Puissance solitaire

2 minutes de lecture

Devant moi, dans ce lit, elle sourit. Cette femme vient toutes les semaines vérifier si l’enfant attendu se porte bien. Dopplers, monitoring, surveillance tensionnelle, pendant ce temps de surveillance me voilà qui plonge dans une histoire jusque là méconnue mais qui va me marquer à jamais. Le téléphone résonne, les collègues s’agitent mais les annotations rouge sang dans le dossier face à moi me fige.

Demain, elle célèbrera le premier funeste anniversaire du décès de son fils de cinq ans. Cinq ans... Un syndrome rarissime... Une énième crise convulsive... Puis l’absence de réveil pour une mort silencieuse et effroyable. Seconde ligne, avec là aussi du rouge. Nouveau drame. Purpura fulminans. Aussi poétique que le nom latin d’une plante, aussi dévastateur qu’un poison. Les dates me foudroient. 2022. Février, puis octobre. La même année, la même putain d'année, cette famille a été décimée. 

Je calcule donc : non, elle ne pouvait pas être enceinte lorsqu’elle enterrait son second enfant.  

Dans la pièce juste à côté se trouve l’une des femmes les plus fortes que j’ai eu la chance de rencontrer. De celles que l’on croise dans la rue sans se retourner mais qui méritent les ovations les plus puissantes. De celles qui portent le monde sur les épaules aux allures frêles. De celles qui plongent leurs pupilles claires dans les vôtres avec la candeur d’un enfant et dont la pâleur de la peau ne reflète pas la noirceur d’un quotidien que seuls les pays en guerre peuvent connaître.

De retour près d’elle, professionnelle, sans rien laisser paraître, je discute de la suite de la surveillance et lui propose les prochains rendez-vous. Veut-elle que je les note sur un papier ? Elle décline et déverrouille son téléphone sur une photo anodine pour beaucoup mais qui me chamboule encore. Ses enfants. Enfin... À 5 ans et 18 mois, ce n’étaient pas encore des enfants, mais des bébés. Ses bébés. Ses uniques bébés qui ne grandiront jamais plus que dans ses rêves. Entrevue terminée, je la salue et la raccompagne avant de glisser en dernier et timide échange : bon courage pour demain. Je souris. Idiote et chanceuse que je suis de ne rien connaître de la mort, oui, je souris et face à moi, derrière cet abord fluet et naïf se tient la puissance incarnée qui me rend un sourire qui illuminerait le plus sombre des chemins de traverse. Si le temps ne m’était pas compter, j’aurais eu sans nul doute tant à apprendre d’une telle femme...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire riGoLaune ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0