1. Loup

5 minutes de lecture

Depuis quelques jours le froid avait envahi les rues de Stannarg, la cité des Larmes. Quelques rares flocons chahutaient avec le vent du nord. L'hiver étendait ses bras glacés sur le pays et avant la nuit, la neige recouvrirait le sang versé.

Un homme vêtu d'une longue cape noire venait d'entrer dans le cimetière de la ville. Sa démarche trahissait un homme aux abois mais pas une proie.

Une brume épaisse serpentait entre les stèles de pierre, elle glissait, s'attardait, semblant lire les épitaphes. Les anciens racontaient que le brouillard du cimetière était vivant. Les jeunes s'en moquaient.

L'inconnu s'arrêta brusquement et s'agenouilla devant une tombe anonyme. Sans fleurs et sans corps, juste un symbole, un souvenir lointain.

Des murmures se faufilèrent entre les arbres centenaires, l'homme se releva vivement, se saisit d'une petite dague et s'entailla la main en marmonnant quelques mots inaudibles.

Quatre silhouettes surgirent d'entre les tombes. L'attaque fut rapide. La riposte fulgurante.

La première ombre tomba, la gorge tranchée. La deuxième tenta de récupérer, en hurlant, ses intestins s'échappant de son ventre ouvert. Les deux autres, prises de panique, s'enfuirent dans le dédale des vieilles pierres. Elles tombèrent une à une, sans avoir pu crier.

Calmement l'homme retourna vers la tombe, serra sa main lacérée pour en faire couler le sang. Un filet pourpre glissa sur la stèle et s'insinua dans la pierre révélant un nom perdu. Il chuchota quelques mots. Trois phrases qui scelleraient son destin.

— Je n'aurais de repos qu'à leur mort. Je ne suis plus homme. Je deviens Loup.

Le désir de vengeance et la haine le rongeaient de l'intérieur comme un acide qui coulait dans ses veines. Peut-être en mourrait-il mais son choix était fait.

Loup se retourna et leva les yeux vers le ciel.

Des milliers de flocons voletèrent autour de lui et ses cheveux noirs se tachetèrent de blanc. Dans quelques heures, les cadavres seraient couverts. Les tombes disparaîtraient. Le sang aussi.

Il aimait la neige.

Celui qui s'appelait dorénavant Loup, sortit du cimetière et se faufila dans les rues étroites et sombres. Les pâles lueurs des lampadaires semblaient flotter dans le déluge blanc. La visibilité ne portait qu'à quelques mètres cependant Loup connaissait parfaitement le chemin qui menait à la taverne de l'Ours Endormi, sa destination. L'auberge se situait dans un quartier peu animé de Stannarg. On n'y venait jamais par hasard. Le tavernier était un vieil ami, un voleur repenti. Sa bière était la meilleure de la cité et son ragoût était réputé jusque dans les Terres Brûlées du sud.

Loup s'arrêta et leva les yeux vers la vieille enseigne qui se balançait mollement en couinant. Il eut un pincement au cœur. Son père l'avait sculptée.

Il entra, secoua ses vêtements. L'endroit était désert. La plupart des tables étaient disposées autour d'un grand feu qui brûlait avec force au centre de la pièce. Plus loin dans le fond, le comptoir avec derrière une silhouette familière.

Comme toujours, Yian l'accueillit chaleureusement. Il l'enlaça sans douceur mais avec bienveillance dans ses bras gigantesques, il l'embrassa bruyamment sur les deux joues et éclata de rire. C’était un solide gaillard grand comme un ours des montagnes, le visage rond caché sous une barbe immense et des sourcils broussailleux grisâtres qui trahissaient son âge vénérable. Ils s'installèrent à une table près de l'âtre.

— Depuis le temps fiston! Quelles sont les nouvelles?

Loup ne dit rien.

Le regard de Yian se fixa sur la main bandée de son ami.

— Tu t'es donc décidé.

Le jeune homme baissa la tête, semblant chercher ses mots dans les méandres et lézardes du vieux bois de la table.

— Ça me ronge. Il faut que j'en finisse.

Dans son regard se mêlaient la détermination et la crainte. Yian posa sa main gigantesque sur l'épaule de Loup.

— Je suis ton ami, je devrais essayer de t’en dissuader…

Loup eut un sourire en coin.

— Mais tu ne le feras pas.

— En effet, c'est ta décision fiston et j'en ai pris suffisamment de mauvaises sur de mauvais conseils pour t'éviter un discours de vieil ours qui sait tout. Et puis tu es une saleté de tête de mule! Mais compte pas sur moi pour désespérer avec toi!

Son rire résonna dans l’auberge.

— Donc c’est peut-être la dernière fois que l'on trinque ensemble! Buvons jusqu’à l’aube et peut-être qu’il te poussera du poil sur le torse petit!

Le vieil homme ramena deux pintes. Les verres s'entrechoquèrent et la bière coula sur leurs mains.

— A ta vengeance!

Loup inclina la tête en signe d'acquiescement. Et les deux hommes étanchèrent leur soif.

Un bref silence et Yian parla.

— Je t'ai déjà raconté comment j'ai connu ton paternel?

Loup fit non de la tête.

— Comme tu le sais je n’ai pas toujours été aubergiste. J’ai longtemps gagné ma vie en détroussant des voyageurs.

Loup ricana.

— Tu as essayé de le voler?!

Yian soupira en souriant.

— Oui. C’était un sacré gaillard ton père, fort comme un taureau. On s’est battu. J’ai perdu mais j'ai gagné un ami.

— Pourquoi ne m’en avoir jamais parlé ?

— Je suis en train de le faire.

Il lui fit un clin d’œil.

— Ton père m'a beaucoup aidé, plus que personne sur ces foutues terres gelées, cette taverne c'est grâce à lui tu sais. J’appréciais sa franchise et son honnêteté sans doute parce que ce sont des vertus que je n’ai jamais possédées.

Loup sourit.

— Un jour il m’a demandé de jeter un œil sur toi à sa mort. Il savait qu’il ne te verrait pas vieillir.

— J'ai une question mais ne prends pas ça comme un reproche. Pourquoi tu n'es pas venu à son enterrement?

Yian soupira.

— Je suis pas doué pour les adieux. Les cérémonies c'est pas mon truc mais si tu avais levé les yeux vers la vieille tour à côté du cimetière. Tu aurais vu un vieil abruti, la tête baissée qui pleurait son ami.

Les yeux de Yian s'étaient emplis de larmes qu'il balaya d'un revers de la main.

— Merci.

Loup tendit sa main et la posa sur l'épaule de son ami.

— Bon allez changeons de sujet! Je vais commencer à déprimer. Te souviens-tu du troll de la Vieille Forêt?

— Encore cette histoire à dormir debout.

— C'est une histoire vraie! J'ai encore la cicatrice!

Il toucha son crâne à la recherche de sa vieille blessure.

— C'est marrant j'ai eu une autre version, une partie de cartes où tu aurais triché.

— Des mensonges! Sur la tête de ma femme !

— Depuis quand as tu une femme ?!

Ils se mirent à rire. Ce n'était pas qu'une simple soirée de retrouvailles, c'était aussi une soirée d’adieux.

Les bières s’enchaînèrent, au rythme des histoires invraisemblables de Yian. La nuit était profondément installée et les deux hommes avaient fini par s'endormir à même la table.

Loup s'éveilla, la bouche sèche. Les braises du feu scintillaient dans la pénombre de la taverne. Le froid s'était installé. Il se leva, secoua Yian, une fois, deux fois. Quelque chose n'allait pas.

— Yian réveille-toi!

Mais le vieil homme ne s’éveilla pas. Sa gorge était tranchée d'une oreille à l'autre. Loup recula vivement. Son esprit embrumé d'alcool ne parvenait pas à réaliser. C'était un cauchemar. Il allait se réveiller. C'était impossible.

Il tituba. Des silhouettes vaporeuses tournaient autour de lui. Il dégaina son épée mais la perdit aussitôt enlevée par une ombre. Une douleur intense dans le bras le fit grimacer. Il fut jeté à terre violemment. Sa tête percuta le sol de la taverne. Le sang coula sur ses lèvres. Son dos fut lacéré. Il allait mourir sans s'être vengé. Des cris résonnèrent dans la pénombre, puis le silence l'enveloppa. Un silence de mort.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 11 versions.

Vous aimez lire Fabrice Claude ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0