L'extinction

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"Christian, qu'est-ce qui se passe ?"

"Je ne sais pas Monsieur le Président. La route semble complètement bloquée."

"Débrouille toi pour nous trouver une issue."

Richard Callaway donne ses ordres d'un air absent, sans quitter son smartphone des yeux, comme à son habitude. Il ne lève pas les yeux. Ni pour croiser le regard attentif de son chauffeur, ni pour voir la raison de ce ralentissement soudain de la vitesse de la Cadillac One noir charbon. Il s'est contenté de poser une question et donner un ordre avec son air autoritaire habituel.

La voiture finit par s'arrêter. La vitre séparant le chauffeur du président empêche ce dernier de distinguer ce qui se passe sur la route. Il se penche pour asséner un coup de phalanges sur la vitre, ordonnant à son fidèle chauffeur de démarrer.

"Impossible Monsieur le Président. La route est complètement bloquée. Je vais aller prévenir de notre présence et ordonner que la route soit dégagée sur-le-champ."

"Je vais le faire moi-même Christian, déverrouille les portes."

"Non Monsieur le Président. C'est bien trop dangereux. Je serais rapide. Je laisse les portes verrouillées."

Richard pousse un soupir impatient et se replace au fond de son siège en cuir, laissant tomber son smartphone sur ses cuisses d'un geste las. Pour la 1re fois du voyage, il pose les yeux dehors à travers les vitres ultras blindées et distingue les rues surchauffées de Washington. Son mode de vie privilégié ne lui permet pas de le ressentir mais son statut le force à affronter la réalité de cette canicule historique qui s'abat sur les États-Unis et une partie du reste du monde depuis plus de 2 mois en continu. Non pas que cette situation le touche mais il n'a pas le choix de prétendre se sentir concerné. Des décisions d'urgence doivent être prises depuis quelques semaines, des pannes d'électricité ravagent le pays, entraînant des pertes économiques conséquentes.

Le réchauffement climatique. Voilà ce que clament les médias. Mais Richard n'a jamais fait confiance aux médias. Par conséquent, il ne croit pas à cette histoire de réchauffement climatique. Une punition du Seigneur pour les péchés auxquels s'adonne la société actuelle semble bien plus probable qu'un trou dans la couche atmosphérique, causé par les industries qui ont permis aux États-Unis d'acquérir sa grandeur d'aujourd'hui. Et il ne changera pas d'avis, malgré la pression des grands groupes écologiques et du peuple, ce même peuple qui l'a pourtant élu chef de la Nation il y a 2 ans. Et à cette époque, son avis était déjà celui d'aujourd'hui et les gens étaient satisfaits. Preuve de manipulation de masse de ces grands groupes et de ces politiques prêts à tout pour le déloger, cette capacité de pouvoir faire changer la nation d'avis en si peu de temps et la convaincre que la planète s'est écroulée en 2 ans. Lui, a toujours été honnête, il dit ce qu'il pense et ne change pas d'avis. La propagande, c'est pour ses rivaux. Et non, il ne mettrait rien en place pour sauver la planète, loin d'être en danger. Non, il n'arrêterait pas les réacteurs nucléaires. Et ce, malgré les pressions, voire les menaces incessantes d'activistes. On est en danger nulle part quand on est le président des États-Unis. Donc, il n'a peur de rien.

Richard sent son front suer légèrement et ses mains deviennent moites. Il desserre le col de sa cravate et essuie son front. Il s'efforce de songer à autre chose pour éviter les pensées parasites qui commencent à avoir un effet sur son corps.

Il prend son téléphone en main et ouvre son réseau social préféré.

#PayThePriceMrPresident apparaît en tête des posts. Il affiche un rictus unilatéral. Il a l'habitude. Lui, ça l'amuse, ça le motive. Dans toute son arrogance, il ne cherche pas à lire la raison de ce nouveau hashtag. Ce qu'il prend d'abord pour de l'excitation de se voir au centre de l'attention sur la toile, s'avère être de nouveau une chaleur qui semble prendre possession de lui, de l'intérieur. Il transpire abondamment. Il ne supporte plus sa veste de costume et l'enlève brusquement. Il se penche pour vérifier le tableau de bord, regarder après Christian et éventuellement lancer un coup de klaxon mais il se heurte à la vitre épaisse fermée entre le chauffeur et lui-même. Il lance un coup de poing à cette vitre. Cet abruti de chauffeur a oublié l'air conditionné. Et depuis quand est-il parti ce foutu Christian ? Il cherche à regarder au travers de la vitre noircie mais il ne distingue que des rues sombres et vides. Absolument personne à l'horizon. Il cherche à voir devant la voiture mais son champ de vision est trop réduit pour voir clairement si Christian est dans la parages. Il ne voit que ce brillant soleil tapant sur cette voiture, comme abandonné.

Progressivement, Richard ne parvient plus à respirer. C'est comme si l'air avait disparu. Il inspire de l'air chaud qui ne remplit pas ses poumons. Il détache sa cravate et déboutonne sa chemise qu'il retire le plus vite possible, comme si elle était la raison de cette chaleur intense. Avec cette sueur qui a envahi son corps, le retrait de sa chemise lui apporte quelques secondes de répit avec l'air qui glisse sur cette peau humide. Le répit n'est que de courte durée. Richard ferme alors les yeux et bascule sa tête vers l'arrière. Il agrandit son espace, cherche à étendre la surface de son corps au maximum. À chaque contact d'une zone de cuir encore non envahi par son corps, donc plus frais, il profite de ces quelques microsecondes de soulagement avant de nouveau être envahi par cette bulle de chaleur. Il saisit son téléphone. Plus aucun réseau. Il le lance aléatoirement contre la portière.

Il est affaibli. Il tient difficilement sa tête droite et ses idées claires. À présent, l'absence de Christian l'importe peu, la seule chose qui l'intéresse est de se rafraîchir. Il s'aide de ses pieds pour retirer ses chaussures et se penche pour enlever brusquement ses chaussettes et étend ses jambes au maximum. Il déboutonne son pantalon et s'en extrait, en utilisant ses dernières forces disponibles. Il sent sa peau surchauffer. Brûlante, comme si une fièvre intense l'assommait. Il rapproche instinctivement son visage de la fenêtre, oubliant que le blindage des vitres empêche tout air d'y pénétrer. Ses yeux demis clos devinent alors une poignée d'individus, des formes humaines qui le regardent. Il tape contre la vitre, demande de l'aide. Il ne se souvient pas de la dernière fois qu'il a demandé de l'aide en hurlant. Il suffoque avec une migraine qui le martèle comme si une barre de fer de plusieurs tonnes se laissait tomber à l'intérieur de son crâne.Il distingue une énorme pancarte tenue par l'une des formes à travers la vitre blindée. Il plisse les yeux sur lesquels s'écoulent les gouttes de sueur de son front.

"Voilà ce qui nous attend à cause de ton inaction."

Il ne comprend pas. Il finit enfin par distinguer le son discret d'un disque tournant... comme le son du chauffage ouvert. Il hurle. Ses dernières forces vont dans ses cris et ses poings qui tapent contre toutes les vitres de cette voiture. Sa bouche pâteuse émet de moins en moins de son. Il sent des larmes couler sur ses joues bouillantes. Il ne peut plus lever ses bras. Ses mains ont gonflé. Il aimerait baisser les yeux et regarder la raison de cette sensation mais il est devenu incapable de les ouvrir et baisser la tête. Sa poitrine se resserre. Il sent que son repas copieux du midi commence à remonter à sa destination d'origine. Il réunit ses dernières forces pour ouvrir un œil et distinguer une forme familière. Christian. Debout. Derrière les autres formes qui applaudissent. Il ne comprend pas. Mais qu'importe. Il ferme ses yeux. Il émet son dernier râle et ressent la dernière sensation de cette peau qui commence à carboniser.

Sur la voiture est inscrit en lettres blanches : 65 degrés. Bienvenue en 2050.

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