Chapitre 20

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Sur le chemin de sa cellule, Eldria avait la boule au ventre. Elle savait désormais qu’elle allait encore passer presque sept journées entières dans l’obscurité et dans la crasse, sans autre occupation que d’attendre. De plus, elle redoutait le moment du repas, où elle risquait de revoir le soldat blond. Il ne l’avait pas touchée la semaine précédente, mais avait pourtant fait montre d’un intérêt grandissant à son égard le matin même. C’était une réflexion un peu morbide, mais elle espérait réellement qu’il ne s’était pas remis du coup au crâne que lui avait infligé Dan.

Comme la dernière fois, Madame Martone était venue personnellement la chercher dans la petite chambre où l’avait laissée le jeune homme, nue sur le lit, son sperme étalé sur le bas de son dos. Après l’avoir examinée de près, la vieille femme avait une nouvelle fois paru satisfaite, pensant certainement que Dan et elle l’avaient fait.

Le soir venu, elle entendit les grilles au bout du couloir s’ouvrir. Son pouls s’accéléra lorsqu’elle perçut des pas approcher. Elle se raidit d’angoisse. Mais finalement, au lieu du soldat blond, ce fut cette fois une jeune fille en tenue de bonne qui lui apporta sa maigre pitance. Sans un mot et sans même un regard, elle déposa le plateau composé d’une miche de pain, d’une pomme rabougrie et d’un verre d’eau, puis fit demi-tour. Eldria, soulagée mais curieuse de ne pas voir un garde, l’interpela :

– Hé ! lança-t-elle. Tu travailles ici ?

La jeune servante ne devait pas avoir plus de quinze ou seize ans. Elle sursauta.

– Je... Je n’ai pas le droit de parler aux prisonniers, désolée... bredouilla-t-elle précipitamment.

Elle tourna les talons et pressa le pas vers la sortie.

– Attends ! Qu’est-il arrivé à l’homme qui venait d’habitude ? Hé !

La jeune fille disparut de son champ de vision et la grille se referma. Eldria s’adossa contre les barreaux en soufflant. Il y avait donc d’autres femmes en ces lieux, mais qui ne servaient visiblement pas uniquement d’esclaves sexuelles comme elle ou les autres. Peut-être pourrait-elle lui soutirer des informations plus tard...

La nuit suivante s’écoula sans évènement notable. Epuisée, Eldria réussit tant bien que mal à fermer les yeux même si, il fallait bien l’avouer, elle dormait très mal ces derniers temps. Au petit matin, on vint une nouvelle fois lui rendre visite. Eldria s’approcha de la grille, s’attendant à voir débarquer la fille de la veille, mais il n’en fut rien. Un garde en armure se posta devant elle et déverrouilla la cellule. Bonne ou mauvaise nouvelle, elle l’ignorait, mais quoi qu’il en fut elle ne l’avait jamais vu.

– Suis-moi, ordonna-t-il d’une voix grave.

Surprise, Eldria resta figée sur place. Cela ne faisait même pas vingt-quatre heures qu’elle était de retour en cellule.

– Mais... Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, apeurée.

– Pas de question. Sors et suis-moi, répéta l’homme du même ton autoritaire.

N’étant de toute façon pas en position de négocier, elle lui emboita le pas. Il la mena dans les dédales de couloirs qu’elle reconnut vite comme étant ceux menant... à la salle de bain. Sans ménagement, il lui intima de rentrer dans la vaste pièce avant de l’y enfermer, la laissant seule. En effet, elle ne tarda pas à constater que Salini et Karina, pour une fois, n’était pas là. Ni personne d’autre d’ailleurs. Que se passait-il ? Allaient-elles elles aussi arriver sous peu ? Elle décida de les attendre.

Quelques minutes s’écoulèrent, mais rien ne se passa. Résignée, mais ne voulant pas laisser passer l’occasion de se laver même après seulement une journée passée en cellule, elle ôta rapidement ses vêtements et se plongea dans l’eau tiède. Seule, le grand bassin paraissait bien vide...

Une fois propre et rhabillée, elle alla frapper à la porte.

– Heu... Il y a quelqu’un ? lança-t-elle. Je pourrais savoir ce qu’il se passe ?

La porte s’ouvrir sur le garde, resté derrière. Il la jaugea de bas en haut.

– Bien, lança-t-il d’un ton approbateur. Viens.

La boule au ventre, elle lui emboîta une nouvelle fois le pas, cette fois-ci dans une direction qu’elle ne connaissait pas du tout. Après avoir traversé quelques cours intérieures et quelques bâtiments, ils arrivèrent enfin dans une petite pièce sombre à l’intérieur de laquelle quatre jeunes femmes aux cheveux châtains comme elle ainsi que deux gardes faisaient le pied de grue. Pour les avoir déjà vues dans la cour aux piquets, Eldria reconnut les quatre femmes comme étant elles aussi des prisonnières. Toutes devaient avoir à peu de chose près le même âge qu’elle. Elle fût poussée sans considération aux côtés de ses semblables. Celles-ci firent à peine attention à elle. Ne voulant pas attirer plus que cela l’attention ni se faire remarquer, Eldria resta muette. La pièce était tristement vide, seul un petit escalier de six marches menait à un long couloir au bout duquel elle put apercevoir un rideau.

Quelques longues minutes d’attente s’écoulèrent. Les deux gardes ne faisaient pas tellement attention aux captives, visiblement trop occupés à discuter entre eux de choses et d’autres. Eldria profita de leur inattention pour s’adresser à la fille à côté d’elle :

– Que fait-on ici ? chuchota-t-elle.

– Chut, on n’a pas le droit de poser de questions, lui rétorqua la jeune femme à voix basse.

Apparemment alertés par ces messes-basses, les deux soldats se tournèrent dans leur direction. Eldria et l’autre fille adoptèrent immédiatement un air innocent. Heureusement, ils ne s'intéressèrent pas longtemps à elles et reprirent rapidement leur conversation. Après une nouvelle attente interminable et au grand désespoir d’Eldria, Madame Martone fit irruption. Quelle mauvaise surprise leur réservait-elle encore ? Elle les scruta rapidement de son éternel œil inquisiteur, puis pointa une des quatre prisonnières :

– Vous, dit-elle. Suivez-moi.

La jeune femme ainsi désignée et Madame Martone empruntèrent le petit escalier, puis disparurent derrière le rideau noir un peu plus loin. Eldria se demanda si on allait elle aussi l’y emmener, seule, ces prochaines minutes. Quelles horreurs pouvaient-elles bien les attendre derrière cet épais voile ? Mais après seulement deux minutes, elle eut sa réponse. Madame Martone et la prisonnière réapparurent dans le couloir. Au plus grand soulagement d’Eldria, sa camarade semblait ne pas avoir subi de sévices. Qui plus est, et même si c’était affreux d’avoir à le noter, elle avait gardé ses vêtements...

Sans plus de cérémonie, une autre fille fut emmenée pendant deux ou trois minutes, puis une autre, encore une autre, et ce fut finalement au tour d’Eldria. Pas vraiment dans son assiette mais au moins rassurée de constater qu’on ne lui ferait visiblement aucun mal, elle suivit docilement Madame Martone jusqu’au fameux rideau derrière lequel elle commençait à être vraiment curieuse de découvrir ce qui pouvait bien se cacher.

A sa plus grande surprise, elles firent irruption sur ce qui pourrait s’apparenter à une grande scène en bois, point culminant d’une vaste salle dans laquelle s’alignaient plusieurs dizaines de rangées de chaises et de fauteuils. Fort heureusement aucune audience n’était présente, à l’exception d’un homme et d’une femme assis l’un près de l’autre au premier rang. A leur entrée, ceux-ci cessèrent la conversation passionnée qu’ils semblaient être en train de se livrer avant de se tourner vers les nouvelles arrivantes. Et vers Eldria plus particulièrement. Leurs visages s’illuminèrent d’un sourire jovial tandis que Madame Martone finissait de placer sa jeune captive au milieu de la scène, en face d’eux.

– Quelle merveilleuse enfant ! lança joyeusement la femme en tapotant des mains.

N’ayant toujours aucune idée d’à quelle sauce elle allait être mangée, Eldria observa plus en détail son public du coin de l’œil. La femme, assez mince, devait avoir entre trente-cinq et quarante ans et était vêtue d’une élégante robe bleue nuit. Ses cheveux châtains étaient délicatement attachés par un chignon sophistiqué sous un seyant chapeau surmonté d’un petit nœud papillon. Ses traits fins, contrairement à ceux de Madame Martone, exprimaient une bienveillance qui surprit Eldria. Réciproquement, la femme dévisagea cette dernière d’un regard intense, fasciné, comme empli d’admiration et, étrangement, de respect.

L’homme à sa droite, quant à lui, semblait plutôt approcher la cinquantaine. Il était tout aussi élégant dans son costume noir. Comme la femme à ses côtés, ses yeux n’avaient pas quitté Eldria depuis son arrivée. En revanche, et cela n’échappa pas à cette dernière, il semblait tout autant s’intéresser à son visage qu’à ce qui se cachait en dessous de sa robe. Pourtant, et contrairement aux regards de beaucoup d’hommes ces derniers temps, le sien semblait beaucoup moins appuyé, beaucoup moins déplacé.

– Qu’en dites-vous mon amour ? reprit la femme en s’adressant à, selon toute vraisemblance, son mari.

– De toute beauté, lui répondit-il dans un souffle. Beaucoup mieux que les précédentes. C’est très simple, j’ai l’impression de vous revoir vous dans votre jeune âge...

– Etais-je vraiment aussi jolie ?

L’homme se tourna vers son épouse et lui attrapa délicatement la main, daignant détourner les yeux d’Eldria.

– Vous l’êtes toujours...

– Oh, très cher. Vous me flattez...

La femme, visiblement émue, le gratifia d’un sourire espiègle. Eldria, de son côté, était restée plantée là, trois mètres devant eux, un sourcil en l’air. C’était elle qui se trouvait sur scène, mais elle avait pourtant l’impression que c’était sous ses yeux que la pièce de théâtre se déroulait. Dans d’autres circonstances ce curieux couple aurait pu lui apparaître touchant, mais pour l’heure ce qui l’intéressait surtout c’était de savoir : que diable lui voulait-on ? Ce fut finalement Madame Martone, deux pas derrière Eldria, qui les interpella :

– Hm hm... fit-elle pour attirer l’attention.

L’homme et la femme cessèrent de se dévorer mutuellement du regard. Madame Martone reprit :

– Bien, voici enfin la jeune Eldria, elle...

Mais avant qu’elle n’ait pu ajouter quoique ce soit, la femme au chapeau l’interrompit brutalement :

– C’est elle que nous choisissons, dit-elle sans l’once d’une hésitation. N’est-ce pas chéri ?

Visiblement pas très à l’aise, il lui répondit gauchement :

– Oh, heu, oui oui. Tout à fait.

– Bien, la chose est donc décidée, trancha son épouse en se levant avec un sourire poli adressé à Madame Martone et un autre, beaucoup plus amical, cette fois à l’attention d’Eldria.

Celle-ci se tourna alternativement vers le couple et Madame Martone, à la recherche d’une réponse à ses questionnements. Certes cet homme et cette femme, qui venaient apparemment de la choisir pour elle ne savait quelle raison, avaient l’air de ne faire preuve d’aucune animosité à son égard, mais elle n’oubliait pour autant pas qu’elle n’était pas dans un camp de vacances. Aussi devait-elle se montrer plus que méfiante quant à la tournure qu’allaient prendre les évènements.

– Très bien, répondit Madame Martone, visiblement décontenancée par la rapidité à laquelle une décision avait été prise. Dans ce cas ne perdons pas de temps.

Elle fit signe à un garde, resté jusqu'alors en retrait. Celui-ci s’approcha d’un pas décidé et demanda au couple ainsi qu’à Eldria de les suivre. Cette dernière, sous le regard inquisiteur de Madame Martone, ne fit pas d’histoire.

Le garde les guida dans de longs et somptueux couloirs qu’elle n’avait encore jamais arpentés, qui contrastaient avec ceux des bâtiments attenants à sa cellule. De toute évidence, il s’agissait d’une aile beaucoup plus luxueuse que celles qu’elle avait été habituée à visiter jusqu’alors. Dans son dos, elle entendait le couple... roucouler ? Elle tourna discrètement la tête pour les jauger une nouvelle fois. La femme tenait amoureusement son mari par le bras, tandis qu’ils avançaient d’un pas décontracté. Quand elle se rendit compte qu’Eldria les observait, elle lui lança un nouveau sourire se voulant apparemment rassurant. C’était vraiment étrange qu’on se comporte ainsi avec elle en ce lieu.

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