Le Chemin de Fer

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Plume sauta et se réceptionna sur le toit du wagon. Elle ne supportait plus de rester enfermée. Depuis qu'Esther et Dominique les avaient rejoints, ils étaient constamment sous surveillance. Au départ d'Ambert, le groupe s'était retrouvé parqué dans la voiture de queue avec chevaux, mules et matériel. Pour seul confort, quelques ballots de paille parsemaient le plancher. Dans un coin, deux brassards rouges les surveillaient. Plume avait attendu l'obscurité d'un tunnel. Elle s'était faufilée entre les barres de la seule ouverture pour grimper sur le faîte. En guise de paiement, elle avait dû avaler une bouffée acre de fumée. L'adolescente progressait lentement, vers l'avant du train. Devant, la vieille locomotive crachotait son serpent de nuages gris . Elle peinait à tirer la quinzaine de wagons, de toutes sortes, qui s'accrochaient à elle.

L'adolescente se réceptionna sur les planches de bois, déclenchant quelques beuglements et bêlements sous ses pieds. Elle s'assit, profitant du soleil matinal. Le train serpentait à flan de colline. Un peu plus bas, une rivière murmurait suffisamment pour percer le bruit rythmé des roues en acier sur les rails. Berceau de la voie, la petite vallée proposait une mosaïque de verts. Les forêts foncées alternaient avec de jeunes prairies. Quelques vaches broutaient mollement, peu intéressées par le tortillard qui, une fois par jour, défilait devant leurs cornes.

La loco siffla d'un trille nerveux. Même si elle était la reine du rail, quelques draisines actionnées à la force des mollets occupaient son chemin de fer. Souvent, se résumant à quatre roues de vélo aux coins d'un plateau de bois et d'une selle avec pédalier, elles constituaient le bas peuple du rail. Au coup de vapeur, les deux occupants descendirent. La frêle bestiole fut soulagée de son chargement puis basculée sur le côté du rail, exhibant son ventre. Une fois son altesse passée, et remise sur ses roues, la bestiole repartit en couinant.

La vieille dame ne s'arrêtait jamais ; ce n'était pas la peine. A chaque côte, sa vitesse diminuait suffisamment pour que les passagers descendent ou montent. Parfois quelques jeunes sautaient à l'abord d'une côte pour aider un plus vieux ou une plus malade. Dans les plus longs raidillons, se déroulait parfois le manège des vendeurs à la sauvette. A coup de cris, des marchands, souvent des enfants, proposaient des tartines, biscuits, gâteaux, parfois des boissons. Il suffisait d'un signe, d'une main agitée hors de la fenêtre, et l'aboyeur, panier en main, s'accrochait à l'ouverture et vendait ses produits le temps de la montée. Cube devait apprécier ce genre de service, pensa Plume.

Bientôt, le train disparaîtrait dans un tunnel. Elle sauta sur la plateforme entre les deux voitures et ouvrit la porte. Quelques têtes se tournèrent pour la voir passer. Hommes, femmes et enfants s'entassaient sur des banquettes déglinguées de vieux cuir craquelé. L'odeur de sueur se mélangeait à l'odeur de fiente. Quelques citoyens avaient préféré garder avec eux leurs poules, le plus souvent encagées ou seulement tenues par un lacet à la base des ailes. Un mâle à la crête rouge tombante coquelina mal à propos, interrompant la femme à côté de lui. Elle se retourna vers l'oiseau et glissa son indexe sous sa gorge. Ça risquait d'être son dernier tour de chant. Avisant une place libre près de la fenêtre, Plume s'assit.

- Tu es une des verdoyantes de Tricastin ?

La voix venait d'un homme qui présentait une pilosité plus qu'abondante. D'ailleurs de sa presque fourrure émanait une douce odeur animale. Déjà d'un certain âge, son pelage virait à l'argent. Plume se surprit à vouloir le caresser.

- Tu n'es pas obligé de me répondre. Je suis habitué.

- Vous êtes habitué à quoi ?

- Pourquoi crois-tu qu'il reste une place à côté de moi ? Je les dégoûte.

- Ah. Pourtant, Cube qui est, lui aussi, très verdoyant n'a jamais eu de problème à Ambert !

- Tu sais ce que c'est un régressif ?

- Oui, c'est un sauvage qui ne sait pas parler et parfois ne sait même pas marcher.

- Mais tu n'en as jamais vu ?

- Non, jamais.

- Il y en a dans la montagne, autour de Thiers. Il parait qu'ils ont beaucoup de poils.

- Mais vous n'êtes pas un régressif, alors pourquoi ils vous fuient ?

- Je ne sais pas exactement, peut être que j'incarne leur plus grande peur. Ce qu'ils ont peur de devenir.

- C'est stupide ! On naît régressif , on ne le devient pas.

- Et si ce n'était pas si simple. Ce qui nous sépare de la bête n'est peut être qu'une question d'apprentissage. Qui nous montre comment parler et même marcher ? Nos parents ! Le poulain, lui, naît avec la capacité de se tenir droit.

- Vous parlez comme Mathusalem, dit elle en riant.

L'homme s'était endormi. Alors Plume repassa sur le toit. On leur avait dit de ne pas descendre et elle n'en pouvait plus de rester sans rien faire. Mathusalem leur avait raconté que c'était un moyen de transport rapide. Elle allait plus vite en courant. Il faudrait encore des heures avant d'arriver à Courpières. Le train s'arrêterait une heure dans la ville puis, délesté de la plupart des voyageurs, il repartirait pour son terminus : Thiers. Cette dernière ville de la république servait de tête de pont pour les bûcherons qui coupaient le bois dans la montagne. Il utilisait la vieille dame pour ramener leurs billots dans la vallée.

Plume repartit vers le wagon de queue, regardant avec envie le jeune lièvre qui détalait en bordure de la voie ferrée.

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