Grand'Spart

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Texte réalisé dans le cadre d'une activité sur Discord. 

Thème : À l’angle de la rue


Le cordon se brisa d’un coup sec. Les rideaux s’écartèrent et révélèrent ainsi à quiconque une rue aux douces couleurs d’automne. La barrière fut rapidement franchie par une endiablée de pas. À quelques mètres, une ribambelle de musiciens se mit à jouer un morceau familier. Cette belle musique, aussi chaleureuse que puissante, se répandait dans l’avenue. Huit heures sonnèrent brusquement, annonçant alors le début de la journée. Les enseignes levèrent leur étoffe, hissèrent leur drapeau et attendirent patiemment l’arrivée des clients.

Madeline, la boulangère du quartier, donnait un brief à son équipe. Quatre personnes au total, dont deux qui géraient la boutique, tandis que les autres jouaient dans l’ombre. Antoine, le distributeur de journaux, terminait à peine sa première tournée que de nombreuses requêtes bombardaient son courriel. Adelaïde, souvent appelée « Addie » par ses voisins, préparait les tables dans son petit café où chaque matin, les commerçants y venaient boire un coup. En face de ces trois adelphes, le cinéma de Maellis faisait carton plein. L’immeuble se distinguait par ses couleurs vives, se caractérisait par le dragon sculpté à même la pierre. De grandes salles toutes aussi confortables les unes que les autres : des canapés pour trois voire quatre personnes, des lits ainsi qu’un espace de restauration pour les soirées-films. Maellis était la pionnière de ce concept, qui à l’heure actuelle, se répandait à travers le pays. Sa sœur, Aris, une grande oratrice, exerçait souvent sa voix dans une pièce privée, se prêtant à des jeux pour mieux servir son prochain lors de ses représentations. Leur frère, Mathieu, l’excellent pâtissier, posait la carte de ses desserts et friandises à l’extérieur de son magasin. Au centre se trouvait une fontaine, mise à l’honneur à la fondatrice de Grand’Spart, une célèbre guerrière de l’époque antique, dont le temple surplombait la ville. C’était un bassin dont son noyau était le socle d’une immense statue habillée d’une armure grecque, coiffée d’un casque, qui tenait un bouclier et brandissait une longue épée.

La rue était unique. D’une longueur à couper le souffle, aussi bien littéralement que métaphoriquement, d’une largeur à faire pâlir les architectes, elle offrait un spectacle impressionnant aux rares visiteurs. Perpétuellement illustrée par ses banderoles colorées, des armoiries symboliques appartenant aux divers clans de Grand’Spart, de drapeaux fabuleux, l’avenue accueillait des troupes de musiciens en tout genre, des marchands de légumes venus exporter leurs produits, des vétérans de guerre qui profitaient des récompenses du gouvernement. Elle respirait un air de victoire, un bonheur inoubliable en dépit de la misère qui frappait le pays. On rendait hommage aux morts et aussi aux vivants, à ces personnes fabuleuses qui avaient combattu pour la liberté. Au lendemain de la victoire face aux pays voisins, leurs frontières s’étaient fermées comme pour punir leurs ennemis. Le temps n’était plus à la guerre mais à la reconstruction. Madeline et Mathieu gardaient les invendus de leurs boutiques respectives, les réunissaient dans des paniers que Miriam, la femme de Madeline, donnait aux orphelins. Antoine lui chinait des magazines, des bandes dessinées, des livres et des jeux, tentait de contenir l’espoir dans leur bulle, voulait offrir aux familles un sursis à leur supplice qu’était le deuil. Addie invitait tous ses voisins chaque jeudi pour un repas. Maellis proposait à qui le souhaitait une soirée gratuite au cinéma, chaque lundi. Aris chantait lors des fêtes organisées par le Conseil de la ville.

Plus loin, après les nombreuses jardinières de fleurs, se dessinait les premières marches qui menaient au temple d’Alala, cette fameuse combattante à l’apparence figée par l’immortalité. Champion et fille d’Arès, Dieu de la Guerre, la Vanguard de Spartes, et plus tard, de Grand’Spart, dont le genre avait été révélé longtemps après la chute de Spartes. Des pavés coloraient l’avenue, elle-même se divisait en plusieurs rues et venelles. Au sommet, le temps se dressait comme un éternel bâtiment, d’une puissance inégalité, d’un passé à faire frémir les plus aguerris. C’était un ancien qui ne cessait de veiller sur la population de la Capitale Militaire du pays. On pouvait, sans aucun doute, reconnaître l’architecture grecque tachée par les infrastructures romaines, qui, au fil des années, avaient subi quelques modifications. On apercevait à une bonne hauteur, les coudes sur les rambardes, la place publique où l’échafaud inondait les citoyens de ses mémorables exécutions. Le dimanche, lors de la célébration d’Arès — patron de Grand’Spart — le clocher sonnait le glas ; les bourreaux sortaient de la foule, vêtus de leur longue cape sombre à l’effigie du royaume. Les criminels défilaient, les poings liés, faisaient face au jugement de la foule et leurs âmes filaient vers les Enfers.

Alala errait, à peine reconnue par ceux qui l’admiraient, semblait presque ne faire qu’un avec la brume. L’immortelle se mêlait à la joie apportée par sa victoire — c’était la première fois en cinq siècles qu’on lui demandait de l’aide pour faire face à ces puterelles — qui n’était presque pas teintée par la misère. Si les citadins la respectaient pour ses exploits, personne ne lui faisait la conversation. À quoi bon d’être immortel si tout le monde l’évitait comme la peste (le fléau) pour être la personne qu’elle était ? Pourquoi son père l’avait choisi ? Un soupir quitta ses lèvres alors qu’elle tournait à droite dans une venelle, consciente que quelques vétérans la suivaient. Sa main droite se posa sur le fourreau en dépit qu’elle ne sentait aucun danger de ces gens, elle continua son chemin dont les murs des bâtiments se rapetissaient. Au bout de la ruelle, Alala se hissa en hauteur en s’appuyant sur les murs de brique puis tomba derrière ses harceleurs et dégaina son arme. Ils se retournèrent une seconde trop tard. L’immortelle menaçait un jeune garçon.

« S’il vous plaît, ma Seigneurie, ne faîtes pas de mal à mon frère, plaida une femme coiffée d’un haut-de-forme.

— Parlez, soldats, ordonna d’une voix sec la Vanguard d’Arès.

— Nous voulions vous payer nos respects en personne. Mais nous n’avions pas le courage de vous approcher et nos compétences sociales sont désastreuses, déclara d’un ton formel un homme chauve.

— Nous sommes conscients que nous aurions pû nous rendre au temple mais nous préférons vous faire part de notre gratitude en personne, continua la chevaleresse, les yeux rivés sur son petit-frère.

— Suivez-moi, dit Alala, relâchant le jeune garçon. »

La combattante éternelle rangea son épée dans son étui. Ils sortirent de la venelle et déboulèrent dans un immense parc où des arbres fruitiers vivaient en harmonie. Des parterres de fleurs encadraient des sentiers, dessinaient des points d’eau, esquissaient la beauté de la nature. Ils continuèrent leur chemin à l’angle de Rue de Perséphone où un quartier résidentiel se révéla : des maisons construites de terre cuite et de briques possédant des fenêtres colorées qui se réfléchissaient à la lumière naturelle. Les chemins se divisaient encore et encore alors que les habitations de la ville se découvraient peu à peu. L’immortelle avançait rapidement, forçant les vétérans à presque courir pour la rattraper. Le plat disparaissait, la pente devenait de plus en plus raide. Pourtant, la détermination ne faiblissait pas.

À l'opposé de la montagne sacrée, où Alala vivait depuis des siècles depuis la chute de sa cité, le groupe se trouvait au sommet de la Colline aux Morts, là où les premières pierres avaient été posé.

« Grand’Spart est issu d’un fragment du passé. Du mien, du vôtre, de celui des Dieux. »

Certains soutenaient que la ville n’était qu’un labyrinthe construit pour se moquer des potentiels envahisseurs. Le Vanguard d’Arès se tourna vers les hommes et femmes, leur incitant alors à parler sous le regard des Dieux, en particulier celui d’Arès. Le cordon se rompit d’un coup sec. Les rideaux s’écartèrent et révélèrent ainsi à ces braves gens le Conseil Olympien, dont les couleurs d’automne se dégageaient sur la splendeur de leurs habits. Le silence fut rapidement cassé par l’immense respect des Grand’Spartiens.

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