Chapitre 4 Un village tranquille - Partie 3

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 Sin fo se mit donc au travail pour s'occuper l'esprit. Elle commença par retourner vers la porte et dégager les caisses qui étaient tombées devant. La pièce était dans un tel désordre qu'elle ne pourrait rien faire si elle ne la vidait pas un peu. Une fois la porte ouverte, elle sortit tout ce qu'elle avait à portée de main sur le palier pour se libérer de l'espace. Elle entreprit ensuite d'opérer un vrai tri. Elle classa les objets en trois catégories : ceux qui pouvaient encore être utiles, ceux qui pouvaient avoir une valeur affective pour Berg, et les déchets.

 Malheureusement, ce tas était le plus important. Sin fo trouva de nombreux vêtements qui étaient si usés qu'elle ne put même pas s'en servir pour nettoyer la poussière. Tout un coin de la chambre était occupé par des planches entassées, peut être les vestiges d'anciens meubles cassés. En les déplaçant, Sin fo délogea un nombre incroyable d'araignées, ainsi qu'un couple de souris qui s'enfuirent à toute vitesse. Elle jeta le vieux mobilier directement par la fenêtre, car il était inutile d'encombrer le palier avec du bois pourri. Après avoir jeté les premières planches, elle entendit la voix de Berg qui l'interpella depuis le jardin :

– Qu'est-ce que vous faites là-haut ?

– Je mets de l'ordre dans la chambre, répondit Sin fo en passant sa tête par la fenêtre.

– Vous fouillez dans mes affaires ?

– Je vous en ai parlé ce matin, vous aviez l'air d'accord, s'excusa Sin fo. Je peux tout remettre à sa place si vous le souhaitez.

– Non, non, s'empressa de répliquer Berg. Continuez, c'est une bonne idée. Je n'avais pas compris que vous parliez de cette pièce c'est tout. Je vais venir vous donner un coup de main.

– Ne vous dérangez pas, je peux me débrouiller.

– Je serais plus utile qu'ici. Le gamin travaille tellement bien qu'il aura tout fini tout seul d'ici ce soir.

 Sin fo regarda Reg'liss qui esquissa un sourire gêné avant de se remettre au travail. La jeune femme fit de même pour ne pas se laisser à nouveau aller à le contempler. Elle avait presque fini de se débarrasser de toutes les planches pourries quand Berg passa le pas de la porte. Il s'immobilisa sur le seuil et Sin fo vit qu'il était gagné par l'émotion.

– Voulez-vous que je vous laisse un instant, demanda-t-elle d'une manière pudique.

– Ça va, assura le vieux Berg. J'ai tant de bons souvenirs dans cette pièce, mais après la mort de ma femme, je ne pouvais plus dormir là, vous voyez. Je ne pouvais pas continuer sans elle. Mais maintenant que je vois ça, je me dis qu'elle serait effondrée en voyant notre chambre dans cet état.

– Dans ce cas, faisons cela pour elle, proposa Sin fo avec un doux sourire.

 Le vieux Berg acquiesça d'un signe de tête et ils se mirent ensemble à pied d'œuvre. Sin fo dégageait les objets entassés par petits tas, et Berg triait ce qu'il voulait garder de ce dont il pouvait se débarrasser. Dans le milieu de l'après-midi, alors qu'ils avaient vidé la moitié de la pièce, Sin fo descendit ce qu'ils avaient déjà classé au jardin, jeta le tout sur le tas de planches qu'elle avait lancé par la fenêtre, et mit le feu à tout ça. Elle en profita pour amener à boire à Reg'liss et discuter un peu avec lui.

 Quand elle remonta, elle trouva Berg assis par terre, immobile devant une boite ouverte. En s'approchant, elle s'aperçut qu'il avait les larmes aux yeux. Elle s'accroupit à ses côtés, et après s'être essuyé les yeux, il plongea ses mains dans la boite pour en sortir délicatement, presque religieusement, une robe bleue à manches longues ornée de dentelles discrètes. Il expliqua à Sin fo d'une voix tremblante :

– Ma femme portait cette robe la première fois que je l'ai vue. Elle était la plus belle femme que j'avais jamais vue. Elle l'a remise quelques fois, mais ne l'as plus jamais portée après notre mariage. Je ne savais même pas qu'elle l'avait conservée.

– Elle est magnifique, confirma Sin fo.

– Prenez-la, je vous l'offre.

– Je ne peux pas accepter ! Cette robe est un souvenir de votre femme.

– Les bons souvenirs, je les ai dans mon cœur, je n'ai pas besoin de les avoir dans une boite. Ma femme adorait cette robe, elle aurait voulu qu'elle soit portée par une belle femme. Nous n'avons pas eu de fille à qui elle aurait pu la léguer, vous voyez, mais je crois qu'elle vous aurait appréciée.

 La jeune femme le remercia chaleureusement et rangea immédiatement la robe avec ses affaires dans la chambre qu'elle partageait avec Reg'liss. À la tombée de la nuit, quand Reg'liss rentra enfin du jardin, Sin fo et Berg avaient presque fini de trier toutes les affaires du vieil homme, et Sin fo achevait de nettoyer les poussières et les toiles d'araignées. La pièce était si propre qu'elle était de nouveau habitable. Sin fo proposa même d'y déplacer son lit, car après tous ces jours passés en compagnie de Reg'liss, elle souhaitait être un peu seule.

 Le jeune homme ressentit un petit pincement au cœur à l'idée qu'il puisse la déranger, mais il comprenait qu'une jeune fille ait besoin d'un peu d'intimité. Il déplaça ses affaires et son lit, laissant la chambre à Sin fo, car lui n'avait pas besoin de beaucoup de confort. Ils dînèrent tous les trois tranquillement ce soir-là, puis ils se couchèrent tôt, épuisés par la fatigue saine d'une dure journée de travail.

 Le lendemain, Sin fo s'occupa de préparer à manger tandis que Reg'liss aidait le vieux Berg à s'occuper de ses animaux. Reg'liss n'avait jamais appris à s'occuper des bêtes avec son oncle, et il écouta attentivement les conseils de Berg sur l'alimentation des niglants et la façon de rentrer les cochons récalcitrants. L'après-midi, les jeunes gens se reposèrent et étudièrent une carte de la région que Berg leur avait retrouvée au fond d'un tiroir. La carte était ancienne et fragmentaire, mais le plus inquiétant, c'est qu'ils ne connaissaient aucun des noms de ville ou d'île qui y figuraient.

 Berg leur avait déconseillé de sortir de la maison, mais malgré cela, le matin du quatrième jour, ils insistèrent pour sortir faire des commissions pour leur hôte. Le vieil homme leur avait offert des vêtements, car ils ne possédaient que ceux qu'ils avaient sur eux en le rencontrant. Sin fo portait la robe longue ayant appartenu à la femme de Berg, qui jugeait la tunique de combat de la jeune femme et son pantalon moulant bien trop voyants, et Reg'liss avait troqué sa veste de cuir par une autre en lin, plus adaptée au climat de la région.

 Dans la rue, tout le monde les regardait en coin, et certaines personnes s'écartèrent même sur leur passage, mais ils n'y prêtèrent pas attention. Ils rentrèrent dans l'échoppe d'un maraîcher. Pendant qu'ils choisissaient quelques fruits et légumes, les autres clients présents parlèrent à voix basse, et deux d'entre eux sortirent après les avoir regardés longuement, sans avoir rien acheté. Sin fo déposa ses achats sur le comptoir de l'épicier, qui lui annonça le prix. C'est à ce moment qu'elle réalisa qu'elle n'avait rien pour payer. Elle en fit part à Reg'liss, qui lui dit :

– Je m'en charge. Heureusement, j'avais un peu d'argent sur moi quand on a quitté Ts'ing Tao.

 Il fouilla ses poches et déposa quelques pièces d'argent sur le comptoir. Le marchand le regarda d'un air décontenancé, prit une des pièces, et après l'avoir retournée dans sa main, demanda au jeune homme :

– Qu'est-ce que c'est que ça ?

– De l'argent. Il y a bien la somme que vous m'avez demandée ?

– Tu essaies de m'arnaquer, gamin ? Tu crois que je ne sais pas reconnaître de la fausse monnaie, surtout quand elle est aussi grossière ?

 Pantois d'être ainsi accusé devant Sin fo, le jeune homme jeta un regard d'incompréhension à son amie, avant de tenter de se défendre :

– Ce n'est pas de la fausse monnaie !

– Je ne sais pas où tu te crois, mais ici, on paie ses achats en or ! Remballe tes boutons de manchette, gronda l'épicier en lançant la pièce sur le comptoir, et fiche le camp de mon magasin !

 Reg'liss faillit s'emporter, mais Sin fo l'en empêcha en le tirant par le bras vers l'extérieur. Lorsqu'ils furent dans la rue, le jeune homme se tourna vers son amie et lui demanda avec colère :

– Pour qui se prend-il cet idiot ? De l'or pour trois salades ?

– Ce n'est rien, nous demanderons un peu d'argent à Berg en rentrant. Cela ne sert à rien de nous énerver, nous ne connaissons pas les pratiques d'usage dans ce village.

 Reg'liss continua à bougonner sous l'œil amusé de Sin fo jusqu'à la ferme de Berg.

 À leur retour, une désagréable surprise les attendait…

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