Haricot

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Le vingt-trois septembre commençait à peindre une orbe scintillante dans le vaste ciel bleu où un vent frais caressait les habitants du hameau. La douceur de l'équinoxe de l’automne s’épanchait rapidement comme une traînée de poudre.

Un véhicule de la marque Dacia, un engin de couleur noir, roulait sur le bitume traversant des forêts et des prairies. Le conducteur, un jeune homme ayant atteint sa trentième année de vie le mois dernier à l’allure d’un damoiseau, vêtu d’un costume trois pièces gris foncés, écoutait la radio qui diffusait de la musique rock. Il revenait d’un mariage ; celui d’un ami qu’il connaissait depuis le primaire. Adrien n’était resté qu’une seule journée, le temps de supporter et d’emmener le couple de mariés dans leur nouvelle vie, de leur donner une dernière part de lui-même. Adrien savait que la vie allait les séparer, ils ne le verraient plus jamais.

Le regard du damoiseau se posa sur le rétroviseur. Derrière, sur la banquette arrière se trouvait mademoiselle Haricot, sa grande-tante. Un rictus apparut sur son visage tandis que les animateurs de la radio annonçaient les nouvelles en allemand. Adrien n’avait aucun doute que sa grande-tante comprenait. Durant sa jeunesse, elle avait passé du temps en Suisse allemand avec la famille de son père puisque ses parents n’avaient jamais été ensemble.

  • N’oublie pas de prendre le premier voyageur que tu croises, pronipote.
  • Bien entendu, nonna, répondit Adrien avec un sourire joyeux.

Les arbres déjà teintés de couleurs automnales s’agitaient au rythme du vent. Des nuages blancs devenant lentement gris se joignaient au bal que le soleil animait. Ses rayons se reflétaient sur l’eau, s'infiltraient à travers les arbres, se faufilaient entre les bâtiments comme un voleur et se fracassaient contre les vitres. Le véhicule emprunta une route menant à un rond-point puis il prit la troisième sortie déboulant à travers un hameau dont les vieilles maisons incarnaient la solitude. Adrien attrapa un bouton avec sa main libre, grommelant lorsqu’il entendit une musique qu’il n’aimait pas, changeant de radio. Il saisit son paquet de cigarette, sortant une clope puis il la mit dans sa bouche. Avec un briquet, il l’alluma.

  • Tu devrais cesser de fumer, pronipote, déclara sa grand-mère, son chapeau fleuri cachant aisément son visage.
  • Ce serait plutôt à moi de dire ça, nonna ! rigola Adrien, restant concentré sur la route.

Marc avait été surpris de le voir débarquer à son mariage avec sa grand-mère cependant il avait rapidement accepté sa venue et l’avait invité à la table principale. La veille avait commencé le mariage à la mairie puis ils s’étaient réunis devant le bâtiment pour faire une photo collective.. Sa grand-mère n’avait pas parlé un mot de toute la journée, prétendant ne pas parler français, préférant observer les jeunes gens, les enfants et les adultes s’enivrer, danser, se bâfrer. La paire s’était absentée durant la soirée, choisissant ce moment pour disparaître complètement du couple. Cette décision déchirait le cœur d’Adrien cependant, c’était nécessaire, quelque chose qui devait être absolument fait.

  • N’es-tu pas triste, Adrien ? questionna doucement la femme âgée, relevant la tête pour fixer le rétroviseur, là où elle pouvait voir les yeux céruléens de son grand-neveu.
  • Je suis accablé par ce choix. Mais c’est pour la bonne cause, murmura-t-il en réponse.
  • Il pourrait mourir s’il venait à savoir ce que nous faisons comme travail, soupira la grand-mère.

Elle appréciait bien Marc. Il n’était pas rigide comme son père l’avait été. Il était une personne joyeuse, ayant une dent sucrée, il n’hésitait jamais à dire ce qu’il pensait, Cependant, c’était quelqu’un d’extrêmement gentil.

  • Quelqu’un est sur le bord de la route avec un carton. Qu’est-ce qu’il a écrit ? pensa à voix haute le conducteur en ralentissant.
  • Il écrit mal, commenta sa grand-mère quand le véhicule s’arrêta à quelques mètres du voyageur.

C’était un homme d’une cinquantaine d'années dont les cheveux blancs se distinguaient déjà dans sa chevelure brune. Il était coiffé d’un bonnet vert. Il était vêtu d’un jeans troué bleu, d’une paire de chaussures de randonnée ainsi que d’une chemise grise et noire avec par-dessus une veste. L’homme sourit, la chance se présentait finalement à lui. Son ventre se noua, un sentiment de malaise prit place, cependant il l’ignora s’approchant à grand pas de la voiture. Le conducteur baissa sa vitre, lui souriant, avant de demander d’un ton charmant :

  • Où est-ce que vous allez, mon bon monsieur ?
  • N’importe où. Là où vous pourrez m’emmener. N’importe, répondit aisément le plus vieux, apercevant la silhouette d’une femme à l’arrière de la voiture.
  • Très bien, alors montez. Mettez vos affaires dans le coffre.
  • Merci.

Dès qu’il eut mit son sac à dos dans le coffre du véhicule, il vint s’asseoir sur le siège passager, jetant des coups d'œil à la vieille femme qui n’avait prononcé aucun mot depuis son arrivée. Adrien démarra le moteur, la voiture reprit sa route vers sa destination.

  • Je suis Adrien, voici ma grand-tante Élise, se présenta le conducteur, baissant le son de la radio.
  • Antoine, informa d’un ton neutre le nomade avec un petit sourire. Que faites-vous sur les routes ? demanda-t-il à la paire.

Élise ne répondit pas, préférant observer cet homme. Celui-ci paraissait être confiant. Il était tel un roi, parcourant cette terre comme s’il la possédait. Un roi déchu, certainement, nota-t-elle dans le coin de son esprit. Il ne semblait pas réaliser les dangers qui courent dans leur monde, rampant vers ceux qui n’ont pas de prudence en eux. Ce dénommé Antoine ferait entièrement l’affaire.

  • Nous revenons d’un mariage. Nous rentrons chez nous à Charta, un petit hameau en Bourgogne, répondit sans mentir une seule fois le plus jeune du groupe. Êtes-vous un voyageur ? N’avez-vous donc pas de maison où aller ? interrogea d’un ton plaisant Adrien, tournant le volant à droite pour permettre à sa Dacia d’emprunter une autre route départementale.
  • Un nomade oui. Non, je n’ai nulle part où aller mais c’est un choix.

La paire acquiesça à ses mots. Le silence vint, s’installant sur son trône tel un roi surplombant ses sujets. Antoine porta son attention à la fenêtre, observant la campagne bourguignonne paradait. Il sentait le regard brûlant de la vieille femme dans son dos, amplifiant le malaise qu’il ressentait depuis le début du trajet. Il se mordit la lèvre, tournant son regard vers Adrien, le conducteur, apercevant un sourire à faire froid dans le dos. Pour une raison inconnue, il ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’il avait posé le pied dans un grand merdier. Il se demandait constamment si c’était une bonne idée de voyager avec ces deux personnes. Elles semblaient normales à quelques exceptions près cependant, la normalité restait une question de point de vue. Que pouvait-il bien lui arriver ? Antoine secoua la tête d’un air absent. La fatigue le rendait probablement maboule. L’heure passa rapidement au rythme de la musique. Puis, des bâtiments jaillirent dans son champ de vision, annonçant sa destination.

  • Antoine, appela Adrien, sortant son passager de ses pensées. Souhaitez-vous que nous vous déposions dans ce village ?

Le cœur battant la chamade, Antoine accepta sans un mot. Ses instincts lui criaient de sortir de la voiture le plus rapidement possible. Le véhicule arriva dans le hameau, passant dans une rue étroite avant de se garer sur le bas-côté près d’une maison aux volets fermés. Il ouvrit brusquement la portière du véhicule encore en marche, posant un pied dehors. Il enchaîna avec l’autre et se précipita vers le coffre. Il récupéra ses affaires, par la suite il reprit son chemin, décidant de traverser le hameau. Au fur à mesure que les secondes passées, il augmentait le rythme de ses pas.

  • Pronipote, suis-moi bien et discrètement, il est temps de capturer notre repas, déclara Élise révélant son plus beau sourire, des dents jaunies dont des morceaux de chair étaient coincés.

Adrien hocha la tête. La porte arrière claqua. Élise suivit tel un prédateur sa proie à une bonne distance de lui, faisant attention à ne pas éveiller ses soupçons et évitant de faire du bruit. Cela lui rappelait sa jeunesse où elle accompagnait son père chasser. Ses yeux pétillaient de nostalgie à ces souvenirs. L’homme était plus jeune qu’elle néanmoins il n’était pas méfiant. Cela l’avait surpris qu’il fasse confiance à ses instincts. Elle l’entendit pester usant d’un langage que son père n’aurait pas toléré, il aurait sans aucun doute lavé sa bouche avec un os comme punition.

Brusquement, elle détala vers sa cible comme un lièvre et se jeta sur cette dernière. Ses dents s’enfoncèrent dans l’épaule droite d’Antoine avant de reculer tandis qu’il hurlait de douleur, son cri brisant le silence mortuaire. Adrien débarqua au même moment, barrant la route à leur proie. Il attrapa l’homme par son cou et le plaqua contre l’engin, souriant cruellement à l’humain qui se débattait.

  • Accepte l’haricot, ta chair est un délice.

La vieille femme rit, laissant son apparence humaine disparaître : des appendices flottaient dans son dos, son visage était grisâtre, du sang sec tâchait ses dents. Adrien délaissa son enveloppe humaine, étirant ses tentacules avec un petit gloussement.

Le nomade sut immédiatement qu’il était tombé sur les monstres qui se faufilaient dans l’ombre de l’humanité. Sa mère avait eu raison à son sujet, au final.


Pronipote - grand-neveu/ grande-nièce.

Nonna - grand-mère.

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