Chapitre 6 – des émotions absentes et de l’horreur

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Ce n’était pas une crise d’angoisse. Sa respiration était certes laborieuse, mais l’air passait toujours sans trop de mal. C’était pire que ça. Comme s’il était passé de son état le plus normal à quelque chose d’autre. Atkins se sentait engourdi depuis l’annonce. Pourtant il le savait. Il savait pertinent qu’il y aurait un accident comme les autres disaient. Seulement, ça n’avait rien d’un accident, pas quand on le préparait à ce point. Il le leur avait dit !

« Ferson est dangereux ! »

« Il a l’air faible mais il ne l’est pas. »

« Il va y avoir un drame s’il sort d’une structure spécialisée. »

On lui avait répondu que cet alpha avait des résultats parfaits à tous les tests, comme si c’était bon signe, comme si ça ne montrait pas seulement qu’il était malin comme un singe pour un alpha. Ferson avait réussi à dissimuler qui il était vraiment jusqu’aux premières prémisses de chaleur du petit oméga tout à fait novice et naïf à qui il avait été confié. Ce dernier n’avait même pas eu le temps de déclencher le collier et la crise de rut n’avait fait qu’empirer la situation.

Ferson l’avait violé. Ferson l’avait noué. Ferson l’avait mordu. Ferson s’était lié à lui d’une manière irrémédiable. Atkins aurait aimé vomir, mais il n’avait pas la nausée. En faites, il ne ressentait rien. Il savait que ça arriverait. C’était arrivé. Ça arriverait encore. Après Ferson, ce serait un autre. Les plus dangereux sortaient comme si de rien n’étaient. Son regard éteint se tourna vers le recoin où il avait fait installer Lidseï. Lidseï réussirait-il à violer Nathsinka et à l’enchaîner définitivement à lui ? Le potentiel était là et prévenir ne servirait à rien… une fois encore.

Sans même réfléchir, Atkins saisit la télécommande et déclencha le collier. Lidseï poussa un cri et remua. Atkins appuya de nouveau. Le corps de l’alpha bascula sur le côté, son ventre se creusa alors qu’il cherchait de l’air et un gémissement long et plaintif, d’animal blessé, lui échappa. Atkins appuya encore une fois. L’alpha se répandit totalement au sol sous le regard froid de son tortionnaire dont les doigts serraient compulsivement la télécommande. Il était peut-être impuissant pour sauver les autres, mais pas pour cet oméga-là. Pas encore. Il actionna à nouveau le collier, encore et encore, jusqu’à ce qu’il soit vide. Puis il appuya encore machinalement, mais ça ne fonctionnait plus. Il se rassit au bout d’un long moment derrière son bureau, observant l’alpha sans éprouver la moindre émotion. Ni joie. Ni colère. Ni dégout. Ni honte. Ni compassion. Rien.

Le grand corps convulsait entre ses liens, des pleurs s’échappaient de son bâillon et de l’urine lui avait visiblement échappée, mouillant d’abord ses habits puis assez rapidement le sol. Le collier émettait un léger clignotement inhabituel pour signaler que le venin présent à l’intérieur était entièrement consommé. Atkins observa la télécommande, toujours présente entre ses doigts, et la reposa lentement sur son plan de travail, au milieu des dossiers d’autres futurs violeurs. Même ça, ça ne servait pas à grand-chose. Il pouvait bien punir autant qu’il le voulait cet alpha, ça ne l’empêcherait pas de passer à l’acte le jour où il verrait une faille. C’était ce qu’avait fait Ferson après tout.

Son regard se reposa sur l’alpha inconscient. A travers le bâillon, un liquide épais s’échappait lentement. Cet idiot était en train de s’étouffer dans son propre vomi, observa simplement Atkins, sans rien ressentir de plus. Lentement, il se leva et défit l’attache avant de faire pivoter l’alpha sur le flanc, lui permettant de retrouver un peu d’air.

Ce serait tellement simple de le laisser mourir comme ça. C’était peut-être également la seule solution pour sauver Nathsinka, mais tuer tous les alphas… Non, ce n’était même pas une possibilité. La seule véritable option, il l’avait appliquée durant des années avec brio : tenir un centre dur, maîtriser les plus dangereux et laisser partir uniquement les plus doux d’entre eux. Ce n’était pas suffisant en matière de sécurité, mais ça évitait les pires agressions.

Juste à côté de la télécommande, sur son bureau, les dossiers des êtres les plus immondes qu’il connaissait s’empilaient. Atkins était censé les remettre à leurs futures victimes comme si de rien n’était. Comment pouvait-il décemment participer à cette horreur ? Perdu dans ses pensées, il n’entendit pas le bêta qui venait d’arriver avant que celui-ci ne s’exclame d’une voix vibrante d’angoisse :

- Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Le bêta courut jusqu’à Lidseï, s’agenouilla contre lui en dépit de la flaque d’urine et du vomi, et posa ses doigts sur sa gorge en tâtonnant. Un soupir de soulagement lui échappa lorsqu’il trouva son pouls, puis, il se retourna vers Atkins pour s’assurer qu’il n’était pas blessé. L’oméga semblait étrangement paisible, un peu éteint mais pas vraiment en état de choc même si son air absent aurait pu le laisser penser.

- Est-ce que tout va bien ?
- Bien-sûr que non.

Atkins se détourna en soupirant. Tout irait bien dans un monde où les alphas ne seraient plus des dangers publics. En attendant, rien n’allait bien ! Il secoua la tête, très peu de bêtas arrivaient vraiment à comprendre cet état de fait.

- Il faudrait emmener une recharge pour son collier… et nettoyer un peu avant que l’odeur ne s’installe.
- Je… je vais l’emmener à l’infirmerie.
- Hum ? Non. Ce n’est pas nécessaire. Juste le nettoyage et le collier, merci.

Le bêta resta figé, sans comprendre. Il avait déjà vu Atkins furieux. Il l’avait déjà vu punir des alphas de bien des manières qui pouvaient être jugées cruelles, violentes ou même inappropriées. Il avait vu des alphas aux os brisés geindre comme des enfants suite à certaines punitions extrêmes. Cependant, c’était la première fois qu’il n’était pas sûr qu’un alpha survive. Son regard se posa sur Lidseï. C’était un alpha dangereux, capable d’attaquer réellement. Les mensonges qui s’accumulaient dans sa bouche le rendait d’autant plus imprévisible et peu fiable. Ils avaient tous compris qu’il fallait s’en méfier, mais ça… C’était d’un tout autre niveau. En trois doses, la majorité des alphas tombaient et ne se relevait pas. Lidseï n’était pas le plus grand gabarit de la zone, loin de là même. Combien de doses avait-il reçu ? Doucement, presque plus pour lui-même qu’autre chose, le bêta murmura :

- Il a attaqué ?

Atkins l’observa un instant avant de demander d’une voix si neutre qu’elle glaça entièrement le bêta :

- Quelle importance ?

***

- Comment ça je ne peux pas le voir ? s’impatienta Nath.

Cela faisait maintenant trois jours. Bon, il avait insisté, contre l’avis d’Atkins, et ce n’était pas si surprenant que ça que le gestionnaire ait fini par bloquer ses diverses visites, les réduisant à se rencontrer dans la salle prévue à cet effet. On l’avait refoulé à l’entrée avant-hier et honnêtement, il pouvait comprendre. Seulement, hier, il avait bel et bien rendez-vous. On lui avait annoncé à l’entrée que son alpha était indisposé. C’était très rare qu’un alpha soit malade, mais ce n’était pas la seule solution bien-entendu. Nath en avait conclu que Lidseï avait encore réussi à se faire punir et sans doute un peu plus violement qu’en temps normal. Assez en tout cas, pour qu’on le laisse se reposer au lieu de l’emmener dans la salle de rencontre, supposait-il. Nath l’avait accepté sans peine.

Par contre, les chances que ça se produise deux jours d’affilés étaient bien minces, alors là, il comprenait déjà beaucoup moins.

- Je suis désolé, répondit seulement le bêta.

Et le plus bizarre, c’était qu’il avait vraiment l’air ennuyé pour lui, mais il resta silencieux sans en dire davantage.

- Est-ce que je pourrais le voir demain ? On peut reporter le rendez-vous.
- Je… Je ne pense pas non.
- Après demain alors ?
- Peut-être la semaine prochaine ?

Nath sursauta. La semaine prochaine ? Mais qu’était-il arrivé à Lidseï ? L’empêcher de le voir aussi longtemps n’avait aucun sens donc il devait y avoir un problème de son côté.

- Mais qu’est-ce qu’il se passe ?

Le bêta fit non de la tête tout en répétant qu’il ne pouvait rien dire.

- Je veux voir Atkins.
- Il n’est pas disponible actuellement.

Nath recula d’un pas. Son intuition lui hurlait aux oreilles qu’il y avait un problème. Quelque chose de profondément anormal. Il finit néanmoins par repartir, mais sur le chemin, il essaya de joindre Loodmi pour organiser un rendez-vous. L’oméga gérait leur dossier, s’il y avait quelqu’un à qui s’adresser en cas de problème, c’était bien à lui.

Très vite, Loodmi lui promit de se renseigner et d’aller voir sur place. Que l’alpha soit malade, puni ou autre importait peu. Il était dans son bon droit pour le voir et transmettre les informations qu’il jugeait pertinente à son futur oméga.

Ce dossier le frustrait d’ailleurs particulièrement, l’affrontement qui avait lieu entre Atkins et Nath n’avait rien de commun et il n’allait pas dans le sens d’une intégration apaisée de l’alpha à son nouveau foyer. De tous les dossiers qu’il gérait, c’était le plus problématique. Quelques zones communes appliquaient une forme de résistance. Atkins n’était pas le seul à avoir de grandes craintes autour de ces placements… Mais de ce qu’il avait pu en constater, Nath faisait du bon travail avec cet alpha et il était temps de leur laisser un peu plus de liberté, pas de les restreindre d’autant plus.

Le mieux qu’il avait à faire était de se rendre directement sur place pour rencontrer Lidseï et essayer de comprendre ce délai de plus d’une semaine entre les rencontres. Loodmi ne connaissait quasiment aucun des bêtas présents ici, mais de leur côté, les bêtas avaient reçu les fiches des différents omégas en charge des dossiers. Rentrer ne posait donc normalement aucun problème, pourtant, cette fois-ci, le bêta hésita.

- Quel est le souci ? Nous pouvons parler librement ensemble…

Le bêta observa autour de lui. Il travaillait là depuis des années maintenant. Ce petit poste à l’entrée, c’était le sien. Il caressa le bois du bureau en douceur, comme pour essayer de se rassurer. S’il devait s’opposer continuellement à des omégas, il démissionnerait se disait-il.

- Lidseï n’est pas en état d’avoir de la visite.
- D’accord, mais j’ai besoin de le voir pour comprendre…
- Il a été puni au collier.

Loodmi acquiesça, les punitions de ce style étaient quotidiennes, ce n’était pas un argument pour empêcher une visite. D’ailleurs, plusieurs rencontres avec son futur oméga avaient été réalisées alors qu’il avait reçu plusieurs doses, le laissant dans un très mauvais état. Une autre source de frustration pour Loodmi. Le bêta se mordilla la lèvre et répéta un peu plus doucement.

- Il a été puni au collier…
- Est-ce qu’il est dans sa chambre ?
- Non.
- A l’isolement alors ? Il a fait une grosse bêtise ?
- Non… Non, je crois, qu’il est toujours dans le bureau.
- Et si tu me disais exactement pourquoi nous ne devrions pas aller le voir ?

Le bêta baissa les yeux. Les consignes étaient claires. Personne ne devait en parler, sous aucun prétexte. Pourtant, la rumeur avait circulé très vite d’un bêta à l’autre. Certains s’étaient même organisés pour cacher des faits à Atkins, de peur qu’il ne recommence. La zone n’allait vraiment pas bien. Il releva les yeux, incertain. Cet oméga pourrait-il les aider ?

- Lidseï a fait une overdose. Le collier a été entièrement vidé. Il a reçu douze doses.

Loodmi posa la main sur le bureau en sentant ses jambes vaciller légèrement.

- Est-ce que c’était accidentel ?
- On n’en est pas sûr…
- ça ne peut pas être punitif. Ça n’a strictement aucun sens.

L’oméga secoua la tête. Comment ça s’était produit n’avait aucune importance au fond ou en tout cas, ça n’en avait pas pour le moment. Le bêta lui avait parlé d’un bureau, pas d’une infirmerie ni d’une chambre et après une overdose, l’alpha avait besoin de soin ou à minima de repos. Il fallait commencer par ça.

- Merci de m’en avoir parlé. Emmène-moi le voir s’il-te-plait. J’ai la charge de son dossier. Je peux m’en occuper et ce serait une bonne chose que je le fasse, n’est-ce pas ?
- … oui.

Loodmi n’avait jamais vu une overdose. Ni accidentelle, ni volontaire. Lorsque ses yeux se posèrent enfin sur l’alpha, une vague d’angoisse mêlée de dégoût le submergea. Comment avait-on pu mettre un alpha dans un tel état ? Il avait entendu vaguement Atkins, derrière son bureau, râler à propos de sa zone commune qui devenait une vraie passoire. Loodmi s’était retourné vers lui, pour l’observer sans comprendre. Comment pouvait-il paisiblement rester là à côté de deux alphas en souffrance ? Lidseï était au sol, répandu maladroitement entre ses liens. Sa peau était couverte de sueurs et son corps tordu par de légers spasmes de douleurs. Il semblait totalement inconscient. Depuis combien de temps était-il là ? De l’autre côté de la pièce, il y avait un autre alpha, maigre à faire peur croulant sous les moyens de contentions.

Loodmi murmura :

- Ça ne va pas du tout.
- Voilà au moins une chose sur laquelle nous sommes d’accord, répondit tranquillement Atkins sans la moindre émotion.

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