Sänger

6 minutes de lecture


Délicatesse envolée, la porte s’ouvrit brusquement laissant passer la silhouette d’une femme pressée. Les talons claquaient sur chaque marche des escaliers, créant une musique désagréable parfois accompagnée par les paroles vives de la travailleuse. Un long puis presque sans fin du septième étage au rez-de-chaussé où nombreuses personnes se pressaient, la fatigue se lisait sur leurs visages éprouvés par le temps et les émotions, vers la sortie du bâtiment. Dehors, le ciel se noircissait, les lumières s’allumaient comme des bougies sur un gâteau d’anniversaire. Les talons de la femme rythmaient ses respirations régulières, sa silhouette se fondant dans l’obscurité naissante et étincelante de lucioles immobiles. Le sac à main noir orné de pailettes - offert par son ex, un certain Kevin - dont la lanière pendait sur son épaule droite, traçait et creusait son tailleur noir.


Permis perdu, une erreur stupide, avait-elle raconté à son amie au téléphone deux semaines auparavant. Chaque matin, elle se levait à cinq heures et demie car elle n’était pas quelqu’un qui dormait longtemps, l’insomnie la gardant la plupart du temps éveillée, la rongeait de l’intérieur. Six heures et demie, elle sortait, portant son tailleur et ses talons, incarnant peut-être la beauté que fut autrefois sa mère. Une mère qui avait coupé les ponts avec elle à cause de son choix de carrière. Adulte de vingt-neuf ans paraissant comme une orpheline attristée, workaholic et hypocrite à temps perdu, Natalie collectionnait les relations mensongères. Le bus s’arrêtait à l’arrêt corbeau à six heures quarante, la femme montait et scannait sa carte saluant le chauffeur par politesse. Le véhicule se remplissait : des sans-abris, des travailleurs comme Natalie obligés de se lever tôt pour prendre le bus, des élèves arborant un air encore endormi,des fêtards rentrant chez eux. Sept heures quarante, le véhicule s’arrêtait en face d’un grand bâtiment entouré par une large haie. Le soir, le bus ne passait pas, forçant Natalie à marcher jusqu’à l’arrêt le plus proche, l’emmenant dans une endiablée de véhicules jusqu’à chez elle.


Parfois, le jeudi et le mardi, les soirées se transformaient en fête. Alcool à volonté jusqu’à vomir ses tripes dans les toilettes taggées et sales des bars, Natalie se laissait aller à la débauche, ballant la tête, dansant jusqu’au matin. Visage lavé, maquillage refait, la voilà le matin suivant travaillant dans son coin, souriant faussement, tendant l’oreille pour connaître les derniers potins, Natalie jouait un rôle ou plusieurs. Son comportement était destructeur pour elle et pour les autres. Infidèle éternelle, âme joueuse, cœur menteur, Natalie était la source de tous les maux. Ce soir-là, cependant, c’était un samedi. La fin de semaine avait été dans le cœur de tous les travailleurs, leurs nerfs mis à l’épreuve durant la semaine, et en particulier dans celui de Natalie qui, le lendemain, avait un charmant rendez-vous avec un certain Rodrigue, âgé de vingt-huit ans.


Une grimace se dessina sur son visage épuisé quand un bus passa le long de la rue qu’elle montait à pied. Voilà qu’elle avait manqué le bus ! La soirée commençait mal, la faim commençait à tirailler son ventre - Natalie pestait dans sa barbe, pourquoi n’avait-elle pas acheté quelque chose à la pause déjeuner ? Décidant de marcher plus doucement à cause du fait que ses pieds souffraient - peut-être qu’elle devrait investir dans un vélo ou une trottinette électrique, ça la changerait ! - Natalie ne remarquait pas l'ombre qui la suivait quelques mètres derrière elle. Enfin, ce n’était pas comme si la femme l’avait remarqué depuis le début ! Un sourire naquit sur ses lèvres. Sa future victime n’avait rien capté depuis deux semaines. Cachée dans l’ombre, une figure suivait Natalie, ses pas étant complètement silencieux. Un plaisir sournois jaillit, une sensation de danger prit brusquement sa cible alors que celle-ci se retournait brusquement. Ses yeux verts ne virent rien qu’une rue déserte. Pas un son n’était entendu à part les bruits lointains des véhicules. Natalie se pinça les lèvres - signe de nervosité - et se détourna, marchant cette fois-ci beaucoup plus rapidement. L’ombre suivit, toujours aussi silencieuse, se délectant de la peur émanant de la femme.


Natalie déboucha dans un parc ouvert, ses talons s’enfonçant dans les chemins de cailloux, tournant la tête de droite à gauche toutes les deux minutes. Un sourire se dessina sur les lèvres de la figure, marchant doucement sans perdre de vue sa cible mouvante glissant lentement dans un état de panique palpable. Elle ne se doutait pas que le cœur de Natalie battait la chamade. Il était temps de débuter le spectacle. Le parc se situait près de la forêt. Elle n’avait aucun doute que sa cible se perdrait dans la forêt avant qu’elle ne s’en rende compte. Natalie pestait contre ses collègues, les bus qu’elle avait déjà raté et l’immense parc, ce qui était inconscient. Mais cela arrangeait bien son stalker.


It shouldn't be this hard to just live your life

Beat and torn apart by this pointless strife

Targeted for something I can't control

'Fraid that what came next was inevitable*


La femme se figea complètement à l’entente de la voix épicène qui résonnait dans le parc, provoquant une vague de frissons. Son sang se glaça instantanément. Natalie retira ses talons et commença à courir. Son stalker suivit, un sourire sadique plaqué sur son visage, ses grandes jambes rattrapant la forme déjà haletante de sa cible. La femme entra plus profondément dans la forêt, la panique se peignant sur son visage tandis que la musique ne cessait pas, les instruments devenant lent et changeant de son. Un cri s’échappa de ses lèvres quand son pied droit s’achoppa, son corps bascula et s’écroula par terre. Ravalant un gémissement, Natalie se releva, l’adrénaline aidant grandement et continua de fuir, consciente que le danger se trouvait sur ses traces. Et ça la faisait sourire, ça lui plaisait. Bien que sa cible était ennuyante, la tuer lui procura un grand plaisir. Se faufilant entre les arbres, restant toujours à une distance raisonnable - c’est-à-dire très proche - de sa future victime, elle chantait des mots et parfois des couplets de chansons.


Are you insane like me?

Been in pain like me?

Bought a hundred dollar bottle of champagne like me?

Just to pour that motherfucker down the drain like me?

Would you use your water bill to dry the stain like me?**


Un frisson parcourut l’échine de sa cible. Celle-ci commençait à ralentir, le manque d’énergie se faisant ressentir sur ses traits. La femme blémit en se rendant compte dans quelle position elle se trouvait. Ses yeux verts cherchaient frénétiquement une sortie. Puis, ils se posèrent sur sa silhouette adossée à un tronc arborant un sourire cruel. Ses yeux violets se posèrent sur la forme tremblante, elle se détacha avec lenteur tel un prédateur se rapprochant de sa proie. Un gloussement s’échappa de ses lèvres, une lueur de folie brillait dans son regard violet. Natalie était figée sur place, incapable de bouger, la peur la paralysait. Son gloussement se transforma en rire. Sänger riait à gorge déployée. Elle saisit le menton de sa victime passant une main sur sa joue pâle. La peur se dégageait de la forme essoufflée, elle prenait et alourdissait les membres de Natalie. Celle-ci se mit à plaider pour sa vie, pensant que si elle jouait de son charme, elle arriverait à fuir le danger. Sa cible se cambra brusquement, Sänger venait d’enfoncer la lame d’un couteau dans l’estomac de sa victime.
Son rire avait cessé. Son sourire était large. Elle se délectait des gémissements de douleur de sa victime, sortant rapidement son couteau et l’enfonçant à nouveau, éclaboussant l’herbe et sa victime d’un liquide carmin. Natalie tomba sur ses genoux, échappant à l’emprise de son agresseur, les larmes coulant sur ses joues.

  • P.. Pourquoi ? bredouilla la voix affaiblie de sa cible, ses paupières devenant lourdes dû à la perte de sang qu’elle subissait.
  • Parce que ça m’amuse ! répondit Sänger, ses yeux violets fixant ceux de sa victime alors qu’elle s’attelait à sa tâche. Je sais tout de toi… (Un gloussement retentit.) Shhh...Je vais m’occuper de toi… (Un cri silencieux s’échappa des lèvres de sa proie.)

Le couteau glissa, découpant avec aisance une large plaie. Sänger enfonça son bras droit dans la blessure, l’élargissant, jusqu’à atteindre le cœur battant de sa victime. Enveloppant sa main couverte d’un gant noir, elle saisit l’organe et l’arracha d’un seul coup. Natalie cessa net de vivre sous le regard déçu de sa meurtrière. Celle-ci déposa l’organe sur la poitrine de sa proie. Léchant ses doigts ayant développé quelques années auparavant l’habitude de goûter le sang de ses victimes - non, Sänger n’était pas une vampire - son palais s’était développé grandement grâce à cela. Elle ensacha le cœur de sa victime puis déposa le sachet dans un sac pendant à son épaule gauche. Abandonnant le corps dans un trou creusé au préalable dans la journée, elle poussa la terre dedans jusqu’à le recouvrir totalement avant de planter une plante achetée ce matin-même. Au clair de la lune, la meurtrière disparut dans les ténèbres.


*Toby - Madame Macabre.

**Gasoline - Halsey.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire AresPhóbos ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0