Récit de l'envolé, un jour qu'il se promenait dans un cimetière aztèque ce qui a ramené quelques paroles à sa mémoire.

Nous étions le 14 juillet. Il était midi tapante et la chaleur plombante vrillait déjà mes épaules. Je me suis aventuré en ce lieu improbable, entre des tombes totalement abandonnées et d'autres pimpantes, voire clinquantes. Un chien se baladait là, ce qui effectivement, permettait de dire qu'on peut trouver dans un cimetière autre chose que des fantômes. Et ça peut donner comme un inventaire à la Prévert : des feuilles mortes (qui se ramassent à la pelle), des escargots, des coquillages, un zeste de vent salé, quelques flocons de neige... ou un Indien soul, oublié de tous, qui promène sa calavera.

Celui-là, c'est un gusse étrange. Grand, un peu dégingandé, le visage tanné par tant d'errances, il braille à qui veut l'entendre que la lune caustique et sanguine ne se couche jamais au nord. Qui est-il ? D'où vient-il ? Quel est son passé ? A-t-il seulement un avenir autre que celui d'errer entre les tombes, avant de s'écrouler près de celle portant le numéro 7 en rotant d'improbables "Buenos noches, amigo..."

Mais peut-être qu'avec un peu de patience, il me racontera son histoire... Je m'installe à ses côtés, la tombe voisine semble assez confortable pour que j'y pose mes fesses. Il me paraît se trouver dans une possible plage de sobriété, j'ai donc bon espoir d'en apprendre un peu plus sur lui. Je l'écoute avec attention. J'ai toujours aimé ces rencontres improbables, comme la nôtre.

- Tu vois, petit... Quand j'étais jeune... J'ai tenté une plongée aux Enfers, avec Orphée, et d'en remonter par la face nord... Y'avait une gamine... Dame... Qu'ces yeux étaient beaux... Comme des perles d'eau marine... L'a pris mon coeur et mon cerveau aussi, j'crois bien... Lui m'disait qu'c'était pas son Eurydice... Dis, t'as pensé à apporter un pack de kro ?

Non, j'avais juste une bouteille de mescal, dans laquelle s'était noyée une étrange créature. Parce que bon, il est bien gentil, mais une bouteille de Dom Pé 67... J'ai pas la fortune à Rotschild, moi. Et même en déduisant cela de mes impôts... Pas sûr que le fisc voie ce genre de justificatif d'un bon oeil.

Je l'aurais bien écouté encore, mais il commençait à divaguer. Son regard s'injectait de sang : il lui fallait sa dose. Je lui ai laissé la bouteille de mescal, un paquet de cigarettes à peine entamé et quelques fruits achetés au marché, à la toute première heure. Avec cela, il pourrait proposer un festin à son amigo de la tombe numéro 7.

Quand j'ai franchi la porte, pour retourner en ville, la nuit tombait. En levant les yeux vers la voûte céleste, j'ai vu que la lune était rouge. Et qu'elle se couchait au nord.