LA PIRE DES GARCES

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Il fait sombre et froid. Je suis allongé sur une matière dure et rugueuse. Rien à voir avec un matelas. Du bois peut-être ? Est-ce que tu m’as enfin eu saleté !

De l’air frais caresse mon visage. Mon cercueil aurait-il des trous ?

Je me décide à ouvrir les yeux et vois le ciel au-dessus de moi. C’est beau. Il n’y a pas un nuage juste les étoiles. Putain ! De nuit et dehors. Ca signifie que je suis en plein travail et en danger par extension.

Je me doutais bien que tu ne lâcherais pas l’affaire si facilement.

Tout me revient dont cette douleur à l’abdomen, qui me cloue au sol. J’arrive à peine à relever la tête. La lumière du camion derrière éclaire ces deux silhouettes, tout en m’empêchant de les distinguer précisement. Je peux malgré tout reconnaitre les formes des flingues dans leurs mains.

Celui de droite se penche. Il doit chercher à nous identifier ou tout simplement s’assurer de nos décès.

T’aimes prendre ton temps, hein ?

Hé bien tu ne vas pas être déçu. Je détiens au moins avantage. Ils me croient morts ou presque. Ce qui me procure un effet de surprise. Suis-je capable d’en profiter dans mon état ? Comme si j’avais le choix.

Je serre les dents et relève mon pistolet. La douleur ne m’épargne pas au passage. Il t’en faudra plus.

Une balle dans le ventre. Je ne peux pas aller plus haut de toute façon. J’oriente mon arme vers l’autre cible d’un geste bien trop lent. Ce cher effet de surprise compense. Cette fois-ci c’est le thorax du moins je crois.

Avoues que je suis bon joueur. Je viens tout de même de t’apporter deux clients.

Je laisse tomber mon bras et tout le reste. Ces quelques secondes ont été difficiles. Il ne faut pas que je me relâche pour autant. Sinon ce sera un autre passage à vide. Et ce n’est vraiment pas le moment.

Je tourne la tête. Josh est étalé à coté. Il ne bouge plus. Lui tu ne l’as pas loupé. Mais ne te vante pas trop. Si j’ai eu plus désagréable comme complice, en revanche il a toujours été un peu négligeant. Il croyait qu’avec son remington tout neuf plus rien ne pouvait l’arrêter.

Moi c’est plutôt l’inverse. Depuis ma venue au monde dans ce taudis crasseux j’ai remarqué ta présence et l’attention particulière que tu portais aux pauvres gars dans mon genre.

Par conséquent je me suis toujours appliqué à prendre certaines précautions.

Par exemple en ce qui concerne mon arme, j’ai tout simplement choisi la meilleure : le colt 1911. Un sacré gaillard, qui ne vous lâche jamais, et a du punch.

Quant à la précaution qui t’as mis en échec cette nuit, c’est mon plastron ou papershield ou... Il doit avoir un tas d’autres surnoms. Il est plutôt simple à fabriquer. On prend du papier que se soit des journaux ou des bouquins, le fait bouillir, puis sècher. Ensuite on l’assemble avec de la ficelle ou de la colle, et on se retrouve avec une protection contre les balles.

Ca doit te vexer d’avoir été vaincu par ce bricolage, n’est-ce pas ?

A propos pendant ton mémorable festin de la grande guerre, les ritals avaient mis au point des sortes d’armures. Ils ont vite abandonné tellement, c’est lourd et encombrant. Nos inventeurs du gangland se sont montrés bien meilleur sur ce coup.

Le papershield lui ne pèse pas grand chose, et remplit bien son office. Enfin plus ou moins, les pruneaux je les ai quand même bien sentis. Il faut t’accorder çà.

D’ailleurs peut-être me réserves-tu une mauvaise surprise ? Je me tâte un peu. Trois impacts se balladent sur ma protection. Ils se sont faits plaisirs ces fumiers et toi avec. Par contre il n’y a aucune trace de sang. Les balles n’ont pas traversé. L’impact a été douloureux mais il n’y a rien de grave ou tout du moins de mortel.

C’est officiel. J’ai remporté cette manche. Je range mon arme et prolonge ma petite pause aussi méritée que peu risquée. Après tout c’est une route de campagne peu fréquentée voir jamais la nuit sauf par les bootleggers (trafiquants d’alcool).

Et dire que je croyais avoir enfin déniché une bonne combine. Ah les combines ! C’est grâce elles que j’ai évité une de tes armes favorites : la misère. Contrairement à la guerre elle te permet de faire durer le plaisir, et enlève une quelconque gloire à tes victimes.

Donc j’ai rejoins la pègre ou plutôt m’y suis incrusté. J’y occupe le statut de petit indépendant. Evidemment t’as vite trouvé une parade. Ne pouvant plus me faire crever dans le caniveau, t’as opté pour la prison.

De nos jours les banques ont des gardiens, des coffre-forts, des systèmes d’alarme, et j’en passe. Il reste bien les petites boutiques. Elles n’ont pas les moyens de s’offrir tout cet arsenal, ni en contre-partie de filer grand chose à leurs braqueurs.

Il ne faut pas oublier la police. Elle a sut profiter du progrès avec les voitures et le téléphone.

Franchement je pensais que t’avais gagné. Une balle ou une cellule m’attendait quelque part. Puis est arrivée il y a presque deux ans cette loi sur l’alcool. Elle est tellement stupide que je me demande parfois si les législateurs ne l’ont pas faite juste pour me faire plaisir.

Les caids les vrais, les armés, les dangereux, ils ne s’en mèlent pas. J’en ignore la raison précise. A mon avis ils ont déjà leurs habitudes, leurs trafics, leurs petites affaires, et refusent la nouveauté. Le rêve américain est mort contrairement à moi.

Alors ils ont laissé le marché aux amateurs : des bouseux qui distillent dans leurs granges, des livreurs qui planquent des bouteilles dans un coin de leurs camions...

Or ces gens ne sont pas des habitués à la violence et aux armes. Ils ne peuvent pas non plus se plaindre à la police.

Cette opportunité nommée hijacking me tendait les bras. Et je n’ai pas eu à m’en plaindre. Josh et moi on sévissait sur ces routes depuis pas mal de temps, et n’avaient jamais eu le moindre pépin. J’ai même cru que tu m’avais oublié jusqu’à ce soir.

Au début tout se déroula comme prévu. Un petit coup de fusil en l’air de Josh afin que le chauffeur comprenne le message. Il s’arrêta sagement, et s’écarta de son véhicule. Puis ces deux salauds surgirent de l’arrière du camion et jouèrent du flingue.

Sans doute des caids ont-ils finis par ouvrir les yeux et s’introduire dans le transport d’alcool ? Evidemment tu n’as rien à y voir hein ?

Bon il est temps de se remettre au boulot. La douleur ne s’est pas estompée. Je procède par étape. D’abord relever le dos afin de passer en position assise. Ensuite plier les jambes et prendre appui sur le sol. Enfin se mettre debout. Là je laisse s’échapper un cri.

Des poignards se baladent dans ma chair au moindre mouvement. Tu ne pouvais pas trouver mieux ? Je ne vais pas me laisser mourir sur une route juste à cause d’un mal au ventre.

J’effectue quelques pas rapides jusqu’au capot, et m’y appuis. A la douleur s’ajoute l’essouflement. Je te parlais des armures des italiens durant la guerre. Et bien j’ai l’impression d’en porter une à me sentir si lourd. Désolé ce n’est pas encore suffisant.

La portière de l’habitacle est ouverte. J’y rentre ou plutôt y rampe. Enfin en position assise je sens la douleur diminuer. Tu te relâche ma jolie. Les clés sont-elles toujours sur le contact ? Bien sûr idiot sinon les phares ne fonctionneraient pas.

Au fait où est le chauffeur ? Il a dû s’enfuir suite à ma riposte. Après tout on s’en fout. Presser la pédale ne me fait pas mal. Mes jambes vont bien.

Le camion fait une embardée. Les cadavres ! Quel con ! Tant pis c’est fait. Désolé pour toi Josh et aussi à toi ma garçe préfèrée. Tes clients vont être quelque peu âbimés.

Tu me le fais vite payer. Un virage se dessine. La douleur revient. Foutu volant ! Je suis quasiment vautré dessus à pencher tout mon corps.

Je croise rapidement le panneau derrière lequel notre voiture est cachée. Sinon nos victimes risqueraient de nous voir de trop loin.

Cette studebaker light six sedan est confortable et agréable à conduire. D’ailleurs elle est à l’origine de mon association avec Josh. Si ses talent ont toujours été limités, par contre il a toujours su bien s’équiper. Finalement il me manque un peu plus que prévu.

Je dérouillerai sans doute moins à son volant qu’avec ce lourd camion. Qu’est-ce qu’il me prend ! Tu ne me feras pas abandonner la cargaison. Il n’est pas question que je t’ai frôlé inutilement.

Cet alcool je l’ai gagné, et le garde. La grange abandonnée que Josh et moi avons aménagé en planque, n’est pas si loin. Un peu quand même, mais je peux y parvenir. Il suffit juste de s’accrocher. Je pense à tout cet alcool, et ce pognon qui en découle. J’y ajoute notre rivalité.

Le tout me suffira pour tenir.

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