal !

Círdan afficha un sourire qui illustrait toute la patience du monde.

— Du moment qu’il apprécie, c’est le principal.

Angraema fronça les sourcils.

— Ils sont d’une perversité, tous les deux ! Je n’ose imaginer la tête de père s’il était là.

— Il n’approuverait pas, c’est sûr, acquiesça Círdan en se rapprochant.

— Et t’as vu son frère, ce Lathelennil… ! continua Angraema sans se départir de son air réprobateur. Je crois qu’il est encore pire que lui. La façon dont il regarde Rika ! On dirait qu’il veut la dévorer. Dire qu’il s’agit de ma famille… !

Elle secoua la tête.

— Il ne nous appartient pas de juger, fit Círdan en posant sa main fine et élégante sur son dos.

— Tu as raison, concéda Angraeman relevant ses yeux dorés vers lui. Mais tout de même...

Círdan vint gentiment frotter sa joue contre celle d’Angraema. Les deux jeunes s’étreignirent, profitant d’être dans les bras l’un de l’autre.

— Le déjeuner est avancé, croassa un déplaisant sluagh, suivi par deux gobelinoïdes portant un plateau. Souhaitez-vous que je vous fasse amener des ustensiles pour agrémenter votre plaisir ? Des esclaves pour égayer vos jeux, peut-être ?

Círdan s’écarta d’Angraema, qui vissa son regard devenu noir sur l’émissaire.

— Non merci, ça ira.

— Si tel est votre plaisir, caqueta-t-il en se fendant d’une courbette obséquieuse.

Il se retira en reculant, dans un silence de mort.

— C’est le règne de la débauche, ici, observa Angraema une fois la porte refermée. On se croirait dans un monde contaminé par l’Abîme !

— Pas tout à fait, objecta Círdan. Les serviteurs comme les maîtres sont tout de même très disciplinés. Le véritable Abîme, ce n’est pas ça, Raema. C’est cent, mille fois pire.

La jeune ældienne soupira.

— Tu crois que cette menace disparaitra un jour de la galaxie ?

Círdan réfléchit. Devait-il lui dire ce qu’il pensait réellement ?

— Un peu de menace, si elle est contrôlée, est nécessaire et même bénéfique, lui répondit-il alors. Si tout était en ordre, alors, notre vie serait froide et stérile… Et le contrôle, lorsqu’il est poussé à l’extrême, devient lui-même chaotique. Non, l’équilibre est une bonne chose.

Angraema approuva de la tête.

— Tu as raison. Tu es si intelligent, Círdan !

Círdan sourit modestement, dissimulant sa joie.

Je ne dois pas me laisser envahir par la vanité, se reprit-il, avant de se lever pour amener le plateau de victuailles à Angraema.

Les deux jeunes commencèrent à manger, en silence. Au moins, la nourriture était délicieuse : le cuisinier avait bien compris qu’ils refuseraient de manger de la viande humaine, wê, et même nekomate. Ils avaient été clairs : aucun Sapiens ne devait leur être servi.

— La Reine Daemana est annoncée ! piailla alors le sluagh préposé à la porte.

La mère d’Angraema entra, sa silhouette sculpturale et sinueuse ondulant comme celle d’une dracanide, ce wyrm légendaire à six bras et au buste de femelle ædhel. Círdan était le premier à convenir que Daemana était probablement la plus belle elleth qu’il n’eut jamais vu (avec Tanit, dans un autre genre) mais il en avait un peu peur. Et puis, ce qu’on disait de la fente secrète des khari… Jamais il n’aurait pu, comme Ar-waën Elaig Silivren, lui faire des petits.

Comme beaucoup de femelles dorśari nobles, Daemana méprisait les mâles, surtout ceux qui, comme lui, n’étaient pas des guerriers assoiffés de combats et d’hémoglobine. Aussi ne jeta-t-elle qu’un regard en passant à Círdan, avant de venir s’asseoir sur le fauteuil le plus proche de ce qui ressemblait à un trône.

— Aujourd’hui, ma fille, fit-elle en retroussant ses lèvres pulpeuses, tu vas apprendre une grande leçon : comment une reine punit sa rivale. Je pense que cela sera grandement édifiant.

Círdan coula un regard de côté à sa compagne. Par certains côtés, elle paraissait plus âgée que sa mère, qui semblait éternellement figée dans cet aspect de petite peste à la chevelure blanche et aux lèvres sucrées.

— Je ne suis pas sûre d’avoir envie d’assister à une séance de torture, Mère, répondit Angraema. Je pense qu’elle devrait être jugée par tous ceux à qui elle a fait du tort, à commencer par Père et Rika, puis, éventuellement, condamnée à une peine rapide et juste.

— Et pourquoi pas miséricordieuse, tant que tu y es ? railla Daemana. Tu oublies que par la faute de ses machinations, ton père n’est pas disponible pour sauver tes sœurs du viol par des créatures dégénérées. Tu crois donc qu’elles auront envie de se montrer miséricordieuses, lorsque Tanit – qui, rappelle-toi, m’a dénoncé à ton père pour Tínin justement puni par mes soins en venant pleurer dans son giron – leur sera amenée ? Aurais-tu envie de te montrer miséricordieuse, toi, si ta fente et ton anus étaient déchirés, et tous les jours labourés par dix, cinquante, cent orcs puants, ton ventre distendu par leur infâme semence ?

Angraema se cacha le visage dans ses mains, alors que Círdan se redressait.

— Seconde-Mère, je vous en prie ! protesta-t-il.

Daemana vissa son regard rouge sur lui.

— Je ne suis pas ta mère, grinça-t-elle, et ne le serai jamais. Ta mère a subi ce sort, justement : rappelle-toi. Que souhaitais-tu pour les faux-singes qui l’ont humiliée ? Et qu’à fait ton père, pour la venger ?

Círdan baissa la tête. Oui, il devait le reconnaître : il avait souhaité la mort de ces hommes. Leur mort, et leur souffrance, aussi.

— Bien, fit Mana en se levant. Ceci étant décidé, je vous attends tous les deux en bas, dans la geôle de Tanit. Aucun manquement à cette justice – ma justice – ne sera toléré.

Et elle quitta la pièce, laissant les deux jeunes catastrophés.

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