CHAPITRE 11 : OLGUENA

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Un silence de mort tombe sur le village tel une chape de plomb. Personne n’ose bouger. Une rumeur aussi légère qu’un courant d’air monte et se transforme en tempête. C’est impossible, Olguéna doit se tromper. Mais Olguéna ne se trompe jamais. Pourquoi ont-ils dissimulé leur identité ? Pourquoi sont-ils là, à Latrébaya ? Où étaient-ils passés tout ce temps ? Pourquoi n’ont-ils pas encore chassé les Mariquais ? Vont-ils les chasser ? Comment ?

- Comment savez-vous qui nous sommes ? demande Aurore.

Aussitôt la foule se tait. Tous les regards sont rivés sur la vieille femme qui arbore un sourire triomphant.

- Je sais tout mon enfant. Maintenant je crois que vous allez devoir répondre à quelques questions.

Sur ces paroles, la vieille femme descend avec agilité de son perchoir et se dissimule à nouveau dans la foule. Le brouhaha reprend de plus belle. D’un signe de la main, Aurore fait taire tout le monde. D’un regard entendu, elle laisse la parole à Sarah, plus à l’aise en public.

Tout en s’efforçant de n’omettre aucun détail, l’étoile saphir raconte leur histoire à son auditoire pendu à ses lèvres. Elle évoque leur enfance, décrit l’autre monde, détaille leur rencontre et l’entrainement qui a suivi, relate l’attente du départ et l’arrivée de Lucie, retrace leur parcours depuis qu’ils ont mis les pieds sur ce continent et leurs efforts pour rester discrets.

- Mais le monde entier vous attend, pourquoi vouloir vous cacher ?

- Nous ignorons presque tout de ce monde. Nous ne savons pas comment sont organisés les Mariquais, où se trouvent leurs bases, quels sont leurs points faibles, etc. Nous ne savons même pas si nous sommes prêts pour un affrontement. Toutes nos informations proviennent de Gérard qui était un ami des Sept qui nous ont précédés. Or Gérard a quitté ce monde il y a près de vingt ans. Nous n’avions aucune indication sur ce qui était encore d’actualité ni même si nous serions encore les bienvenus. En nous rejoignant Lucie a pu répondre à quelques-unes de ces interrogations mais il demeure encore de nombreuses zones d’ombre. Nous souhaitons profondément vous venir en aide et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour cela. Nous avons prévu de nous rendre prochainement à Diporto afin de reprendre le contrôle de la ville. Nous espérons ainsi faire connaître notre retour à tout l’Inckya et envoyer un message fort à nos ennemis. Mais pour y parvenir, peut-être pourriez-vous nous venir en aide ?

Un murmure d’approbation traverse l’assemblée qui s’écarte pour laisser place à un marchand presque aussi âgé qu’Olguéna.

Il a beaucoup voyagé par le passé, avant que la terre ne devienne impraticable, peuplée de barbares sanguinaires incapables de faire la distinction entre faire régner l’ordre et être un monstre de sadisme.

Diporto était une ville portuaire, haut lieu de commerce et comptoir des érudits. La ville comptait parmi les merveilles de ce monde et était sans nul doute la perle d’Inckya. A chaque coin de rue ses bâtiments à l’architecture hors du commun rivalisaient de beauté et d’originalité. Ils abritaient en leur sein, loin des regards indiscrets, les réunions des plus grands cerveaux de ce continent. On y discutait art, politique, histoire, science, religion… Aucun sujet n’était laissé pour compte. La pièce maîtresse de cette ville chef-d’œuvre était sans conteste le château où résidait le roi et sa cour.

Le palais s’élevait au-dessus du reste de la ville tel une forteresse sur sa montagne. Mais nul ne savait s’il y avait réellement une montagne en-dessous de ces murs où s’il s’agissait uniquement de souterrains entrelacés.

Diporto ne ressemblait en rien aux autres capitales humaines du royaume. Toutes les créatures y circulaient librement, sans crainte, et échangeaient entre elles dans la joie et la bonne humeur, sans l’animosité habituelle qui résidait entre la plupart des peuples. Chacun trouvait sa place en bonne intelligence et laissait ses préjugés à l’entrée de la ville. L’effervescence qui régnait là était le berceau des idées les plus brillantes, des textes les plus inspirés, des amitiés les plus inaccoutumées. Afin de préserver cet esprit et cette culture, un ancien roi avait même rendu le château accessible au peuple. A vrai dire, personne ne savait si l’ouverture des portes étaient la conséquence de cette recherche de savoir qui s’insinuait dans tous les recoins de la ville ou bien si ça avait été l’élément déclencheur qui avait introduit la soif de connaissance dans les rues de la capitale.

Avant la guerre, enfants et adultes passaient leur temps libre à arpenter les étagères surchargées de l’impressionnante bibliothèque royale. Elle occupait la tour centrale de la bâtisse et les manuscrits envahissaient les murs du sol jusqu’à atteindre pratiquement la charpente. Une reine oubliée avait renommé la bibliothèque en La Tour Du Peuple en raison de l’affluence que ce lieu subissait. Malgré la quantité de bureaux, de canapés et de fauteuils, il était extrêmement rare de réussir à se trouver une place assise. C’est pourquoi bon nombre des lecteurs s’installaient à même le sol où bien sur les marches des escaliers. En plein hiver, il arrivait même qu’ils occupent les couloirs séparant la Tour Du Peuple de l’entrée du palais.

Malgré son accessibilité et la paix qui régentait la vie à Diporto, la ville n’en était pas moins une forteresse que n’importe qui aurait jugé imprenable. Pourtant les Mariquais l’avait prise. Personne ne comprenait comment cela avait été possible. Leur attaque fulgurante avait triomphé de siècles de savoir et de connaissances. En une nuit la paix et la sagesse s’éteignaient à mesure que les braises de la violence et de la haine s’allumaient. Les incendies avaient mis fin à l’harmonie, la violence avait eu raison de l’intelligence.

Le lendemain, la tête du roi se balançait au bout d’une pique, au sommet de la Tour Du Peuple. La reine était parvenue à s’échapper par des souterrains secrets mais s’était faite rattraper et exécuter un peu plus loin. Malgré tous leurs efforts, les Mariquais n’avaient jamais trouvé ces passages. On raconte qu’aujourd’hui ils ignorent encore comment la reine s’est échappée cette nuit.

Pour reprendre la ville, il faudrait soit réussir à passer les murs de la ville puis prendre le palais d’assaut, soit trouver les souterrains et prendre le palais depuis l’intérieur, sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’une légende urbaine.

- Eh bien, s’exclame Charlotte. Ça doit être à notre portée. Nous n’allons pas faire marche arrière à la première forteresse venue. Après tout, c’est bien pour ça que nous sommes ici. Je ne pensais pas dire ça un jour mais, les amis, nous avons une guerre à mener, un château à faire tomber.

- Ce serait plus simple si vous maitrisiez vos pouvoirs, objecte Olguéna.

- Pardon ? s’étouffe Charlotte.

Le regard perçant de la sorcière scrute la jeune illusionniste des pieds à la tête puis elle se retourne en marmonnant dans sa barbe.

- Je veux vous voir demain devant chez moi, aux premières lueurs de l’aube. Soyez en forme. Nous commencerons votre entrainement. Un vrai entrainement. Pas ce simulacre de formation que vous a enseigné ce vieux vicieux de Gérard.

Elle n’ajoute pas un mot de plus et, comme à son habitude, disparaît dans la foule, les laissant en proie au doute et à leurs interrogations.

Après une nuit mouvementée, les sept amis se retrouvent devant la bicoque en pierre d’Olguéna. Ils ne sont pas tout à fait aussi en forme qu’elle l’aurait espéré mais les villageois ont passé la soirée à leur poser des questions et à leur demander de petites démonstrations magiques.

Un raclement de gorge dans leur dos les informe de l’arrivée de leur nouveau professeur. Elle les toise sans un mot, sans doute consciente qu’ils n’ont pratiquement pas fermé l’œil de la nuit.

Ils suivent la sorcière jusqu’à la plage. Quelques vagues intrépides lèchent ses pieds nus. A côté d’elle, sept verres sont posés sur une pierre plate.

- Buvez, ça fera passer la migraine.

- Ah non je ne touche pas à ça, s’exclame Mathieu. Pas après ce que vous m’avez fait boire hier soir.

Un coup de bâton derrière les oreilles le fait rapidement changer d’avis. Le breuvage n’est pas meilleur que celui qu’il a ingurgité la veille mais il faut bien admettre que ces mixtures sont d’une efficacité sans pareille.

Olguéna soupire et, pour la première fois, elle semble s’ouvrir à eux. Son visage traduit un mélange de déception et de fatigue. Son amertume n’est en rien dirigée envers ses apprentis, Olguéna la destine à ceux qui ont prétendu gérer la situation jusqu’à présent, à ceux qui n’ont pas su mener à bien leur mission.

Les Sept ne sont pas de petits magiciens de champs de foire. L’émeraude ne se contente pas de faire pousser des fleurs et des pommiers. Le saphir ne se satisfait pas d’invoquer la pluie. Le rubis n’est pas un scout chargé de faire un feu pour griller des guimauves. Le diamant n’est pas bon qu’à désarmer ses ennemis ou à les faire trébucher. Le saphir violet ne se compare pas à un illusionniste de cirque qui fait disparaitre son assistante dans une valise. Le diamant noir n’a rien à voir avec une infirmière de guerre. Sans parler de l’ambre…

Les étoiles sont les fils et les filles des dieux, personne dans le royaume des mortels ne peut rivaliser en puissance avec eux. Rien ne peut vaincre la puissance de sept demi-dieux alliés à la vie à la mort.

Par ailleurs, la défaite même des Sept face aux Mariquais est inexplicable, incompréhensible. Ça n’aurait jamais dû se produire. Quelqu’un ou quelque chose les a forcément conduits à leur perte. Certes leur entrainement laissait à désirer en comparaison à leurs prédécesseurs toutefois aucune guerre n’aurait dû être en mesure de les écraser de la sorte, comme des mouches malades. A croire qu’un de leurs intimes s’amusait à piper les dés.

Afin de ne pas reproduire les mêmes que par le passé, Olguéna avait maintes fois réfléchi à un programme de formation qui développerait au maximum les capacités extraordinaires de ses élèves. Un plan presque parfait avec pour seule faille le manque de temps.

Par les temps qui courent, on ne sait jamais quelles informations possèdent les Mariquais ni quand ils décident de faire des raids à l’improviste. Face à l’incertitude il faut rester calme, ne pas perdre de vue ses objectifs, garder la tête froide et les idées claires. Il ne sert à rien de craindre ce que l’on ne peut maîtriser, l’important est de se concentrer sur ce que l’on peut faire, sur ses capacités, sur l’objectif. Il faut se donner tous les moyens de réussir sans redouter ce qui adviendra. Plus facile à dire qu’à faire certes, mais dans une situation comme celle-ci, ne pas paniquer est vital.

Les jours passent. Olguéna houspille ses apprentis. Ils fatiguent, ne comprennent pas où elle veut en venir, ne saisissent pas l’intérêt de ces tâches répétées. Lever avant les premières lueurs de l’aube. Coucher après que les dernières bougies se soient éteintes. Pas le temps de faire la moindre pause. Il faut courir, écouter les leçons, lutter, se taire, utiliser sa magie. Courir encore, ne pas s’endormir debout.

Une semaine. Une semaine d’entrainement intensif qui ne mène nulle part. Une semaine d’épuisement total. Une semaine qui recommence. Encore et encore. Jusqu’à ce qu’ils perdent le compte des jours. Jusqu’à ce qu’ils perdent toute force, toute énergie, toute volonté. Jusqu’au jour où l’un d’entre eux tombe et ne se relève pas. Laura.

Olguéna fronce les sourcils et s’approche.

- Debout

Pas de réaction. Tout le monde s’arrête.

- Debout j’ai dit.

- Je… je ne peux pas

Olguéna s’approche encore, jusqu’à dominer la jeune femme.

- C’est un ordre.

- Je ne peux pas.

Le bâton se précipite vers la jeune femme au sol mais ne l’atteint pas. Au lieu de cela il se brise en plein vol et Olguéna se retrouve coincée dans les airs quelques mètres en arrière.

Thomas s’avance vers son amie à une vitesse fulgurante, léger, comme s’il flottait. Mais il serait difficile de définir si c’est lui qui flotte où si c’est le sol qui se dérobe. Tous les galets de la plage lévitent autour d’eux comme s’ils n’étaient plus soumis à la gravité. Ses yeux gris lancent des éclairs.

- Ça suffit, gronde-t-il en rejoignant Laura.

Les galets tournoient autour des deux amis tels une tornade qui monte dans le ciel.

- Elle a dit non.

Sur ces paroles, les galets retombent, emprisonnant les deux étoiles sous un dôme de pierre protecteur.

Olguéna s’écrase lourdement sur le sol. Elle se relève sans peine, un sourire satisfait aux lèvres. Elle s’approche des débris de bois, les rassemblent et marmonne quelques syllabes inaudibles. Le bâton se reforme sous sa paume. Alors, avec un sourire éclatant, elle s’exclame :

- Vous voyez les enfants, c’est exactement ça que je veux.

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