La mort est à nos portes

3 minutes de lecture

La pluie commençait à cesser, laissant le bois des habitations gonflés et le sol du village boueux. Ils avaient profité de cette averse qui diminuait notre visibilité depuis les remparts, pour se rapprocher. A présent, on pouvait voir cette armée, cette masse difforme qui avançait inexorablement vers nous, prête à nous avaler sur son passage. L'homme à côté de moi, une jeune recrue, frémissait dans son armure devant ce spectacle.

Comment pouvais-je lui en vouloir d'avoir peur ? Moi-même, il m'était difficile de ne pas céder, mais je n'avais pas ce loisir, je savais qu'à la moindre défaillance, au moindre signe de faiblesse, tout serait perdu, les hommes perdraient foie. Et ça, je ne le permettrais pas. J'attrapais le gamin par l'épaule, le secouant vivement pour qu'il me regarde droit dans les yeux.

"Préviens les arches. Qu'ils se mettent en place et attendent mon signal."

Il ne parvint pas à prononcer un mot mais acquiesça du chef avant de tourner les talons pour partir au pas de course. Je le regardais s'éloigner, il était jeune pour participer à cette bataille, bien trop jeune. Mais le destin en avait décidé ainsi et moi, simple mortel, je ne pouvais lutter contre le Seigneur pour changer les événements.


Décrochant mon heaume que je mis sous mon bras, les cheveux trempés et ébouriffés, je frissonnais dans ma cotte de mailles. Je dévalais alors les marches du rempart pour arriver sur la grande place, pataugeant dans la boue où les regards se tournèrent vers moi. Gens du peuple et soldats me fixaient tous avec la même intensité, la même peur, les mêmes questions dans leurs yeux. Je m'attardais un instant à contempler mes compagnons et ce que je vis ne me rassura pas le moins du monde : nous étions une quinzaine de soldats entrainés, possédant des armures de piètres qualités. Les autres n'étaient que des paysans à qui l'on avait donné épée, fourche ou lance pour se défendre. Alors qu'en face, ils étaient une centaine, peut-être plus. Tous lourdement armé, tous disposant d'armures épaisses et de l'expérience du combat, du pillage et du massacre. Que pouvais-je espérer en voyant ce bougre avec son chapeau de paille, ses haillons et sa fourche, qu'il parvienne à en blesser un me semblait relever de l'exploit.

Je les voyais trembler face à la mort qui les attendait, au froid qui s'immisçait dans leurs chairs jusque dans leurs os. Même mes hommes baissaient les yeux, sachant très bien que pour eux, l'heure était venue. De rage, je jetais alors mon casque contre le mur, celui-ci rebondit dans un fracas métallique avant de rouler sur le sol. Nous étions perdus. Ils leur faudraient combien de temps pour prendre la porte ? Pour gravir le rempart ? Pour nous dépecer les uns après les autres ? Devais-je envoyer ces gens à l'abattoir ? En avais-je seulement le droit ?

Les pleures d'un gamin me sortirent alors de mes doutes. Le petit hurlait et sa mère vint le ramasser pour le blottir contre son corps. Elle lui susurra que tout irait bien, que les vilains soldats ne parviendraient pas à entrer, qu'il ne risquait rien. Je restais alors stoïque face à cette mère et son enfant, voir à quel point elle pouvait lui mentir pour le rassurer, que ses mots et son ton semblaient pourtant si vrais comme si elle y croyait. Nos regards se croisèrent, je pus voir en ses yeux un éclair farouche, le regard de ceux qui veulent vivre. Elle porta l'enfant jusqu'à sa fille ainée et le lui confia. Puis la mère de famille revint avec un couteau dans les mains. Cette femme qui n'avait pas d'armure, qui n'avait pas de véritable arme, était prête à risquer sa vie pour les siens.

Que dire à part que je me sentais bien peu de chose devant cette femme. Que dire si ce n'est qu'elle avait réveillé en moi l'espoir de survivre, de triompher. Dégainant mon épée de son fourreau, je la brandis au-dessus de ma tête. Hurlant alors à pleins poumons pour être entendu de tous :

"Ce soir, la mort est à nos portes.

Ces hommes, que dis-je, ces monstres sont ici pour voler nos maisons et nos vivres.

Pour tuer nos enfants et prendre nos femmes.

Ces monstres pensent qu'ils ont tous les droits, qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent.

Allons-nous les laisser entrer et leur donner ce droit ?

Allons-nous leur offrir nos femmes ? Nos filles ?

Allons-nous leur donner le pain pour lequel nous avons sué ?

A ça mes amis je dis : non !

Je ne leur céderai rien !

Ils sont peut-être plus nombreux, mieux armés.

Mais nous avons ces murs, nous avons nos vies ici.

Mais surtout nous sommes une famille !

Un seul et même être qui se bat pour la même raison, pour le même but !

Mes amis. Ce soir la mort est à nos portes ! Alors faites que ce soit la leur !"

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Isoshi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0