Chapitre 31

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Eldria le fixa longuement, le visage impassible. Elle devrait le craindre, être terrifiée même, mais il n’en était rien. Elle s’était faite à l’idée que sa vie – et par extension son corps – ne lui appartenait plus. Le soldat blond soutint son regard. Petit à petit, son sourire s’effaça devant l’absence de réaction de sa victime. De toute évidence, il s’était attendu à ce qu'elle soit ne serait-ce que surprise de le voir. Finalement, il détourna les yeux quelques instants puis, sans crier gare, la gifla d’un revers de la main.

– Salope ! vociféra-t-il.

L’impact du métal à forte vitesse sur sa mâchoire manqua de la lui arracher. Elle fut propulsée sur le côté et se rattrapa de justesse avant de s’étaler de tout son long sur le bois recouvert de poussière.

– Ça c’est de ta faute ! ajouta-t-il en pointant du doigt son imposante cicatrice.

Eldria n’avait émis aucun son alors que le coup lui était asséné. Elle se contenta de se redresser lentement en passant une main sur sa joue qui la lançait. Elle saignait légèrement. Elle le fixa de nouveau d’un air absent au travers de ses mèches emmêlées. Il sembla une fois encore surpris de la voir aussi peu concernée par sa présence. Cette fois-ci, il l’attrapa par le menton et rapprocha son visage du sien, l’air menaçant.

– Tu vas me dire qui est l’enfant de putain qui m’a fait ça l’autre jour, dit-il d’un ton faussement calme. Ou alors...

Il semblait avoir toutes les difficultés du monde à garder son sang-froid. Eldria ne détourna pas les yeux. Une lueur de défi avait fini par s’y allumer.

Pendant un instant ils ne bougèrent pas. Leurs fronts n’étaient qu’à cinq ou six centimètres l’un de l’autre. Puis, soudain, elle lui décocha un crachat en pleine figure. La salive agglomérée lui atterrit en plein dans l’œil, ce qui lui fit lâcher brusquement son étreinte. Il recula de quelques pas en s’essuyant machinalement.

– Je ne dirai rien, dit-elle d’une voix posée mais déterminée.

Elle n’avait pas peur de lui, ni de tout ce qu’il pourrait lui faire subir. Tout espoir l’avait quittée, elle n’avait plus rien à perdre.

Le visage du soldat blond se décomposa littéralement face à cette soudaine et inattendue rébellion. Pendant quelques secondes il sembla chercher ses mots. Puis, visiblement sans voix, il explosa de rage. Dans un accès de colère incontrôlé il s’appuya contre l’étagère juste à sa droite et d’un geste brusque de l’avant-bras en éjecta toutes les torches qui y étaient soigneusement entreposées. Le bruit des dizaines de tiges en bois rebondissant sur le sol résonna tout autour d’eux. N’en ayant pas terminé, il se précipita cette fois-ci – apparemment de façon totalement irréfléchie – vers les tonneaux entreposés à gauche de l’établi sur lequel était toujours assise Eldria, imperturbable. Il en agrippa fermement un et, tout en poussa un cri féroce, presque bestial, le fit basculer. La barrique se disloqua sous son propre poids au contact des dalles de pierre et plusieurs dizaines de litres d’huile noirâtre se rependirent immédiatement dans toute la pièce dans un vacarme assourdissant.

La respiration saccadée, les poings serrés, des gouttes d’huiles jusqu'aux genoux, il sembla enfin peu à peu reprendre possession de lui-même. Son regard mauvais se posa bientôt de nouveau sur elle. Il avait l'air plus fébrile que jamais. Presque aussitôt, d’un mouvement vif, il fondit sur elle et la saisit cette fois-ci par le cou. Sa poigne était si forte qu’elle eut un hoquet de surprise. Du bout du bras, il commença à la soulever. Ses fesses ne touchèrent bientôt plus le bois sous elle.

Elle haleta tandis que son rythme cardiaque s’accélérait. Elle n’arrivait presque plus à respirer. Dans un geste paniqué, elle tenta d’écarter les doigts fermement serrés autour de sa gorge, mais elle était trop diminuée physiquement et son agresseur avait bien trop de force.

A ce moment précis, quelque chose se réveilla au fin fond de son esprit. Son instinct de survie prit subitement le dessus sur sa conscience. Si elle ne parvenait pas à respirer rapidement, elle allait mourir ici, bêtement. Alors que son visage commençait à virer au rouge vif à cause du manque d’oxygène, elle tenta de se débattre comme elle le put, agitant bras et jambes dans tous les sens afin de lui faire lâcher prise. En vain. Le soldat blond était bien trop puissant pour elle.

La colère de ce dernier laissa soudain place à un rictus malfaisant maintenant qu’il dominait enfin sa victime. Il sembla retirer un certain plaisir à la voir ainsi suffoquer. Sa main gauche, jusque-là inoccupée, commença à progressivement détacher les lanières de cuir qui maintenaient en place la pièce d’armure protégeant son entrejambe. Le morceau de métal atterrit dans le demi-centimètre d’huile au sol dans un fracas. Sans la lâcher des yeux, il sortit de ses bas son membre déjà presque raide. D’une petite voix sadique, il lui susurra :

– Je vais te prendre ici et maintenant. Tu me supplieras d’arrêter en me donnant le nom du fils de chien qui t’a aidée la dernière fois.

Joignant le geste à la parole, il la lâcha brusquement. Elle eut à peine le temps de réatterrir sur l’établi qu’il colla cette fois-ci violemment son gant contre sa bouche, l’empêchant de fait de reprendre correctement son souffle. D’un mouvement sec, il la plaqua sur le dos. L’arrière de son crâne tapa durement contre le bois, ce qui la sonna quelque peu. Elle voulut hurler mais elle n’avait plus d’air dans les poumons. Seul un son étouffé émana de ses cordes vocales. C’était à peine si elle arrivait à respirer par les narines.

Une peur indicible la gagna cette fois. Elle n’était plus du tout détachée du mon réel. Si elle ne mourrait pas asphyxiée dans les prochaines secondes, elle prit soudain pleinement conscience qu’elle allait être sauvagement violée dans cette remise sombre et crasseuse par un être cruel et sans pitié. Cette simple pensée s’insinua en elle comme un poison dans ses entrailles. Jusque-là elle pensait s’y être suffisamment préparée mentalement, mais ce n’était pas le cas. Elle tenta de gesticuler autant qu'elle le put mais il n'y avait rien à faire, il était bien trop musclé.

Maintenant qu’elle était à sa totale merci, il lui écarta sans difficulté les cuisses et se fraya un chemin entre ses genoux de façon à ce qu’elle ne puisse plus lui mettre de coups de pieds. Puis, de sa main libre, il remonta prestement le pagne d’Eldria jusqu’au-dessus de son nombril. Après avoir inspiré autant que possible par le nez, celle-ci tenta un nouveau hurlement paniqué au travers des doigts toujours fermement agrippés devant de sa bouche, mais elle ne parvint qu’à émettre un son étouffé à peine plus volumineux que le précédent. Elle ignorait totalement si cela lui serait d’une quelconque aide d’appeler au secours. Elle n’y avait de toute façon pas réfléchi.

Et pourtant, au moment où il s’apprêtait à lui arracher sa culotte, on toqua à la porte :

– J’ai entendu du bruit, qu’est-ce qui se passe ? demanda la voix du garde qui avait accompagné Eldria dans ce guet-apens quelques minutes plus tôt.

Le blond s’interrompit soudain dans son funeste élan. Eldria essaya de crier une nouvelle fois mais il pressa encore plus sa main gantée contre sa mâchoire pour lui intimer de se taire.

– J’espère que tu ne lui fais pas de mal ! reprit le garde. Si tu l’abîmes c’est moi qui vais prendre derrière !

Une veine se contracta sur la tempe du bourreau qui était maintenant pratiquement sur elle. Ses yeux injectés de sang se posèrent sur l’entrée de la pièce.

– Dégage ! beugla-t-il tel un fou.

– Ah tu le prends comme ça !

L’homme derrière le battant actionna la poignée à plusieurs reprises, mais le loquet était verrouillé. Voyant que la porte ne s’ouvrait pas, il commença à donner des coups dedans.

– Laisse-moi rentrer ! Si tu lui fais du mal je suis mort !

Le bois se mit à craquer dangereusement. De toute évidence, les gonds vieillissants ne tiendraient pas longtemps. Le blond se tourna de nouveau vers Eldria, son souffle rauque venant balayer son visage terrifié. La rage qui l’habitait semblait peu à peu laisser place au doute. Un cruel dilemme semblait prendre forme au sein de son esprit mauvais.

Soudainement, il relâcha son étreinte avant de faire deux pas en arrière. Eldria, enfin libérée de cette emprise, s’empressa de prendre une longue et profonde bouffée d’air frais, ce qui lui déclencha immédiatement une quinte de toux sèche. Elle se recroquevilla sur la table en se tenant les côtes alors qu’elle reprenait tant bien que mal son souffle. Son agresseur, pour sa part, remit tranquillement en place son bout d'armure couvert d’huile au niveau de l’entrecuisse, puis alla ouvrir la porte qui menaçait de céder à son collègue qui tambourinait toujours de l’autre côté.

L’homme fit irruption en trombe dans le petit local. Son regard médusé se posa d’abord sur celui qui venait de daigner lui ouvrir, puis sur les dizaines de torches au sol trempant dans une immense flaque d’huile et enfin sur Eldria, les jambes dénudées, qui paraissait bien mal en point.

– Je n’aurais jamais dû te faire confiance, dit-il en s’approchant de l’établi tout en prenant soin de ne pas glisser ou trébucher. Les autres croient peut-être en tes histoires, mais moi je ne me ferai pas avoir.

Sans aucune délicatesse, il agrippa sa prisonnière par les épaules et la fit descendre de l’établi. Elle reprenait à peine ses esprits et il dut l'aider à se maintenir debout pour ne pas qu’elle s’étale au sol.

– Bordel elle saigne, ajouta-t-il sur le ton du reproche en remarquant sur sa joue la marque qu'y avait imprimée le gant métallique. Si ça se remarque je nierai tout en bloc. C’est la dernière fois que je te rends service, espèce de malade.

Sur ces mots, il emmena Eldria. Le soldat blond, impassible, remit tranquillement son heaume et les regarda sortir de la pièce sans bouger ni ajouter un mot. De toute évidence, il n’en avait pas fini avec elle...

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