Chapitre 1 Aube nouvelle - Partie 1

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 Sin fo serra son amie Tabatha dans ses bras et promit de venir la voir au plus tôt le lendemain matin, afin qu’elles passent un peu de temps toutes les deux. La fillette la salua d’un sourire radieux qui releva ses pommettes sous ses grands yeux bleus, et s’éloigna d’un pas guilleret qui fit voler derrière elle ses longs cheveux blonds.

 Sin fo n’aurait jamais pu penser qu’à vingt-quatre ans elle aurait eu pour amie une gamine ayant la moitié de son âge. Et surtout pas cette gamine en particulier. Car Tabatha n’était rien de moins que la princesse du royaume de Vadkraam. Il avait fallu un certain nombres d’évènements étranges dans la vie de Sin fo pour l’amener à côtoyer quelqu’un d’aussi important.

 Elle, simple fille de chef d’un village reculé du nord du royaume, elle n’avait jamais aspiré à plus que prendre la succession de son père. Mais pour ce faire, elle avait dû prouver ses capacités lors d’un tournoi. Elle y avait affronté Reg'liss, un ami d’enfance, qui avait usé d’un étrange pouvoir magique qui les avait tous deux transportés très loin de chez eux. Le jeune homme n’avait jamais montré le moindre talent pour la magie, à l’inverse des autres habitants du village, et il avait été incapable de reproduire le sort qui les avait touchés. Sin fo et son ami avaient rapidement réalisé qu’ils se trouvaient maintenant dans le sud du royaume. Là, ils s’étaient attirés sans le vouloir des problèmes avec les forces de l’ordre, et un homme était mort par leur faute. Il arrivait encore régulièrement à la jeune femme de s’en vouloir pour cela.

 Heureusement, ils avaient fait la rencontre de Hank, qui leur avait permis d’échapper à leurs poursuivants. Mais quelques jours plus tard, un tragique accident survint alors qu’ils survolaient avec leurs lopvents la mer de nuages qui séparait toutes les îles de Vadkraam. La créature avait désarçonné Sin fo, qui était tombée sous les nuages et avait bien cru sa dernière heure arrivée.

 En dépit des légendes prétendant que les nuages donnaient directement accès au monde des morts du dieu Yembet, Sin fo avait en fait atterri dans un autre monde, peuplé d’hommes volants, les revanis, qui la prirent pour une déesse et la traitèrent comme telle. Quelques jours plus tard, elle avait été rejointe par Hank, qui avait plongé à son secours dans les nuages de Vadkraam, et lui avait appris que son ami Reg’liss, la croyant morte, avait préféré continuer son voyage vers leur village natal pour informer la famille de Sin fo de son funeste sort.

 Incapables de rejoindre leur monde, Sin fo et Hank s’étaient résolus à rester à Zivatanerae, la vallée des revanis. Après de nombreuses aventures, ils s’étaient rapprochés, et bien que Hank ait été plus âgé qu’elle de plus de six ans, Sin fo en était rapidement tombée amoureuse. Elle se souvenait très bien avoir été attirée dès leur première rencontre par sa carrure athlétique et son allure de gentil vaurien. Hank avait lui reconnu plus tard être immédiatement tombé sous le charme de la jeune femme, de son teint pâle qui semblait rayonner la nuit, de ses longs cheveux noirs encadrant son visage légèrement anguleux, de ses yeux clairs et de ses lèvres fines. Il admirait aussi la force de ses bras et jambes musclés, octroyés par des années d’entraînement quotidien, et le petit gabarit de sa silhouette féminine.

 Ils avaient passés ensemble cinq années d’une vie paisible, jusqu’à ce qu’un cadavre d’être humain vienne s’échouer sur le territoire des revanis. Deux choses avaient alors bouleversé leur quotidien. Ils avaient compris que le passage vers leur monde était toujours ouvert, et quand Hank avait donné une sépulture à cet homme, Sin fo avait réalisé que le sort de son ami Reg’liss l’avait transportée dans le passé. Ne parvenant pas à y croire vraiment, la jeune femme avait décidé qu’il fallait qu’elle retourne coûte que coûte dans son village natal pour en avoir le cœur net.

 En revenant sur Vadkraam, ils avaient retrouvé un royaume étrangement vide. Après deux semaines d’une inquiétude grandissante, ils avaient finalement rencontré la princesse Tabatha Deostalion, fille unique du roi, et son précepteur Jacob. Ces derniers leurs avaient appris que depuis plus de deux ans, ils avaient fui la capitale Orinkunin qui avait été attaquée par un mage noir très puissant et son armée de djaevels, guerriers morts-vivants totalement sous son contrôle.

 Ils avaient voyagé tous ensemble jusqu’à Incuna, l’île natale de Sin fo, affrontant des djaevels à plusieurs reprises, souvent au péril de leurs vies. En chemin, ils avaient convaincu une vingtaine d’habitants de la petite ville de Cosrock de les accompagner pour échapper aux créatures qui erraient dans les rues et les forçaient à vivre tous cloîtrés dans une seule maison. Au terme d’un long voyage éprouvant, autant physiquement que mentalement, ils étaient parvenus sur la petite île forestière et Sin fo avait dû se rendre à l’implacable évidence : elle était belle et bien revenue cinq cents ans dans le passé et son village natal n’existait pas encore.

 Paradoxalement, cette terrible réalité lui avait apporté une sorte d’apaisement. Après des années d’incertitude, ainsi que d’une certaine forme de culpabilité vis à vis de sa famille, Sin fo était enfin fixée. Elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour rentrer chez elle. C’était simplement hors de sa portée.

 Pourtant, songea la jeune femme en contemplant le paysage, elle était revenue, en quelque sorte. L’île était semblable à ce qu’elle avait toujours connu. La montagne au nord et son sommet enneigé, la forêt dense qui recouvrait la majeure partie du territoire, et le lac majestueux qui reflétait les reflets rougeoyants des trois soleils qui se couchaient. C’était d’autant plus vrai depuis que Sin fo avait usé de son propre pouvoir magique pour faire surgir des profondeurs du lac la gigantesque île de pierre sur laquelle Ts’ing Tao serait plus tard construite.

 Malgré la grande maîtrise qu’elle avait de son pouvoir, Sin fo n’aurait pas pu réaliser un sort de cette envergure si elle n’avait pas pu puiser dans les forces de la tribu d’hembras qui les avait attaqués quelques jours seulement après leur installation sur l’île. Après une rapide confrontation qui tournait en défaveur des humains, la jeune femme avait usé de sa magie pour voler l’énergie vitale des créatures et ainsi toutes les étourdir. Effrayée par la puissance de l’esprit des hembras et par leur aspect mi-humain mi-animal, Sin fo avait traité très durement ses prisonniers et leur avait manqué de respect. Il fallut un sermon de Hank pour lui faire comprendre ses erreurs, et le départ inopiné et brutal de Jacob, le précepteur de la princesse, pour faire oublier à tous le choc de l’attaque des hembras.

 Une paix avait rapidement été conclue entre les deux groupes, et les hembras s’étaient installés avec les humains sur l’île d’Incuna, qui en cet hiver 2429 ne faisait pas encore partie du royaume de Vadkraam. Les premiers jours avaient été difficiles, tendus, puis tout le monde s’était fait à la cohabitation et la vie avait repris son cours, les hembras aidant même les humains à construire plus rapidement leurs abris pour affronter l’hiver.

 Néanmoins, Sin fo ne put s’empêcher de marquer un temps d’arrêt devant l’aspect de l’hembra qui l’attendait devant chez elle : son épaisse peau couverte d’une fourrure brune, ses larges oreilles rondes, son nez aplati, ses longs poils recourbés sur les joues et au dessus des sourcils, et ses grands yeux noirs sans pupilles. Gênée de toujours ressentir ce trouble et de n’avoir pas su le cacher, elle accueillit son nouvel ami.

Bonsoir Tsu’il. Puis-je vous aider à quelque chose ?

Non, à part peut-être m’ouvrir la porte, plaisanta l’hembra. Votre époux m’a invité pour le dîner. J’espère que ça ne vous dérange pas ?

C’est un plaisir au contraire ! J’avais hâte de continuer notre conversation, répondit la jeune femme en rentrant chez elle et l’invitant à la suivre.

La soirée risque d’être longue, parce que j’ai moi aussi des dizaines de questions à vous poser.

 Comme ils l’avaient déjà fait à plusieurs reprises les jours précédents, Sin fo et Tsu’il passèrent une partie du repas à s’entretenir de leurs pouvoirs, au grand dam de Hank, qui se sentit légèrement mis à l’écart de la discussion. Ils avaient déjà parlé longuement de leurs pouvoirs respectifs, de ceux des autres hembras, et de ceux que Sin fo avait pu voir à l'œuvre dans son enfance, lorsqu'elle vivait à Ts'ing Tao. Il était ressorti de leurs discussions précédentes que les pouvoirs des habitants de Ts'ing Tao étaient plus variés que ceux des hembras, qui se rattachaient le plus souvent aux éléments naturels. Tsu'il, qui était jusqu'alors persuadé que la maîtrise des éléments était réservée aux seuls hembras, dut réviser complètement son jugement sur les hommes.

 Ils débattirent longtemps sur la question de l'inné et de l'acquis. Tsu'il misait sur la transmission des pouvoirs, et Sin fo sur l'acquisition à force de travail. Pendant un moment, ils envisagèrent même que leurs pouvoirs soient liés à leur environnement.

– Peut-être que les forces de la nature présentes dans Yemuk’etu… , commença l’hembra.

– Vous parlez de l’île d’Incuna, voulut clarifier Sin fo.

– L’île, la montagne, toute cette terre qui nous accueille. Il y a ici, et sur les terres de mes ancêtres, plus au nord, quelque chose de particulier.

– Je ne crois pas que ce soit cela, répondit la jeune femme avec une légère moue.

 Devant le sourire en coin de son invité, elle s’empressa de développer son propos :

– Peut-être avez-vous une perception que je n’ai pas, mais j’ai beaucoup voyagé, à travers tout le royaume et même au-delà du monde connu, ajouta-t-elle en échangeant un regard avec Hank qui débarrassait la table, et cela n'a jamais affecté ma maîtrise de mes pouvoirs.

– J’admets que je ne me suis jamais vraiment éloigné des terres de mes ancêtres, reconnut Tsu’il en se levant à son tour. Je n’ai pas de points de comparaison.

 Ils en discutèrent encore quelques instants tandis que Hank ramenait le dessert de la cuisine, et ils finirent par se mettre d'accord sur l'hypothèse selon laquelle tout le monde pouvait développer un pouvoir, mais que vivre dans une famille de gens doués de pouvoirs donnait des prédispositions. En partant de ce principe, Sin fo regarda certains de ses souvenirs d'un autre œil.

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