Chapitre 9 – rester immobile ou se mettre en mouvement

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Nath était bien embêté. Lidseï récupérait très bien physiquement, ça, il en était presque certain mais cela faisait à présent trois jours qu’il refusait de sortir. En faites, il ne l’avait pas vu une seule fois en dehors du lit, à croire qu’il n’avait pas encore posé le pied par terre. A chaque proposition, Lidseï disait être fatigué, mais de plus en plus, Nath pensait qu’il mentait. C’était une possibilité qu’il ne fallait jamais écarter avec cet alpha et c’était d’autant plus important que mit au pied du mur, il risquait d’attaquer. Hors à présent, il ne portait même plus un collier qui aurait pu l’arrêter dans ces cas-là. Oh Nath aurait pu lui en imposer un à nouveau, mais sa gorge portait encore la trace discrète du sévice et plus que tout autre chose, il ne voulait pas voir son regard lorsqu’il arriverait avec un tel engin… Pour le moment, ils s’en passeraient. Mais pour l’oméga cela revenait à travailler sans aucun filet de sécurité.

Laisser les choses en l’état ne lui convenait vraiment pas, alors ce soir-là, au lieu d’emmener le plateau jusque dans la chambre de son alpha, il l’installa sur la petite table à manger qui occupait une partie de l’espace de vie. Tout n’était pas encore aménagé de façon définitive, mais Nath aimait vraiment ses quartiers. Il positionna les différents plats, mettant en commun leurs deux rations, vérifia que rien de dangereux ne se trouverait à portée de main de l’alpha -un incident était bien trop vite arrivé- puis, il prit son courage à deux mains pour aller le chercher. L’objectif était simple : le faire sortir de cette pièce. Idéalement sans le mettre dans une situation d’auto-défense ou de panique pour autant.

Nath toqua, ouvrit la porte et se glissa dans l’entrebâillement pour observer l’intérieur. Lidseï s’était immédiatement redressé, il l’observait sans bouger de son angle, bien calé au fin fond du lit. Il semblait vaguement soulagé comme s’il craignait que ce soit quelqu’un d’autre. L’idée qu’il ne se sente pas en sécurité ennuya fortement l’oméga, mais cela viendrait sans doute avec le temps se dit-il.

- Tu as passé une bonne après-midi ? demanda Nath d’une voix douce.

Le regard de Lidseï se fit un peu plus hésitant puis il acquiesça doucement. En même temps, passer une bonne après-midi dans une pièce totalement vide à attendre que le temps s’écoule, ce n’était sans doute pas évident.

- Je suis content si tu as pu te reposer.

Immédiatement Lidseï se raidit comme s’il s’attendait au pire et à ses yeux, le pire arrivait effectivement.

- Il faudrait vraiment que tu te dégourdisses les jambes… alors ce soir, j’aimerais que l’on mange dans le salon. C’est à deux pas à peine. Tu me suis ?

Sans attendre sa réponse qui serait négative comme à chaque fois, Nath ouvrit davantage la porte et s’éloigna. Son cœur battait étrangement vite. Il n’était pas certain de maîtriser la situation qu’il était en train de déclencher. Par contre, il était absolument sûr que c’était la meilleure chose à faire sur le long terme.

Il fallut presque une dizaine de minute d’intense patience pour que la silhouette de l’alpha ne se dessine dans le cadre de la porte. Il était un peu moins massif. Il avait perdu en muscle durant ces derniers jours, rien qui ne soit rattrapable assez vite néanmoins, jugea Nath d’un simple coup d’œil. Depuis sa chaise, l’oméga lui offrit un sourire encourageant et l’invita à venir s’installer.

- Je suppose que je peux dire bienvenu chez nous. Je te ferais faire le tour après si tu veux. Les appartements ne sont pas immenses, mais ils sont confortables et on peut encore pas mal les équiper si on en a besoin.

Nath fit la conversation face à son alpha silencieux, juste pour détendre l’atmosphère tout en poussant les plats vers lui pour l’inviter à se servir. Lidseï hésitait mais il mangeait au plus grand soulagement de son oméga.

- Alors dis-moi… quel est ton plat préféré pour l’instant ?

L’alpha hésita sans savoir s’il y avait une bonne ou une mauvaise réponse à cette question, puis en soupirant discrètement il montra un plat en sauce particulièrement riche. Le sourire sincère qui lui répondit le perturba au plus haut point.

- Tu aimes donc les champignons ! C’est bon à savoir.

Les doigts de Lidseï se contractèrent un peu sur la table. Il se sentait horriblement mal à l’aise ici. Il ne comprenait pas pourquoi il n’y avait pas de bêta pour le surveiller. Tout semblait irréel. En faites, depuis la punition, il ne saisissait vraiment plus rien. Était-il en train de délirer ? C’était déjà arrivé à cause des drogues mais tout semblait un peu trop vrai pour que ce soit pleinement le cas.

- Quand est-ce que j’y retourne ? demanda-t-il soudain, d’une voix un peu cassée par l’angoisse.
- Y retourne ?
- Dans ma zone commune… à Orianto.

Nath resta bloqué, son couvert suspendu en l’air, figé par la surprise. Puis lentement il pencha la tête sur le côté dans une attitude purement interrogative.

- Tu veux dire dans la zone d’Atkins ?

L’alpha ne parvint ni à soutenir le regard du plus jeune, ni à pousser les mots hors de sa gorge, mais il hocha doucement de la tête, réveillant une nouvelle fois ses meurtrissures à la gorge.

- Jamais.

Le ton de Nath était définitif. Il reposa sa fourchette, toujours pleine et soupira tout en se maudissant. Il aurait peut-être dû commencer par là. Au début, l’alpha n’allait pas assez bien, puis peu à peu, une forme de quotidien s’était installée. Le fait est qu’il n’avait simplement rien expliqué à Lidseï.

- Je ne sais pas de quoi tu te souviens…
- J’ai été… punis.
- Tu crois ? Est-ce que tu te souviens de ce que tu as fait de mal ?

Le simple recul de l’alpha lui répondit et Nath n’insista pas.

- Ton collier a été déclenché. Une fois ou deux ou même trois… aller disons quatre, ça aurait pu être un enchaînement de punitions. Il aurait fallu que tu sois vraiment, vraiment très désobéissant. Je t’ai déjà vu après plusieurs punitions au collier. Tu ne tiens même plus sur tes jambes et c’est normal. Je te trouve même étonnamment endurant…

Nath s’arrêta, saisit son verre et avala une gorgée. La boule qui s’était installée dans sa gorge ne partit pas, lui donnant l’impression de suffoquer légèrement. C’était l’horreur de ce qu’il avait à dire.

- Tu ne devrais pas l’être… Cela montre toute la portée de l’abus que tu as subi… Mais ce jour-là, ton collier a été activé beaucoup plus de quatre fois. Il a été vidé…
- Vidé ? demanda l’alpha incertain.
- Oui… Tu as reçu douze doses et tu as failli en mourir. Ça n’aurait jamais dû arriver mais tu peux être sûr d’une chose, ce n’était pas une punition et tu n’as pas fait une erreur qui ait pu justifier ça.

L’oméga s’arrêta, chercha le regard de Lidseï mais il n’y trouva que du doute. Il ne savait pas comment le convaincre et l’idée qu’il puisse se sentir coupable le retournait complètement. Malgré tout, il poursuivit :

- Tu aurais dû recevoir des soins immédiats… mais ça n’a pas été le cas. Ça a été un peu compliqué d’avoir accès à toi… quand on a réussi, on t’a transféré ici. Même si jamais ça n’allait vraiment pas entre nous, tu resterais ici. Dans ma zone commune. Tu n’y retourneras jamais.

Un peu hésitant, l’alpha finit néanmoins par hocher de la tête et marmonner doucement un « d’accord » étrangement froid et distant, comme s’il ne le croyait pas. Lidseï picora un moment avant de demander doucement :

- Je peux retourner à la chambre ?
- Oui… oui, bien-sûr.

Et l’instant d’après, Nath se retrouva seul à table à contempler les plats et tout le travail de remise en confiance qui l’attendait pour avoir une chance de détendre son alpha. Il hésita un long moment mais finit par se lever à son tour, retournant près de la porte qui était toujours entrouverte. Là, il put observer son alpha qui était retourné se blottir sur le lit. Il n’avait franchement pas l’air bien. Nath soupira attirant son attention. Le regard de Lidseï était troublé et il fut d’autant plus perturbé quand Nath lâcha finalement :

- Lidseï, ce n’est pas une chambre… C’est ta chambre à toi. Tu es chez toi.

***

Sur ses yeux clos, le poids était constant. Le cuir avait tiédi pour se mettre à la même température que son corps, un peu trop chaud. Il pouvait sentir la démarcation entre le bandeau qui l’aveuglait et la cagoule qui venait le recouvrir. Parfois, c’était l’inverse. Le bandeau était positionné sur la cagoule afin de pouvoir être retiré plus facilement et de lui rendre la vue. Cette disposition annonçait bien la volonté de son oméga pour la journée ou peut-être la semaine : il resterait aveugle. Sous ses narines, l’air chaud qu’il expulsait revenait le frapper, faute de pouvoir s’échapper facilement vers l’extérieur malgré la petite ouverture qui était présente afin qu’il n’étouffe pas. Cette sensation, ce va-et-vient était l’un des rares retours qu’il percevait pleinement. Ça et son cœur battant dans sa poitrine. Ce cœur pulsait à ses oreilles, emplies de bouchons qui interdisaient à tout bruit extérieur de lui parvenir. En contrepartie les sons de son propre corps lui paraissaient assourdissant par moment.

On aurait pu croire qu’il passait ce temps de solitude extrême à contempler sa propre vie, à réfléchir à bien des choses ou à se poser des questions. Elles auraient été légitimes d’ailleurs puisqu’il ne savait pas pourquoi il était ainsi attaché. Il n’avait pas la moindre idée de la durée qu’il lui faudrait attendre. Il ne savait pas non plus quand il pourrait manger, aller aux toilettes ou dormir. Les questions les plus philosophiques auraient été tout aussi légitimes. Parvenait-il à être satisfaisant aux yeux de son oméga ? Est-ce que sans le savoir, il avait une quelconque fonction ou une quelconque forme d’accomplissement ? Bien plus dramatiques, d’autres questions étaient tout aussi pertinentes pour lui. Pourquoi vivre si c’était pour vivre cette vie ? Quel pouvait être le sens de ce genre de quotidien ? Seulement, rien de tout ça ne lui traversait l’esprit. En réalité, il ne pensait à rien.

Dans sa tête, il n’y avait qu’un brouillard cotonneux qui ne traitait même plus les informations les plus basiques de son propre corps. Seul quelques éléments parvenaient encore à l’atteindre. Son nom, Kavri, lorsqu’il pouvait l’entendre et qu’il était prononcé assez fortement puis les ordres qui s’en suivaient, les mains sur son corps qui le manipulaient sèchement pour obtenir une position et parfois, malheureusement, les sensations douloureuses inhabituelles. C’étaient toutes ces fois où son oméga le punissait, encore et encore, sans qu’il n’y puisse rien. Le reste du temps, il était comme éteint.

Lorsqu’on le toucha, il céda à la pression et obéit, comme toujours. Il y avait des tas de rituels, de choses qui ne lui demandaient pas la moindre forme de réflexion. Quand on le faisait aller aux toilettes ou qu’on le lavait par exemple. Il y avait bien longtemps maintenant qu’il ne réfléchissait plus non plus avant de manger. Son nez n’humait pas le plat pour profiter des odeurs, la majorité de ses repas étaient d’ailleurs servi froids, le privant de bien des fumés. Il n’essayait pas d’identifier les aliments. D’ailleurs, c’était quoi les aliments ? S’il avait pris la peine d’y réfléchir, il aurait peut-être découvert avec une stupeur et une angoisse terrible qu’il n’arrivait plus à mettre le moindre mot sur la majorité des choses qui l’entouraient.

Une partie des équipements qui le comprimaient furent retirés et une voix s’éleva. Il n’y prit pas garde jusqu’à entendre son propre nom.

- … Kavri, je te laisse aller aux toilettes ?

Aller aux toilettes. Kavri se leva et se déplaça en suivant exactement le même trajet que d’habitude. Il n’en dévia pas. Il n’essaya pas d’identifier la personne qui était avec lui, notant simplement que ce n’était pas son oméga. C’était la seule information importante. La seule chose qui comptait au bout du compte. Tout ce qui restait dans son univers mort c’était son oméga, Atkins.

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