Au seuil de l'aventure !

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La Guilde Fantasy est assez facile à trouver : dans chaque ville, chaque village, il suffit de chercher le bâtiment le plus imposant avec des tours. La Guilde Fantasy de ma ville, pour sa part, se dressait à l'angle de la rue Rature Rimbaud et de Pont-impasse. Dans les dernières lueurs du crépuscule, l'édifice semblait encore plus imposant que d'ordinaire, ce qui n'était pas peu dire. Des filaments de brumes entouraient ses murs de pierre grise, ondulant sous un vent inexistant. Derrière les hautes fenêtres, des lueurs orangées palpitaient, comme autant d'étoiles égarées. Le sommet des tours disparaissait dans les nuages pourpres et, sous l'ourlet des toits, des gargouilles grimaçantes m'épiaient, gueules ouvertes.

Je serrai un peu plus fort la lanière de ma sacoche.

Debout devant l'immense porte à double battants, je dégluti et avançai d'un pas. La lourde porte s'ouvrit aussitôt, comme si elle n'attendait que moi. Un vacarme monstrueux, fort de mille conversations, rires, chopines s'entrechoquant, râclements de chaises et froufroutements de vêtements, me heurta de plein fouet. Je failli reculer sous le choc mais, par quelque graine de courage insoupçonnée, je tiens bon et continuai d'avancer.

Une bouffée d'odeurs m'enveloppa, saturant mes narines. Ça sentait l'alcool, le vieux parchemin, le bois verni, la sueur, la cire chaude, les crêpes et la fumée. Un sacré mélange, en somme. Je fis quelques pas hésitants, en quête du comptoir d'accueil. Ogres, trolls, magiciens, guerriers endurcis, fées, dragons, loups-garous, goules et autres créatures étranges s'entassaient ici et là, formant un labyrinthe mouvant de corps. Et puis ce bruit ! Ça me donnait le tournis !

Je marquai un temps d'arrêt et jetai un rapide coup d'oeil derrière moi. La porte était close. Je ne l'avais même pas entendu se refermer...

Bon, en même temps, avec tout ce rafus, ce n'étais pas si étonnant.

Je pestai et, ma sacoche serrée contre moi, je louvoyai entre la foule, en quête du guichet d'accueil. Je le trouvai enfin, engoncé sous un escalier tordu qui menait aux étages supérieurs. Ou du moins, je pensai que c'était le guichet d'accueil, vu qu'il n'y avait aucun panneau ou pancarte l'indiquant comme tel. Je m'en approchai lentement et m'arrêtai devant le comptoir. J'avais espéré y trouver quelqu'un, n'importe qui, mais il n'y avait personne... Peut-être n'était-ce pas le guichet d'accueil, en fin de compte...

- Bonjour, bienvenue à la Guilde Fantasy ! Que puis-je faire pour vous ?

Je sursautai si violement que je crus m'envoler. Je me tournai vers la voix qui m'avait accosté.

Une jeune elfe rousse me souriait. Elle portait une cape bleue, assortie au grand chapeau pointu qui trônait sur sa tête. Son regard orange me fixait avec bienveillance.

- Euh, pardon, mais vous êtes ?

- Lulutiluna, aventurière et héroïne de la Trilogie de la Forêt aux Mille Brumes, me répondit la fille avec une petite révérence. Vous avez peut-être déjà entendu parler de cette saga ?

Je secouai négativement la tête.

- Euh, non...

L'elfe eut une petite moue puis haussa les épaules et soupira.

- Peu importe, mon écrivain n'est pas très connu pour l'instant... Mais je suis sûre que ça va changer ! Bref, même si je suis une héroïne, je m'occupe aussi de l'accueil, accessoirement, mais j'avais envie de faire pipi et... bref, on s'en fiche, me voilà maintenant !

Sur ces mots, elle sauta par-dessus le comptoir avec une grâce toute féline, rajusta son chapeau et me fit face, toujours souriante.

- Alors, que puis-je fais pour vous ?

Je dégluti.

- En fait, j'aimerai devenir écrivain... bredouillai-je. Mais je n'arrive pas à finir les romans que je commence... et puis il y a ce petit monstre, là... (j'ouvris ma besace pour lui montrer).

Lulutilu... euh... Lulunatilu... bref, Lulutruc hocha la tête et regarda le monstre avec un sourire attendri.

- Ce n'est qu'une esquisse d'histoire, mais il a l'air prometteur, déclara-t-elle. Et donc, vous avez commencé à l'apprécier et vous refusez de l'abandonner mais vous ne savez pas comment la continuer, n'est-ce pas ?

- Euh, oui, en gros, marmonnai-je en baissant les yeux.

- Hum, dans ce cas, veuillez répondre à ce questionnaire, s'il-vous-plait !

Je relevai la tête et pris maladroitement la feuille de parchemin qu'elle me tendait. Je la parcourus un instant et pâli.

Quel est le but de votre héros/héroïne ?

Pourquoi poursuit-il/elle ce but ?

Comment s'appelle le monde où se passe votre histoire ?

Quelles créatures l'habitent ?

Y a-t-il de la magie dans votre histoire ? Si oui, laquelle, précisez.

Pourquoi écrivez-vous ?

Combien y a-t-il de pays/royaumes/empires dans votre histoire ?

Vos personnages ont-ils un destin tout tracé ou non ?

Comment se finit votre histoire ?

Qui est le méchant de votre histoire ?

Pourquoi est-il méchant ?

Quel genre d'écrivain voulez-vous être ?

...

Je regardai à nouveau l'elfe.

- Je dois répondre à toutes ces questions ? demandai-je, de plus en plus mal à l'aise.

D'une, mon histoire n'était pas assez développée pour que je réponde à la moitié des questions et de deux... "Quel genre d'écrivain voulez-vous être ?" C'était quoi cette question à la noix ? "Le genre à finir ses histoires", ça semblait logique, vu que j'avais ramené mes fesses ici, non ?

Lulubidule sourit.

- C'est recto-verso.

Je retournai la feuille et me décomposai totalement. Merde.

- Après pas besoin de répondre à toutes les questions, gloussa Lulubidule. Et pas maintenant, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil. Mais, à la fin de votre quête...

Elle laissa sa phrase en suspens et hocha la tête. Moi je me raidi et mon coeur rata un battement. "Ma quête". Jamais je n'aurai cru avoir le courage d'entreprendre la moindre quête. Mais voilà, si je pouvais m'en passer pour des contes et des poèmes que j'écrivai à la va-vite, pour un roman, c'était une toute autre histoire. Je baissai les yeux et croisai le regard de mon petit monstre ébourrifé. Une bouffée de... de quoi ? D'air, de chaleur ? De courage, de détermination (si on part du principe qu'un sentiment peut venir par "bouffées") ? Je l'ignorai, toutefois, quelque chose m'emplit. Une force nouvelle, insoupçonnée. J'allai fourrer le parchemin dans ma sacoche quand je me rappelai qu'elle abritait déjà mon petit monstre... Après un instant d'hésitation, je le glissai dans la poche de mon manteau, faute de mieux.

- Bon, reprit l'elfe, c'est pas tout ça, mais j'ai la vessie qui se remplit à vue de nez et il faut vous inscrire !

Lulutruc farfouilla sous le comptoir et sortit un gros bocal de verre, qu'elle posa devant moi. À l'intérieur du bocal, quelques feux-follets bleus et verts virevoltaient paresseusement.

- Bien, déjà, vous êtes une fille ou un garçon ?

J'écarquillai les yeux.

- Euh... ce n'est pas évident ? bégayai-je.

L'elfe eut un petit rire gêné.

- C'est la procédure, désolée. Hum, du coup, fille ou garçon ?

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