Du Sang sur les Pissenlits

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Cela faisait de longues minutes qu'ils galopaient. Et même s'ils n'allaient pas aussi vite que les soldats, ils arriveraient peut être avant eux à la forêt. Il y avait encore une chance.

Esther entendait les cris des soldats qui arrivaient sur leur gauche. Soudain, devant eux, des ombres sortirent du couvert des arbres. La meute devait faire plusieurs dizaines de loups. La jésuite n'avait jamais vu un clan aussi important. Habituellement, ils se cachaient et les laissaient tranquilles. Elle ralentit l'allure. Au trop puis au pas. Dominique et Cube se placèrent à ses côtés.

- Pied à terre.

- Les soldats arrivent, il faut continuer, dit Dominique.

- Ces loups sont trop nombreux. Mettez vous en cercle .

A une centaines de pas, ils voyaient les loups, nerveux, qui attendaient en faisant des aller retours sur quelques mètres.

De l'autre côté les soldats passèrent au trot et se déployèrent sur une ligne de front. Les verdoyants se retrouvaient coincés. Les chiens avaient senti les loups avant de les voir. Malgré la peur, ils avaient continué à suivre les soldats. Ils jappaient aux côtés des militaires.

Troubadour, en désespoir de cause, lança son hurlement de loup. Sans succès, ni les soldats ni les loups ne bougèrent. Seuls les chevaux des verdoyants s'affolèrent et s'enfuirent. Alors que les soldats s'approchaient à moins de cent pas.

- Regardez ! dit Troubadour. C'est l'enfant !

Sorti du bois, il était là devant eux. Nu, éclairé par les premiers rayons matinaux, son visage inexpressif ne laissait transparaître aucune émotion. Il huma l'air puis, encadré d'un gros mâle au pelage gris foncé et d'une femelle efflanquée, trottina vers le groupe. Esther ne savait pas quoi faire. A sa sortie du puits, elle n'avait qu'entraperçu l'enfant. Il était passé devant elle. Puis, sans un regard, il s'était évanoui dans la nuit. Maintenant, il s'approchait d'eux. D'une démarche bizarre, les jambes très fléchies, il s'appuyait de temps en temps sur une main, le bras tendu.

L'enfant se dirigea vers Troubadour qui décida de venir à sa rencontre sortant du cercle formé par le groupe. Confiant, Jean Paul le suivit. L'enfant le renifla longuement puis lui lécha les mains. Jean Paul eut droit à un reniflement dédaigneux. Le grand mâle et la femelle s'étaient assis à quelques pas de Troubadour. Le marmot continua par Camélia qui eut droit aux reniflements et aux léchouilles. En retour, elle lui caressa la tête. Puis il passa par tous les membre de la communauté. Lem fut réticent et recula. Il fallut que Troubadour vienne lui tenir le bras pour qu'il laisse l'enfant le renifler. Plume eut un traitement de faveur. Assise dans l'herbe, elle tendit sa main sur laquelle il vint se frotter. Puis il renifla la plaie au ventre avant de lui lécher la figure. Esther s'était accroupie pour l’accueillir. Mais, à aucun moment, elle réussit à croiser son regard. Il préférait regarder les mains ou poser son nez directement sur la peau de la personne.

Il finit par Dominique qui le laissa faire. L'enfant à peine parti, il s'essuya les mains avec son mouchoir et se signa rapidement.

Le garçon hésita puis de sa démarche hésitante s'approcha de quelques pas vers les soldats. Après quelques reniflements, il commença à grogner vers les militaires. Voyant les chiens, le poil hérissé, les crocs sortis, le capitaine cria :

- Tuez cette abomination !

Plusieurs carreaux d'arbalètes se plantèrent dans le bouclier de Cube. Le guerrier avait suivi le garçon. L'enfant aboya et tous les loups attaquèrent. Esther s'accroupit pour prier, se croyant perdue. Mais les loups traversèrent le groupe sans s'arrêter.

Les soldat n'avaient pas le temps de recharger leurs arbalètes. La meute arrivait, leurs crocs brillant au soleil. Nul ordre ne fut prononcé, pourtant toute la troupe fit volte face et partit au galop. Cube fut d'abord admiratif devant la coordination de la horde. Les loups se scindèrent en petits groupes de cinq ou six pour attaquer les chevaux les plus lents. Le loup le plus rapide coupait la course du cheval. Ce dernier ralenti, les autres loups en profitaient pour mordre les jarrets du destrier. Le cheval hennissait, se cabrait, ruait. Malheur au cavalier éjecté, il était égorgé par le loup le plus proche. Les chasseurs étaient devenus les proies. Cube entendait les claquements de mâchoires, les os qui craquent. Au bout de quelques minutes, tout était fini. Quatre soldats étaient mort, un cheval finissait d'agoniser une patte fracturée. Les loups reviendraient le tuer une fois qu'ils en auraient fini avec les soldats.

Esther se pencha avec ses deux mains ouvertes pour brasser l'herbe perlée de rosée. Les mains mouillées, elle s'essuya le visage essayant de faire passer la nausée. Les autres hébétés regardaient les loups qui avaient commencé leurs ripailles.

L'enfant jappa. Du couvert des arbres sortirent quelques femelles suivies de louveteaux. Avec de petits cris, il se frottèrent à l'enfant avant d'aller rejoindre les autres autour des corps. De temps en temps, un loup se détachait d'une carcasse pour amener un morceau de viande sanguinolent. Tel un roi païen, assis sur un rocher, l'enfant recevait sa béqué.

Pareille à la brume du matin, l'odeur de sang et d’entrailles se répandait sur la prairie. Le cheval avait fini par mourir et une partie de la horde se repaissait de ses viscères. Ivres de sang et d'odeur, ils plongeaient leurs museaux rougis entre le berceau des côtes.

Rassasié, l'enfant se leva et préleva un gros morceau. Le garçon traînait derrière lui l'os recouvert de lambeaux de chair. Cyrano se pinça le nez tandis que les jumelles se retournèrent. Esther, à défaut de pouvoir encore vomir, hoqueta main sur la bouche. Suivi d'une nuée de mouches noires, le garçon tirait le bras d'un soldat par sa main. Une alliance en or brillait à l'annulaire. Les mâchoires des loups avaient broyé les os au dessus du coude.

Arrivé devant Troubadour, il lui tendit l'avant bras. De l'offrande, un sang coquelicot gouttait sur les fleurs de pissenlit qui s'étaient ouvert pour recevoir les premiers rayons de soleil. Hésitation. Secondes. Troubadour s'empara du bras. L'enfant attendait.

- Il veut que je mange, dit Troubadour.

- Ne fais pas ça, tu serais damné, dit Esther.

- Vous préférez le contrarier. Je vous rappelle qu'il commande une horde de loups ! dit Troubadour.

- C'est le pire des péchés, dit Dominique.

- Le pire est de tuer quelqu'un pour le manger, et je n'ai pas tué ce soldat ! Il est mort, ce n'est plus que de la viande, dit Troubadour.

- Je t'en pris ne fais pas ça, dit Esther.

Quelques secondes s'écoulèrent puis Troubadour, tenant le bras, avança vers des loups. Le garçon le suivit. Il passa non loin de petits groupes qui ne relevaient même pas la tête et continuaient de mâcher viande et os. Il donna le bras à un louveteau qui avait du mal à accéder à une carcasse puis il se dirigea vers la carcasse du cheval. Il s'accroupit. A quatre pattes, à côté des autres loups, il renifla puis lécha la viande encore tiède du cheval mort. Il sortit lentement, son couteau et découpa deux morceaux. Il donna le premier à l'enfant et enfourna le second. Il le mâcha consciencieusement avant de l'avaler. Puis il repartit à quatre pattes. De tant en tant il donnait un morceau à l'enfant qui attendait assis dans l'herbe. Au bout de plusieurs minutes, il tira dans l'herbe une cuisse du cheval.

- Cube, tu viens m'aider ?

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