Chapitre 4 : Premiers pas d’un meurtrier

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Ce dimanche après midi, alors que le père et son fils de douze ans avaient assisté, en direct à la télévision, à la victoire du champion français sur Ferrari au Grand Prix de France de Formule Un, il était maintenant l’heure de boucler les derniers devoirs, avant de retourner à l’école le lendemain. C’était d’autant plus important que le père avait fixé cette condition pour autoriser son fils à regarder encore, le même soir, la finale de la Coupe du Monde de football, qui permettrait soit à l’Argentine, soit à l’Allemagne, de rejoindre l’Italie et le Brésil dans le club très fermé des triples vainqueurs de la compétition. Les leçons étaient sues, les exercices de mathématiques réalisés sans faute, la dictée du lundi préparée. Le père, un colosse de près de deux mètres, à la coupe militaire, prépara donc le dîner alors que son fils se débarbouillait et enfilait son pyjama. Le repas fut avalé, puis l’on sonna à la porte d’entrée de l’appartement. Une jeune fille se présentait devant la porte, portant un gros sac en bandoulière.

— Bonsoir Monsieur Moulins.

— Bonsoir Agnès. Il va regarder le match, ensuite, il ira se coucher. Je dois y aller. Bonne soirée, à demain.

Moulins donna un billet de cinquante francs à la jeune baby-sitter puis déposa un baiser attendri dans la tignasse rousse de son fils et quitta le domicile. Il arrêta sa petite voiture dans le parking d’une usine que les employés commençaient à quitter.

— Bonsoir, Moulins, bon courage, lui adressa l’un d’eux.

— Bonsoir Jérémy, merci, bon match. Bonsoir Aurélie, On commence à faire le tour ?

Moulins, veilleur de nuit dans cette usine d’un équipementier automobile, était parvenu à faire embaucher Aurélie, une jeune fille tonique et enjouée, afin de renforcer l’équipe de garde. Chaque soir, Aurélie et son chien, Jake, accompagnaient Moulins pour un tour de l’usine sur trois étages afin de vérifier que toutes les portes étaient bien fermées, de même que les fenêtres de bureaux.

— Bonsoir M. Moulins, allez, on y va ! Allez, viens Jake.

Moulins, Aurélie et le chien Jake, après avoir fait le tour des étages, rejoignirent la salle de contrôle vidéo et s’installèrent, lui avec un jeu vidéo, elle avec un livre. Moulins n’était pas très causant, Aurélie brisa le silence.

— Je sais pourquoi vous vivez seul, pourquoi vous ne vous êtes pas remarié…

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— J’ai lu un truc là-dessus. Vous ne faites plus confiance aux gens… Mais ne vous inquiétez pas, ça reviendra…

— Je ne suis pas d’accord. J’ai une très grande confiance en l’homme, en particulier pour son habileté à faire des croche-pieds à ses voisins…

— Une chance que je sois une femme, vous ne me regardez pas avec cet œil cynique.

— La femme, quand elle est mariée, c’est pire : après avoir fait un croche-pied à son mari, elle l’engueule : Idiot ! Si tu ne marchais pas comme un traîne-savates, tu ne te serais pas pris les pieds dans le tapis ! Et puis elle ne tardera pas à lui reprocher le nuage de poussière qu’il a soulevé en tombant, insistant sur le fait qu’il n’a pas passé l’aspirateur depuis six mois…

— Y a-t-il encore quelqu’un qui trouve grâce à vos yeux ? À part votre fils…

— Tu n’es pas mariée, que je sache…

Vers 22h00, arriva sur le parking une voiture d’où sortirent quatre punks, trois hommes, et une femme, et son rottweiler. La bande se sépara, les trois hommes passèrent par une entrée de l’atelier, la femme et son chien par les bureaux. Entre le matériel informatique et les stocks de matières premières, les tentations étaient grandes pour qui voulait se faire rapidement un peu d’argent de poche et n’avait pas froid aux yeux. Moulins et Aurélie avaient vu les intrus préparer leur mauvais coup et devaient intervenir, en attendant l’arrivée des autorités, aussitôt prévenues.

— Je prends la femme et son chien, proposa Aurélie, je vous laisse les mecs.

— Fais attention à toi. Ne prends pas de risques, je te retrouve en bas.

Aurélie se dirigea vers la femme punk, lâcha son chien alors que le rottweiler se mit à courir vers elle, agressif. Les chiens se battirent, le rottweiler écharpa Jake. La punk se jeta sur Aurélie, la bagarre s’engagea, violente. Aurélie avait le dessus sur son adversaire quand la punk sortit un couteau et poignarda Aurélie à mort. Au même moment, Moulins neutralisa à mains nues les trois hommes, puis partit retrouver Aurélie. Quand il arriva dans les bureaux, il était trop tard, la punk lâcha son chien sur lui et s’enfuit en courant. Moulins vint à bout du rottweiler qu’il finit par étrangler. Puis il découvrit, anéanti, le corps sans vie d’Aurélie.

-

Le lendemain matin, Moulins déposa son fils à l’école.

— Bonne journée, mon grand. Ce soir, c’est ta mère qui viendra te chercher. On se revoit dans trois mois.

Rentré chez lui, Moulins décrocha son téléphone, composa un numéro qu’il semblait connaître par cœur.

— C’est moi. Tu aurais un job, pour moi ? Maintenant. OK, à demain.

Puis il se rendit à l’usine, où il avait rendez-vous avec son employeur, afin de débriefer les événements de la nuit. À la fin de l’entretien, il fit part d’une demande à son patron, qu’il savait compréhensif pour certaines catégories de personnel, dont il faisait partie.

— Monsieur, j’ai besoin de prendre mes congés. Après ce qui est arrivé…

— Bien sûr, Moulins. Prenez le temps qu’il vous faut. Vous avez vu la police ?

— Oui, monsieur. Je leur ai tout raconté. Je leur ai dit que j’avais besoin de prendre du recul, du repos. Ils m’ont donné leur feu vert. Ils ont les bandes.

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En fin de journée, alors qu’il était venu au bar de l’Apocalypse boire quelques verres pour ne plus penser au drame qui s’était déroulé la veille, Moulins aperçut la femme punk, qui ne le reconnaissait pas. Il décida de l’aborder, lui offrit un verre, puis un autre. La soirée avançant, les deux convives semblaient de plus en plus à leur aise en compagnie l’un de l’autre, quand ils décidèrent de quitter le bar, ensemble. Moulins invita la jeune femme à le suivre dans son appartement, invitation qu’elle accepta sans hésiter. La porte d’entrée refermée, Moulins plaqua la jeune femme contre le mur et lui déposa sur les lèvres un baiser langoureux, qu’elle lui rendit chaleureusement. Elle se rendit alors dans la chambre à coucher où elle se déshabilla. Moulins la suivait de près.

— Alors comme ça, tu ne me reconnais pas ?

— Non, je te dis. Allez, dis-moi quand on s’est vu…

— Pas plus tard qu’hier, figure-toi.

— Hier ? J’ai passé la journée au troquet, j’ai bu, j’ai fumé, je sais même plus qui j’ai vu ou pas. Après j’ai dû faire une virée avec des potes. Ils m’ont pas redonné de nouvelles de la journée. Ils ont dû faire les cons avec mon clébard, je l’ai pas vu aujourd’hui. Ils doivent le chercher, ils ont peur que je leur colle une raclée s’ils reviennent sans lui, ces connards.

— En fait, ma jolie…

— Wouah !!! « Ma jolie », hein ? Alors je te fais bander, mon pote ?

— Ton chien ne reviendra pas. Tes potes non plus… et toi, tu as planté mon élève stagiaire, hier soir, à l’usine.

— Hier soir ? Oh putain ! Ça me revient… mais tu… pourquoi tu m’as amenée ici ?

— C’était ta dernière virée, chérie. Tu vas retrouver ton cabot en enfer.

Prise de panique, la punk tenta de fuir, mais Moulins l’attrapa par la main et la rejeta sans ménagement sur le lit. Il n’avait pas lâché sa main lorsqu’il s’assit sur la pauvre fille allongée, l’épaule déboîtée, souffrant le martyr et consciente de voir sa dernière heure arriver. Personne ne viendrait la délivrer de ces mains puissantes qui l’étranglaient à présent. L’air lui manquait, le sang montait difficilement au cerveau, sa vue devenait imprécise, elle se laissa aller, la vie l’abandonna. Deux heures plus tard, dans une ruelle sombre, Moulins sortit de sa voiture, en sortit le corps inanimé de la punk et le déposa, nu, au milieu de la rue. Au petit matin, il partit vers le port le plus proche, retrouva son ami et monta sur un cargo qui prit la mer.

-

— Il a écrit tout ça ? s’étonna Joanie.

— Des détails sur chacun de ses meurtres, précisa Fred. Le deuxième n’était évidemment déjà plus une histoire de vengeance personnelle…

Trois mois s’étaient écoulés depuis la tragédie qu’avait vécue Moulins, depuis la mort d’Aurélie. Trois mois de voyages en mer et un premier retour à la maison. Moulins avait déjà postulé pour un nouveau départ en mer dans les trois jours, le temps que lui accordait avec son fils une décision de justice à la suite d’un divorce houleux. Le dernier soir avant le départ, Moulins se rendit au bar de l’Apocalypse, dans une forme de pèlerinage. Un groupe de jeunes femmes festoyaient bruyamment. L’une d’elle, passablement alcoolisée, humilia le serveur après lui avoir accidentellement renversé son verre sur la chemise, ce qui amusa toutes ses amies. Alors que les filles se séparaient à la fermeture du bar, Moulins suivit discrètement celle qui avait humilié le serveur. Quand elle perdit connaissance dans la rue, il l’aida à se relever et l’emmena chez lui. Deux heures plus tard, dans une ruelle sombre, Moulins sortit de sa voiture, en sortit le corps inanimé de la fêtarde et le déposa, nu, au milieu de la rue.

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— Et il n’a jamais été pris, demanda Joanie ? Ça s’est arrêté comment ?

— Ses derniers faits d’arme n’ont pas été consignés dans son journal… La police a recoupé les témoignages et reconstitué sa dernière virée.


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