Chapitre 42

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Comme une toute dernière accroche au monde qui l’entourait, Eldria tenait la main de Dan aussi fermement qu’elle le pouvait. Il n’était pas question qu’elle le lâche et se retrouve seule, perdue dans les airs, bringuebalée par le vent à attendre que la fin ait lieu.

La chute sembla durer une éternité. Une très, trop courte éternité. Lorsqu’au dernier moment elle rouvrit les yeux alors que l’air autour d’elle lui sifflait intensément aux oreille, elle vit les remous erratiques du cours d’eau dans lequel elle s’apprêtait à plonger. Elle eut l’impression de rendre son dernier souffle, de voir ses dernières couleurs, de pousser son dernier cri. C’en était sûrement fini d’Eldria Calann, dix-huit ans, fermière de son état.

L’impact fut bref mais cataclysmique. Ce fut comme tomber violemment de cheval et se faire immédiatement piétiner par des milliers de tout petits sabots. Des sabots glacés... Le fond de l’air était gelé mais, trop occupée à tomber, elle y avait à peine prêté attention. Là, immergée intégralement, elle ne pouvait pas l’ignorer. Son corps entier n’était plus que froideur, du bout de ses ongles jusqu’à l’intérieur de son cœur.

Les palpitations frénétiques de ce dernier, comme soudainement refroidies par l’insupportable température, s’étaient d’ailleurs calmées d’un seul coup. Elle se sentit bientôt sombrer dans l’inconscience. Dans un dernier geste réflexe, elle resserra la main pour voir si Dan était toujours près d’elle. Ses doigts ne rencontrèrent malheureusement que sa propre paume.

Par miracle, elle eut un ultime sursaut salvateur, comme si son corps réagissait de lui-même pour ne pas que sa flamme de vie s’éteigne aussi facilement. Elle se débattit avec fougue jusqu’à ce que son visage retrouve enfin le chemin de la surface. Quand sa tête émergea des flots agités, le vacarme sourd du torrent se fit beaucoup plus intense.

Elle eut à peine le temps de prendre une profonde inspiration que déjà elle eut de mal à se maintenir à la surface de l’eau. C’était une bonne nageuse, mais jamais elle n’avait eu à se baigner dans des conditions aussi peu propices à la natation. Le courant était si intense qu’elle put apercevoir les arbres sur la berge se déplacer à toute vitesse. Des remous disparates l’empêchaient sens cesse de se maintenir à l’air libre. Pour ne rien arranger, le froid endolorissait ses muscles déjà peu vaillants, sans parler de sa cheville gauche qui la lançait douloureusement à chaque fois qu’elle agitait frénétiquement les jambes pour éviter de se noyer.

– Dan ! lança-t-elle entre deux bouffées d’oxygène.

Elle avait si froid qu’elle ne fut même pas sûre d’avoir réussi à émettre le moindre son. Elle tenta tant bien que mal de chercher tout autour d’elle dans l’espoir de voir les cheveux bruns de Dan dépasser d’entre les vagues. En vain.

– Dan ! appela-t-elle de nouveau cette fois-ci après avoir pris une profonde inspiration

Seul le bruit constant des flots lui répondit. D’ailleurs, maintenant qu’elle y pensait, ce bruit sourd semblait s’intensifier à mesure qu’elle dérivait, portée par le courant.

Regardant dans le sens de l’écoulement des eaux, elle fut soudain frappée d’une vision d’horreur...

Sur la berge, la ligne continue des pins s’arrêtait net. Les tourbillonnements du torrent devenaient de plus en plus puissants. Cela ne faisait aucun doute : elle s’approchait inexorablement d’une falaise, et donc d’une cascade !

Prise d’un brutal accès de panique en voyant le bord du précipice se rapprocher à toute allure, elle se mit à nager avec la force du désespoir dans le sens inverse du courant, vers la terre ferme à seulement quelques mètres de sa position. Ignorant la douleur déchirante qui l’habitait, elle mit en application toute son expérience en natation, repensant fugacement à ses longues journées passées à dompter l’étendue aquatique de Soufflechamps.

Mais c’était peine perdue. Elle n’avait aucune chance, le courant était bien trop fort. Elle eut l’impression d’être aspirée dans un immense tourbillon. Bientôt, elle fut de nouveau engloutie par les flots tumultueux.

Tout se passa ensuite très rapidement. Elle eut tout d’abord le sentiment de s’être envolée, avant de ressentir les effets de la chute libre. Encore.

Au milieu des éphémères gouttes en suspension, elle distingua brièvement une étendue d’eau un peu plus large au moins vingt mètres en contrebas. Puis une nouvelle fois, après avoir cru sentir que son cœur voulait s’échapper de sa poitrine directement par sa gorge, elle fut aspirée dans un énorme maelstrom qui la fit tournoyer en tous sens. De peur de heurter une quelconque excroissance rocheuse, elle se recroquevilla comme elle le put.

Enfin, après un calvaire aussi interminable qu’éprouvant, elle se sentit propulsée en avant et refit surface. Les eaux s’étaient calmées et elle put enfin reprendre le contrôle de ses mouvements. Par miracle, à part à la cheville elle n’avait mal nulle part. Elle ne se réjouit pas pour autant ; ses membres étaient tellement endoloris par le froid qu’elle arrivait à peine à les bouger.

Soudain reprenant tant bien que mal son souffle, elle aperçut une forme flottant non loin d’elle. Se pourrait-il que ce soit Dan ? Sans perdre une seconde, elle nagea comme elle le put dans cette direction.

C’était bien Dan. Seul son dos dépassait de la surface, sa tête étant plongée dans l’eau.

– Oh non, dit-elle d’une voix chevrotante.

Elle s’empressa de le retourner pour qu’il puisse de nouveau respirer. Sa peau était livide. Craignant le pire, elle fit de son mieux pour l’emmener jusqu’à la berge.

Celle-ci était recouverte d’une fine couche de neige, mais Eldria n’y prêta pas grande attention. Elle tremblait de tout son corps et de la buée sortait de sa bouche, mais cela importait peu. Dan, lui, ne faisait aucune buée.

Sautillant sur sa jambe droite, elle le tira hors de l’eau, l’allongea sur le dos puis s’accroupit à ses côtés. Il ne respirait plus. Appliquant des gestes que son oncle lui avaient appris quelques années auparavant dans le cas où l’une de ses escapades au lac finirait mal, elle plaqua les deux mains l’une contre l’autre sur son torse et se mit à appuyer frénétiquement.

– S’il te plaît n’abandonne pas !

Elle insista de longues secondes, mais le visage du jeune homme demeurait désespérément fermé et immobile. Elle hésita une seconde.

– Ne... Ne m’oblige pas à te faire du bouche-à-bouche s’il te plaît ! ajouta-t-elle les larmes aux yeux. Je ne sais pas faire...

Toujours pas de réaction. Elle n’hésita pas longtemps.

Après de nouvelles séries de pressions sur ses poumons, elle approcha son visage devenu tout rouge de celui de Dan.

Mais avant que leurs lèvres ne se touchent, il rouvrit en grand les yeux et toussa dans le même temps plusieurs centilitres d’eau. Eldria ressentit un immense soulagement en même temps qu’elle s’effondra, en larmes, terrassée par l’émotion.

– Que... Comment ? bredouilla Dan après avoir littéralement craché ses poumons.

Il se frotta le crâne, où une bosse était apparue.

– J’ai dû heurter quelque chose... Je me suis évanoui longtemps ? C’est toi qui m’a sorti de l’eau ?

Prostrée au sol, tremblante, elle ne lui répondit pas. Le vent glacé et sa robe trempée la paralysaient littéralement.

Dan, qui portait une tunique et en pantalon qui lui couvraient bras et jambes, était un peu plus protégé du froid. La voyant en si mauvaise posture, comme dans la grotte un peu plus tôt et sans hésiter, il souleva Eldria. Les lèvres de cette dernière étaient en train de dangereusement virer au bleu.

– Nous ne devons pas rester ici, dit-il en s’engageant dans la forêt enneigée.

Autour d’eux, des flocons commençaient à virevolter. Une tempête de neige était en train de se préparer.

– Je l’ai ab-bandonnée... murmura Eldria.

Salini était encore dans la prison, probablement sous les décombres de l’effondrement qu’elle avait provoqué. Sans le vouloir, elle l’avait très certainement tuée. Et si par miracle elle s’en était sortie, leurs bourreaux lui feraient sans aucun doute payer sa tentative d’évasion...

– Je suis sûr qu’elle va bien, répondit Dan en leur frayant un chemin entre les branches. Surtout, tiens bon !

Trop faible pour faire attention à son environnement, Eldria abandonna son sort à Dan, sombrant pratiquement dans l’inconscience. Pendant plusieurs minutes, elle n’entendit plus que le sifflement du vent au travers des pins ainsi que le bruit des pas du jeune homme qui s’imprimaient dans la fine couche de neige.

Au bout d’un long moment, le vent se tut et les pas s’interrompirent. Eldria rouvrit les yeux pour se rendre compte qu’ils étaient entrés dans une grotte. Dan la déposa doucement au sol.

– Reste ici, dit-il. Je reviens.

Il fit alors prestement demi-tour et disparut derrière l’épais voile blanc qui s’était formé au-dehors.

Grommelant de douleur, Eldria s’adossa contre l’une des parois et regarda tout autour d’elle. C’était une petite grotte plongée dans la pénombre, d’à peine une dizaine de mètres de profondeur, mais qui avait au moins le mérite de l’abriter du blizzard qui semblait sur le point de s’abattre sur la région. Elle rabattit ses bras contre elle et se frotta les épaules en tremblant. Elle n’avait pas chaud pour autant...

Dan ne tarda pas à réapparaître les bras chargés de branches et de brindilles.

– On a de la chance, il y avait encore un peu de bois plus ou moins sec à la base de certains troncs. On devrait pouvoir s’en servir.

Il disposa l’ensemble par terre de façon à former de quoi allumer un feu puis, sans tarder, sortit de sa poche deux petites pierres qu’il se mit à frotter frénétiquement l’une contre l’autre à quelques centimètres des brindilles.

De longues minutes s’écoulèrent. A l’extérieur la nuit, tout comme le vent, se faisait de plus en plus insistante. Eldria avait si froid qu’elle ne sentait même plus ses orteils, voire ses jambes. Au moins, se dit-elle, dans ces conditions sa cheville la lançait moins.

Finalement, de timides étincelles finirent par apparaître entre les pierres. Bientôt, l’une d’elles daigna élire domicile sur une brindille, avant de se muer en discrète flammèche. Dan s’empressa de souffler dessus pour que le feu prenne. Fort heureusement, cela fut assez rapide. Il semblait savoir ce qu’il faisait.

La petite tanière dans laquelle il s’étaient terrés s’éclaira enfin. La lumière bienvenue s’accompagna d’une tant attendue bouffée de chaleur réconfortante, qu’Eldria accueillit sur sa peau avec soulagement.

– Ce n’est pas grand-chose mais ça devrait nous éviter de mourir de froid, dit Dan en continuant de s’affairer autour du feu. Avec la tempête, ils n’arriveront pas à retrouver nos traces, je pense que nous pouvons passer la nuit ici sans risque. Demain, nous repartirons...

Il était en train de disposer de longues branches inutilisées de façon à en faire reposer une au-dessus des flammes, comme s’il avait voulu faire cuire un cochon.

– Si j’avais su, j’aurais prévu des vêtements chauds et de quoi manger.

Eldria, qui n’avait pas bougé, se tourna vers lui :

– Tu n’avais pas prévu de nous faire nous échapper, n’est-ce pas ? lança-t-elle sans préambule.

Il s’interrompit un instant. Sans la regarder dans les yeux, il finit par répondre :

– Je ne sais pas... Au début je n’avais pas vraiment le choix.

– Cette femme... Tu étais de mèche avec elle depuis le début ?

Nouvelle hésitation. Il prit une profonde inspiration, comme si ce qu’il s’apprêtait à dire lui coûtait.

– Il y a trois mois, cette femme m’a convoqué pour me confier une mission particulière. Je devais gagner la confiance d’une jeune Sélénienne que je ne connaissais pas. Elle ne m’a pas dit ce que cette fille avait fait de si spécial ni ce qu’elle lui voulait, mais juste que c’était d’une importance capitale pour l’Empire. Cette jeune Sélénienne, c’était toi... J’aurais voulu refuser, mais elle avait un moyen de pression sur moi, aussi n’ai-je pas eu d’autre choix que d’accepter ses conditions.

Le regard d’Eldria se perdit dans le vague.

– Ce moyen de pression, c’est... la jeune femme qu’on a vue tout à l’heure pas vraie ? Celle devant laquelle tu t’es arrêté ?

Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, elle le sentit réellement affecté par l’émotion quand il se décida à lui répondre :

– Oui.

Depuis toutes ces semaines il lui avait caché être à la solde de l’Empire Eriarhi, même sous la contrainte. Pour autant, elle commençait à réaliser qu’elle ne lui en tenait pas rigueur.

En effet, ces révélations ne retiraient rien au fait qu’il avait toujours été respectueux à son égard – contrairement à d’autres qui à sa place auraient certainement profité de la situation – et qu’au dernier moment il avait risqué sa vie pour elle, n’hésitant pas à assassiner Madame Martone, sa supérieure hiérarchique, pour la sauver de l’enfer. Cela, jamais elle ne l’oublierait.

– Je suis désolée, dit-elle finalement à voix basse, respectant son deuil d’une personne qu’il avait selon toute vraisemblance aimée.

Il ne releva pas, préférant éluder à son tour par une question :

– Que s’est-il passé après que je me suis évanoui tout à l’heure ? Quand j’ai repris connaissance, tout était en flammes et je t’ai vue prendre tes jambes à ton cou.

– Oh, ça ?

Eldria lui raconta ce qu’il avait loupé, n’omettant aucun détail.

– Je vois, commenta-t-il quand elle eut terminé. Alors comme ça cette femme se prend pour l’impératrice Dricelys von Eriarh ? Ça n’a pas de sens, elle ne doit même pas avoir mon âge.

– Pour tout t’avouer, ça n’a pas vraiment de sens pour moi non plus. J’espérais que tu m’en apprendrais plus sur elle.

Elle frissonna.

– Je ne sais pas comment elle a fait pour se... métamorphoser comme ça devant nous. J’ai déjà entendu des histoires sur des personnes disposant de pouvoirs surnaturels, mais j’ai toujours cru que ce n’étaient que des contes pour enfants. Là, ça avait l’air si réel... Tu penses que cela a un rapport avec la salle sous-terraine de tout à l’heure ?

– Crois-moi, c’est une question que je me pose aussi. Ce qui es sûr, c’est que cette femme est dangereuse et que tu sembles importante à ses yeux. Nous devrons rester extrêmement prudents à partir de maintenant.

– ... Nous ?

Dan planta finalement ses yeux prunes dans les siens.

– Oui, nous, répondit-il en esquissant un sourire. Après ce que j’ai fait je vais être recherché moi aussi. On est dans le même bateau toi et moi.

Eldria fit de son mieux pour ne pas rougir. Peut-être tenait-il réellement à elle en fin de compte...

– Au fait, reprit Dan, tout à l’heure quand je suis revenu à moi, derrière l’épaisse fumée il me semble avoir aperçu et entendu quelqu’un se débattre et être emmené de force. Je crois bien que c’était une voix de femme. Si ce n’était ni toi, ni Martone, ni la femme qui se fait appeler Dricelys, alors c’était surement Salini... On peut espérer qu’elle va bien.

Eldria lui lança un regard brillant d’espoir.

– C’est en revanche bien trop dangereux d’essayer d’aller la libérer seuls. Il nous faudra des renforts. Tu as dit que ton oncle servait dans l’armée du Val-de-Lune c’est ça ? Si l’Empire veut mettre la main sur lui, c’est probablement pour une bonne raison, nous devrions essayer de le retrouver.

– Oui, mais je ne sais pas du tout où il est ni comment trouver sa trace... Et tu as probablement raison, continua-t-elle d’une voix résignée. Sans aide, nous ne pourrons pas sauver Salini. Ni toutes les autres...

Dan la fixa à son tour.

– Tu as du cœur, commenta-t-il simplement après l’avoir longuement jaugée.

Elle réussit à son tour à lui accorder un maigre sourire.

Mais soudain elle eut un nouveau frisson alors qu’une bourrasque venait de s’infiltrer dans la grotte et du lui balayer le dos encore humide.

Dan la remarqua trembler.

– Nos vêtements sont encore trempés, dit-il. Nous devrions les sécher, ou on risque l’hypothermie.

Il se leva et défit sa chemise et son pantalon, ne conservant sur lui que son caleçon en tissu gris. Il les accrocha ensuite sur le bois qu’il avait disposé au-dessus du feu. Cette fois-ci, Eldria rougit pour de bon.

– Tu as l’air morte de froid, tu devais en faire autant. Je me retourne si tu veux.

Sur ces mots, il s’exécuta.

Il avait raison, même si leur petit feu de fortune avait un peu aidé, le tissu mouillé de la robe d’Eldria semblait faire barrière à la chaleur. Sa peau et ses vêtements sécheraient bien plus vite chacun de leur côté...

Avec le sentiment de revivre une situation bien familière, elle se leva et défit ses bretelles. Le textile, aussi trempé que glacé, collait tellement à sa peau et de façon si désagréable qu’elle dut tirer dessus pour le retirer entièrement.

Malheureusement, lorsqu’elle reposa la jambe au sol après avoir libéré la robe, elle fit un faux mouvement et l’intense douleur dans sa cheville la fit de nouveau souffrir le martyr. Elle ne put retenir un cri.

Certainement surpris par cette soudaine manifestation, Dan se retourna et se retrouva nez-à-nez face à une Eldria crispée, se tenant la jambe gauche et sautillant sur la droite.

– Heu... commença-t-il d’un air gêné.

Eldria le remarqua, puis baissa les yeux sur son propre corps et se rappela soudain qu’elle ne portait plus de culotte depuis que le blond la lui avait arrachée plus tôt dans la journée.

– Oups... lâcha-t-elle en tentant de se couvrir avec les bras.

Dan l’avait déjà vue intégralement nue une – et une seule – fois. Pourtant, par pudeur mutuelle sans doute, ils n’en avaient jamais reparlé.

Sans se démonter, la voyant littéralement pliée de douleur, il s’avança vers elle d’un pas déterminé.

– Assieds-toi près du feu, lui intima-t-il sans faire davantage de commentaire sur sa nudité. Je vais regarder cette cheville. Si on ne fait rien, demain tu ne pourras plus du tout marcher.

Gênée, Eldria s’exécuta, veillant à dissimuler autant que possible ses attributs intimes. De son côté, Dan attrapa un bâton d’une trentaine de centimètre normalement destinée au feu, déchira sans hésiter l’une des manches de sa propre chemise qui séchait tranquillement au-dessus de celui-ci, puis s’accroupit devant elle.

– Tend la jambe, s’il te plaît.

Il ne s’était plus détourné, mais elle nota tout de même qu’il prenait bien soin de ne jamais tenter de regarder directement ce qu’elle essayait vainement de lui dissimuler.

Elle lui tendit la jambe gauche, qu’il déposa avec une infinie délicatesse sur sa cuisse à lui. Sans attendre, il fit glisser ses doigts experts sur l’endroit qui lui faisait mal, ce qui lui arracha une grimace.

– Hm... J’ai l’impression qu’elle n’est pas cassée, heureusement. C’est une simple entorse.

Il plaqua le bâton sous son mollet, déchira une nouvelle fois la manche sur la longueur pour en doubler la taille, puis commença à l’enrouler autour de sa cheville blessée.

– Avec ça et un peu de repos cette nuit, ça devrait aller.

Eldria, embarrassée par ce soudain et inattendu rapprochement, le regarda faire, le cœur battant à tout rompre.

Encore deux minutes plus tôt, jamais elle n’aurait cru qu’ils se retrouveraient quasiment l’un contre l’autre, lui à moitié nu, elle totalement. Jamais elle n’aurait cru non plus qu’elle pourrait passer d’un froid profond à une si intense sensation de chaleur en si peu de temps...

Malgré ses gestes assurés, Dan faisait preuve d’une infinie douceur, soulevant par intermittence tout doucement sa jambe pour faire passer le bandage de fortune, veillant également à ne pas trop le serrer et lui faire ainsi inutilement mal. Il était précis, énergique et bienveillant à la fois ; un véritable exploit.

Sous les mains adroites de Dan, la douleur Eldria avait miraculeusement disparu, comme si le simple fait de l’avoir touchée avait suffi à la soigner intégralement. Elle avait réellement de plus en plus chaud...

– Merci... lui dit-elle en rougissant.

– Je t’en prie, répondit-il sans quitter son activité des yeux. Tu m’as sorti de l’eau tout à l’heure, c’est le moins que je puisse faire. Heureusement que tu es meilleure nageuse que moi. Sans toi, je serais probablement mort.

Une nouvelle minute s’écoula, pendant laquelle on n’entendit que le souffle du vent dehors qui parvenait presque à masquer le crépitement du feu.

Ce fut Eldria qui rompit le silence le première :

– Dan ?

– Oui ?

Elle resta en suspend un cours instant.

– Si tu ne m’as jamais touchée... C’est parce-qu’elle te l’a demandé aussi ? Ca... faisait partie de ta mission ?

Bien que son visage demeurait impassible, un léger tremblement de ses mains affairées trahit son trouble.

Finalement, il formula une réponse :

– Non... Elle m’a même demandé de... faire comme avec toutes les autres. Mais je ne pouvais pas.

A discuter de cela, elle devenait écarlate.

– Pourquoi ?

– Parce-que ce n’est probablement pas ce que tu voulais. Et puis je te faisais déjà suffisamment de mal comme ça.

Nouveau silence.

– Dan ?

– Oui Eldria ?

– Merci.

– Tu m’as déjà remercié.

– Non... Merci de m’avoir respectée. Merci de m’avoir écoutée malgré les circonstances. Merci de m’avoir sauvée...

De son plein gré, elle retira son avant-bras de devant sa poitrine et se pencha en arrière, ne cherchant cette fois-ci plus à lui dissimuler quoi que ce soit.

Dan s’en était forcément rendu compte du coin de l’œil, mais il ne se tourna toujours pas vers elle. Pourtant, Eldria était sûre de l’avoir vu légèrement rougir lui aussi. De plus, un autre signe ne trompait pas : une bosse était en train de se former dans son caleçon...

– Et voilà, dit-il joyeusement. C’est fini. Avec ça, tu devrais avoir un peu moins mal.

Il reposa la jambe d’Eldria au sol et fit mine de regarder tout autour de lui. Tout autour, sauf vers Eldria directement, comme si, respectueux de son intimité, le simple fait de la voir dans son plus simple appareil représenterait un affront impardonnable. Pourtant, l’intéressée ne l’entendait pas cette oreille...

Sur le mur de granit, les flammes orangées dessinèrent à l’encre noir une ombre voluptueuse se rapprocher d’une autre ombre, indécise.

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