Surface opaque

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  Mon téléphone m'avait réveillé à 3h du matin. Mon cerveau embrouillé me fit tendre le bras vers l'appareil posé sur la table de chevet. Alors que je m'apprêtai à l'éteindre pour replonger dans mon sommeil, je reconnus la sonnerie du docteur Zappatick. Il n'appelait que lorsqu'une catastrophe venait de se produire. À ma grande surprise, il ne parla pas de sa voix paniquée habituelle, mais avec un ton enthousiaste, presque fou.

 — Viens vite au labo ! Il faut que tu voies ça !

 Je m'habillai paresseusement, pris la voiture et me garai devant le bâtiment miteux qui servait de laboratoire. Je toquai et le professeur vint m'ouvrir.

 — Rentre Basil, j'ai fait la découverte du millénaire ! cria-t-il, le regard pétillant.

 — Rien que ça ?

 — Peut-être même plus encore !

 Dans sa blouse blanche entrouverte et trempée de sueur, le scientifique clandestin me guida à travers des couloirs remplis d'obscurité et de bricoles en tout genre. Et puis, une lumière, irréelle. Elle se reflétait contre les morceaux de ferraille qui tapissaient les murs. Je m'approchai et les récipients en verre au tournant dévoilèrent à leur tour l'éclat chimérique. La curiosité m'avait entièrement gagné. Je me dépêchai de suivre le docteur, pénétrai dans la salle. Une vision s'offrit à moi. Impossible.

 En plein milieu de la pièce, une surface luminescente scintillait de toutes sortes de couleur inconcevables. Elle ondulait de manière incohérente et hypnotisante. C'en était terrifiant.

 — Alors, pas mal, hein ? s'assura Zappatick.

 — Qu-Qu'est-ce que c'est ? ne pus-je m'empêcher de bégayer.

 — Une fissure dans la réalité !

 Incrédule, je m'approchai de la fissure en question. Je remarquai alors que mon corps tremblait. Cette force onirique qui nous faisait l'honneur de sa présence dépassait le cadre du concevable. J'ai toujours eu, comme le professeur, une envie de découvrir, de rencontrer l'inconnu. Mais cette chose, devant moi, l'était bien trop. Trop différente de tout ce qui existait dans ma conception de l'univers.

 — N'est-ce pas magnifique ?

 — Horrifique, oui.

 — Eh bien, qu'as-tu donc aujourd'hui mon bon Basil ?

 Je pointai la surface incandescente du doigt. Impossible de savoir quelle matière la composait. On aurait dit de la peinture qui apparaissait du vide, se mélangeait aléatoirement puis s'évanouissait sans raison. La surface carré lévitait à une dizaine de centimètres du sol, ses côtés mesuraient approximativement deux mètres. Elle émettait une lumière diffuse, telle une boule à facette improbable. Magnifique et cauchemardesque. Des frissons traversèrent mon être. Je constatai seulement maintenant que j'avais arrêté de m'approcher.

 — Comment l'avait vous fait apparaître ? demandai-je, étrangement essoufflé.

 — J'ai mélangé de l'eau gazeuse avec du bicarbonate de soude !

 — Pardon ?

 — De l'eau gazeu...

 — J'ai bien entendu, mais je ne comprends pas. Seulement ces ingrédients ?

 — 'Faut croire.

 — Personne n'avait encore jamais fait ça ?

 — Ou alors ils l'ont déjà fait...

 — ... Et ont disparus, complétai-je, inquiet.

 La fascination me gagnait. De toutes évidences, c'était une première dans l'humanité. Qui savait ce que nous allions découvrir ? Tout d'abord, qui savait ce que le docteur avait créé ?

 En un éclair, ce fut la peur de mourir qui s'instilla en moi. Je n'étais pas sûr de vouloir expérimenter avec cette substance fantomatique.

 — Ah oui, se rappela le professeur. J'ai aussi plongé un galet que j'ai récupéré à la plage dans la solution, et ait mis le tout sous tension. C'est vers 10 000 Volts que cette beauté est apparue.

 — Attendez... Pourquoi avoir essayé ça ?

 — On ne sait jamais sur quoi on va tomber, il faut bien tenter ! La preuve...

 La folie de Zappatick ne m'avait jamais échappé, mais elle apparaissait comme flagrante désormais. Je m'éloignai de la création improbable et demandai :

 — Dites-moi tout ce que vous savez sur ce... truc.

 — Absolument rien ! s'exclama le professeur sur un ton satisfait. Je t'attendais justement pour commencer les expérimentations.

 — Êtes-vous certain qu'il est bien prudent de s'y prendre seuls pour réaliser de telles manœuvres ? Ne devrions-nous pas appeler quelqu'un de plus compétent ?

 — Pour qu'ils détruisent tout et nous empêche de nous amuser ? Certainement pas ! Pour la science, Basil ! Pour la science !

 — Commençons prudemment.

 Ainsi, je fis le tour de l'entité avec prudence. Celle-ci était parfaitement plane, si bien qu'en l'observant de profil, elle disparaissait.

 — C'est irréel... soufflai-je.

 — Et pourtant !

 Je n'osai bien évidemment pas entrer en contact avec l'aberration, et mes doutes se confirmèrent lorsque le docteur prononça :

 — Au fait, les objets en contact avec cette merveille se sont évaporés quand elle s'est formée.

 — Evaporés ?

 — "Disparus" serait sans doute plus exact.

 — Rien ne peut disparaître comme ça.

 — Rien ne peut apparaître comme ça non plus.... Mais, constate par toi-même !

 Il avait une mine plus que réjouit, un sourire plaqué sur le visage, un sourire aussi inébranlable que mon continuel froncement de sourcils.

 Nous restâmes une quinzaine de minutes à observer l'objet – si tant est que "objet" soit un mot adéquat – sous toutes ses coutures, à étudier les variations qui se dessinait sur la couche opaque. J'osai m'approcher à deux mètres seulement de la surface et constatai avec effroi que ses coins mesuraient exactement 90°.

 Je branchai un analysateur de spectre à un mesureur et pointai sa sonde en direction de l'anomalie.

 — Aucune émanation électromagnétique... C'est de plus en plus curieux...

 — Bon allez, assez attendu, c'est une chose qu'on ne peut pas comprendre sans mettre la main à la pâte !

 Le scientifique enfila des gants isolants, saisit une barre de métal qui traînait puis la dirigea vers le carré.

 — Non, attendez ! hurlai-je.

 La tige métallique s'enfonça dans la surface. Zappatick en engouffra la moitié. De l'autre côté du plan invraisemblable, elle n'apparaissait pas.

 — Cette matière est hautement corrosive, lâchez ça immédiatement !

 Il ne m'écouta pas et ramena la barre vers lui. La partie qui avait disparu ressortit de l'anomalie, entière.

 — Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? m'exclamai-je.

 — Je crois que j'ai compris ! s'écria le docteur. C'est un portail !

 — Un portail ?

 — Un portail ! Vers un autre lieu !

 — Et puis quoi encore ?

 Zappatick se tenait à peine à quelques décimètres de la matière luminescente.

 — Faites attention !

 — Je le savais ! Je te l'avais dis dès le début, Basil, nous avons affaire à une fissure dans la réalité ! Tout ce qui la traverse cesse d'exister dans notre monde, mais peut très bien réapparaître ensuite ! Fascinant, tout bonnement fascinant.

 — Pas de conclusions hâtives, s'il vous plait...

 Il plongea sa main dans la brèche. Je ne pus contenir un cri, et lui, un rire. Il retira sa dextre.

 — Tu vois ? m'interrogea-t-il en me montrant sa paume. C'est sans danger !

 — En apparence...

 Il rentra soudainement sa tête. Je me sentis défaillir, mais le professeur l'extirpa aussitôt.

 — Mon Dieu, murmura-t-il.

 Son expression avait changé. Il était stoïque.

 — Incroyable. Tout bonnement incroyable.

 Un sourire encore plus large qu'avant déchira son faciès illuminé.

 — C'est la chose la plus belle que j'ai jamais vu ! C'est une véritable révolution ! L'humanité va connaître une nouvelle ère ! Je n'en peux plus, il faut que je goûte à tous ces mystères ! Je pars à l'aventure ! Rejoins-moi, Basil !

 Il acheva ses exclamations frénétiques en s'engouffrant dans le portail.

 Je me retrouvai plongé dans le silence absolu. Je restais quelques minutes, tendu. La curiosité m'envoya une impulsion. Je touchai la surface d'un doigt, et ne ressentis rien. C'était comme si elle n'existait pas. Enfin, pareil à un saut dans le vide, je m'élançai à travers le portail les yeux fermés.

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