Chapitre 2 Et le temps passa - Partie 3

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 Sin fo et Hank se séparèrent et fouillèrent tout le village afin de réunir tous leurs amis. Ils les informèrent de la situation et leur assignèrent à chacun un poste et la consigne de le défendre coûte que coûte. Sin fo nuança ces propos en précisant qu'ils ne devaient pas risquer leurs vies inutilement, et qu'en dernier recours, une reddition valait mieux qu'une exécution.

 La plupart restèrent sur Ts'ing Tao, sauf Archibald, Ryban et Farrokh qui prirent chacun une barque et se déployèrent à quelques mètres de la rive sud du lac. Ils avaient chacun un arc et un carquois plein afin de pouvoir stopper à distance une hypothétique attaque. Ils restèrent dans leurs barques, mais se tenaient néanmoins prêts à retourner chercher Tabatha, Sin fo et Hank, qui eux avaient débarqué et constituaient la première ligne de défense de Ts'ing Tao.

- À nouveau tous les trois, comme au bon vieux temps, dit Tabatha aux deux autres, qui l'entouraient.

- Oui, ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas fait une petite journée tous ensemble, répondit Hank en souriant.

- Depuis que vous vous prenez pour les chefs du village tous les deux, vous ne m'accordez plus une minute.

- Espèce d'hypocrite !, s’offusqua Hank en posant ses poings sur ses hanches. Depuis quand n'es-tu pas venue manger chez nous ? Tu passes tout ton temps avec Maxou, et nous tu nous oublies !

- Quoi ? Mais quelle mauvaise foi ! Je...

- Arrêtez de vous chamailler les enfants, les interrompit Sin fo. Nous ne sommes pas seuls.

 Immédiatement, Tabatha et Hank redevinrent sérieux. Hank questionna sa femme :

- Ils sont nombreux ?

- Ils se sont arrêtés près des falaises, mais l'un d'entre eux a continué seul.

- À trois contre un, nous avons nettement l'avantage, remarqua Tabatha.

- Soyons tout de même sur nos gardes. S'il ose avancer seul, peut-être se sait-il assez fort pour se défendre seul.

- Toujours cette prudence excessive, râla la princesse. Je n'ai pas peur moi ! Il faudrait plus qu'un seul homme pour m'impressionner.

- Nous allons être fixés très vite, il arrive.

- Voyons de quoi il a l'air ce... ce... ce n'est pas vrai !

 L'homme qui venait de quitter le couvert des arbres s'avança les bras levés vers eux et cria à leur attention :

- Bonjour mes amis, je me doutais que je vous trouverai là.

Comme Tabatha, Sin fo et Hank restaient sans voix, il continua :

- Vous n'avez pas du tout changé ! Toi en revanche tu as énormément grandi, dit-il en se tournant vers Tabatha. Regarde-toi, tu es presque une jeune femme désormais.

 Pour toute réponse, la princesse lui asséna une gifle. Elle lui lança un regard assassin pendant une seconde, puis des larmes roulèrent sur ses joues. Elle tourna les talons et s'éloigna à toute vitesse. Sin fo se tourna vers l'homme et lui demanda :

- Honnêtement Jacob, qu'espériez-vous ?

 Elle secoua la tête d'un air dépité avant de partir à la suite de Tabatha. Jacob se massait la joue sans rien dire. Hank l'observa un moment, puis il ajouta :

- Sin fo a raison, vous pensiez vraiment vous en tirer si facilement ? Un sourire, une remarque anodine, et on oublie tout ?

- Ne me prenez pas pour un imbécile Hank, je savais que cela ne suffirait pas. Cent fois j'ai imaginé cette scène depuis mon départ. Mille fois j'ai cherché quoi dire pour me faire pardonner. Mais rien de ce que j'aurais pu dire n'aurait amélioré l'image qu'elle s'est faite de moi. J'ai disparu de sa vie pendant un an et demi. Elle doit probablement me détester aujourd'hui.

- Je ne pense pas. Après tout, vous êtes comme un père pour elle.

- Vous n'avez pas vu comme elle vient de me traiter, demanda Jacob en tendant la main en direction de la jeune fille.

- Vous connaissez le caractère de notre Taby. Et elle a réagi, souligna Hank en levant son index, ça prouve que ça la touche. En bien ou en mal, mais c'est toujours mieux que de l'indifférence.

 Jacob ne répondit rien, mais les deux hommes échangèrent un regard et un sourire.

- En revanche j'aimerais bien savoir ce que vous faites là. Je suis content de vous revoir, et je ne vous en veux pas pour les reproches que vous m'avez faits la dernière fois qu'on s'est vus, mais j'ai du mal à croire que vous ayez fait tout ce chemin juste pour dire bonjour.

- C'est vrai, j'avais presque oublié ! Je ne suis pas venu seul...

- Ça je le sais déjà.

- Vraiment ? Ça ne servait à rien de les laisser à l'entrée de l'île dans ce cas.

- Mais qui est avec vous ?

- Des amis. Des gens biens, s’empressa-t-il de préciser, qui ne vous poseront pas de problèmes.

- Jacob, je vais me répéter, mais pourquoi revenir ici, pourquoi maintenant ?

 Le faible sourire qu'arborait Jacob un instant auparavant s'effaça complètement lorsqu'il répondit :

- Quand je suis parti d'ici, je ne savais pas trop où aller. J'ai commencé par quitter la région bien sûr. Je voulais mettre le plus de distance entre cette île et moi, se rappela-t-il en balayant le lac du regard. J'ai marché vers le sud sans suivre d'itinéraire précis. J'évitais les grandes villes, et ne restais dans les villages que le temps de me ravitailler. Je rencontrais parfois des gens, mais je ne m'attardais pas. J'avais besoin d'être seul. Il y avait trop de colère en moi. De colère et de honte, précisa-t-il en fixant le sol les poings serrés. Tous les jours, du matin au soir, je marchais. Je ne m'arrêtais que pour tuer des djaevels lorsque j'en rencontrais. Au début j'étais très prudent, et le temps passant, je combattais des groupes de plus en plus importants. Je crois que j'essayais de forcer ma chance... Mais ma bonne étoile ne m’a pas abandonné. Après quelques mois, mes errances m'avaient mené près de la capitale. Je n'y avais plus mis les pieds depuis plus de trois ans, et j'ai voulu revoir ma ville. Je pense que vous pouvez comprendre cela, sachant pourquoi vous êtes sur cette île.

- Oui, je sais à quel point on peut être attaché à ses racines, répondit Hank en jetant un regard en coin vers sa femme.

- Mes racines oui... La ville de ma jeunesse. Quand j'ai vu ce qu'ils en avaient fait, j'ai pleuré. J'ai ressenti une véritable douleur, comme si j'avais perdu un proche, ou une part de moi-même. Tout ou presque était détruit ou vicié. Une odeur de mort flottait dans l'air, et je n'ai pas croisé âme qui vive. J'y suis resté deux jours, et je n'ai pas dormi de la nuit, tant je craignais d'être découvert. Il y avait des djaevels partout, à chaque coin de rue, dans chaque maison et chaque boutique. J'ai d'abord cru que toute la population de Orinkunin avait été transformée en djaevels, jusqu'à ce que je tombe sur... sur...

 La voix de Jacob s'étrangla, et il ne put finir sa phrase. Hank l'exhorta à continuer.

- Qu'avez-vous vu ?

- Des têtes. Alignées sur des piques. Par centaines. Probablement toutes les victimes des djaevels qui n’ont pas été transformées. Des hommes, des femmes, et même des enfants ! Rien que le souvenir me donne la nausée. Vous me demandiez pourquoi j'étais revenu, c'est parce que j'ai compris que le royaume était perdu. Il n'y a rien que nous puissions faire pour le sauver de la folie de ces démons.

 Hank était un peu ébranlé par le récit de Jacob, mais cela ne l'empêcha pas de lui demander une nouvelle fois :

- Dans ce cas, qui est avec vous ? S'il n'y avait aucun survivant à Orinkunin, d'où viennent les gens qui vous accompagnent ?

- Je ne suis pas revenu directement ici en quittant la capitale. J'ai fait un détour par une ville que vous connaissez bien.

- Une ville que... Vous êtes retourné à Cosrock ?

 Jacob confirma d'un signe de tête.

- Mais pourquoi justement là-bas ? Il n'y avait pas de villes plus proches de Orinkunin dans lesquelles vivaient des gens que vous connaissiez ?

- Tous les gens que j’ai connus dans ma jeunesse vivaient à la capitale. Non la vérité c’est qu’il y avait quelqu'un que je voulais revoir.

- Ah oui ? J'ignorais que vous vous étiez fait des amis à Cosrock, vous êtes si solitaire. Mais Jacob, vous rougissez !

 Hank éclata de rire devant l'embarras flagrant de Jacob.

- Il s'agit d'une femme ? Je la connais, demanda Hank sur le ton de la confidence.

- Oui, enfin si vous vous souvenez d'elle.

 Le jeune homme croisa les bras et leva les yeux au ciel pour réfléchir.

- Voyons, parmi les femmes restées à Cosrock... Il y avait Niellin ? Non, alors Vellcia ? Ce n'est tout de même pas Theresa ? Elle était plus jeune que Sin fo, vieille crapule !

- Vous n'y êtes pas du tout ! Il s'agit de Falmina.

 Hank mit quelques secondes à mettre un visage sur ce prénom.

- Falmina ? La femme que j'avais sauvée des djaevels ? La mère de...

- Oui, c'est elle.

- Je ne savais pas que vous vous intéressiez aux femmes âgées.

- Je reconnais bien là votre délicatesse, répliqua Jacob, piqué au vif. Vous avez bien quelques années de plus que votre femme, et je ne vous l'ai jamais reproché !

- Excusez-moi, je ne voulais pas vous vexer.

- Pour faire bref, reprit Jacob pour couper court à la conversation, en quittant Orinkunin, je suis retourné aussi vite que possible à Cosrock. Cela m'a pris quelques semaines, car je n'étais pas sûr de l'emplacement exact de la ville. En chemin, j'ai rencontré de nombreuses personnes qui étaient apparemment arrivées au même constat que moi quand à l'avenir du royaume avec des djaevels partout. J'ai retrouvé Cosrock, la maison où nous avions passé quelques jours, et Falmina. En me voyant seul, elle s'est inquiétée de votre sort et de celui de sa fille, mais je l'ai rassurée.

- Comment l'avez-vous convaincue si vite de venir ici avec vous ?

- En fait, je suis resté plusieurs semaines là-bas. Les premiers jours, je restais un peu à l'écart, puis peu à peu Falmina et moi nous sommes rapprochés. Pour la première fois depuis des années, j'ai pu penser à mon propre bonheur. Mais il y a à peu près un mois, la réalité a fini par me rattraper.

- Des remords ?

 Jacob eut un petit rire amer.

- Non, ça j'en avais chaque jour, mais je vivais avec. Des djaevels ont attaqué notre maison. C'était déjà arrivé, mais jamais avec une telle ampleur. Je n'arrivais pas à croire que la ville puisse en abriter autant. Ils étaient plus de cent, et nous avons mis près d'une semaine à tous les tuer depuis les fenêtres et le toit. À la fin, j'ai fait une percée et j'ai achevé les derniers au corps à corps. Nous avions remporté la victoire sans perte, mais il était clair que cette maison n'était plus sûre. J'ai décidé d'emmener Falmina à l'abri, et elle a convaincu tous ses amis de nous suivre. Je savais que le seul endroit sûr était cette île. Hank, je vous demande de nous accorder l'asile.

 Hank posa une main sur l'épaule de Jacob et lui dit en riant :

- Ne soyez pas si formel mon ami ! Vous êtes ici chez vous, et tous vos compagnons seront les bienvenus ! On a suffisamment de place pour vous accueillir sans avoir à se serrer. Allez donc les chercher et retrouvez-moi là. Je vais demander qu'on fasse venir des embarcations plus grandes, et nous ferons le tour du propriétaire.

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