8.    Etrange courrier

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Les choses étaient allées tellement vite depuis mon arrivée à Paradise Corner. Ce maelstrom d’émotion me donnait la nausée : impuissance, peine, frustration, remord… À moins que ça ne fût le manque de sommeil. À peine j’eusse raccroché avec la veuve de Miguel, je m’effondrai sur le lit miteux du motel pour épancher ma tristesse. Je sombrai dans mes cauchemars sans même m’en rendre compte. Ce fut un coup violent contre la porte de ma chambre qui m’éveilla en sursaut. Je pestai contre moi-même. La journée était déjà bien avancée. J’avais perdu un temps précieux. Je maugréai contre cette visite impromptue tout en la remerciant intérieurement d’avoir écourté cette pause inutile. J’ouvris, prêt à recevoir mon invité, mais fut surpris de ne voir personne. J’allais refermer, lorsque j’aperçus une enveloppe scotchée à ma porte. Intrigué, je pris connaissance de la lettre qui accompagnait un dossier. Elle était écrite par M. Le colosse me présentait ses condoléances pour la mort de mon coéquipier et m’invitait au Paradis Perdu pour discuter. Bien que la missive soit courte, son ton était étrange, chargé de sous-entendus. Comme si l’homme savait des choses sur le meurtre de Miguel. Mais ce fut la lecture du dossier qui entérina ma décision de me rendre au bar sans tarder.

Il détaillait ce qui était advenu du corps d’Elizabeth Sue une fois remis à Genix Pharmacom. Au milieu de tous les détails techniques sur les manipulations génétiques qui étaient bien trop poussées pour ma compréhension, une partie retint mon attention :

01/18/1985 : le sujet a enfin réagi favorablement au protocole. Ce matin, elle s’est levée et a réclamé un verre d’eau. Son activité cérébrale est normale, mais son pouls reste impossible à déceler.

Je dus relire trois fois le passage pour être certain de ce que j’avais compris. Ce dossier était fabriqué de toute pièce. Ce n’était pas possible autrement. Le reste de la lecture, totalement farfelu, mixait des termes scientifiques avec des mythes ésotériques. Mon esprit cartésien rejeta tout en bloc. M me prenait pour un imbécile. Pensait-il me faire croire de telles inepties ? Après une brève toilette pour me rendre un peu plus convenable, je filai au Paradis Perdu. Ce type allait voir qu’on ne jouait pas avec moi de la sorte !

J’arrivai sur les lieux au milieu de l’après-midi. Le bar était bien entendu fermé, mais la porte s’ouvrit dès mon premier coup. Le blondinet à la crinière d’ange que j’avais déjà remarqué en compagnie de M s’effaça pour me laisser entrer.

  • Il vous attend, déclara-t-il sobrement.

La scène ressemblait à s’y méprendre aux vieux films de gangsters. Le bar était vide, et trônant au milieu de la lumière tamisée, M et toute sa cour. Il se leva pour m’accueillir chaleureusement :

  • Agent Ambrose ! Je me réjouis de vous voir ici.

Si ma réponse cinglante le refroidit, il ne le montra pas. Jetant sa lettre nonchalamment sur la table devant lui je demandai :

  • C’est quoi ce ramassis de conneries ?

Il reprit place dans son fauteuil sans pour autant se départir de son sourire carnassier.

  • Le dossier d’Elizabeth Sue, déclara-t-il sobrement. Celui que j’ai dérobé dans les locaux de Genix, il y a quelques années. Ça semble incroyable, n’est-ce pas ? C’est pourtant la vérité. Elle fait partie de la quatrième vague d’évasion des laboratoires de Paradise Corner. Elle ne supportait pas sa nouvelle vie. Elle avait du mal à s’intégrer, à respecter mon autorité. Votre coéquipier n’aurait jamais dû être attaqué. J’ai fait le nécessaire pour que ça ne se reproduise plus.

J’étais abasourdi ! Ce type venait de m’avouer qui avait tué Miguel. Pire que ça, il m’avouait s’être débarrassé du coupable avec une transparence incroyable. Comme si notre conversation portait sur le temps qu’il faisait ! J’étais partagé entre l’arrêter sur-le-champ et l’écouter.

  • Vous êtes en train de me dire que vous l’avez faite exécuter ?

Tout en conservant son calme olympien, il acquiesça. Je ne pus m’empêcher d’énoncer tout haut la théorie farfelue qu’il tentait d’implanter dans mon esprit :

  • Et cette femme était une condamnée à mort, modifiée génétiquement par Genix Pharmacom pour devenir un vampire.

Je ne pus retenir un soupir lorsqu’il répondit de nouveau par l’affirmative.

  • C’est ridicule ! explosai-je.
  • Je me doutais que vous réagiriez ainsi, m’avoua M.

Il me tourna nonchalamment le dos. Je vis les lumières de la pièce vaciller tandis que son aura semblait gonfler, comme aspirant les ténèbres. Je reculai d’un pas lorsque je l’entendis grogner, un râle guttural provenant du plus profond de son être. Quelque chose se déchira, mais je ne pouvais distinguer ce qui émergeait de son dos, tant les ombres avaient brutalement dévoré les lieux. Mon cerveau me commandait de fuir, mais j’étais comme pétrifié, incapable de quitter ce bar. M fit alors volte-face… enfin, la créature qui avait pris sa place. Un monstre gigantesque arborant un hideux faciès et deux ailes décharnées. La moindre parcelle d’humanité avait disparu et dans la panique, je ne pus qu’hurler, hurler à m’en faire péter les tympans.

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