Seule

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Elle est seule, confinement oblige.

La maternité n'autorise pas la présence d'accompagnants en dehors de l'accouchement. Elle se trouve dans une pièce impersonnelle, froide et sans réseau téléphonique.

Elle est seule et elle a mal.

On lui a dit qu'on reviendrait deux heures après son arrivée pour réévaluer la situation. Ses contractions utérines s'intensifient depuis maintenant vingt minutes. Ses entrailles se déchirent. Cela fait dix minutes que quelqu'un aurait dû venir la voir. Elle patiente, elle ne veut pas déranger. Ils ont probablement d'autres choses à faire. Une sensation de poussée dans les fesses, souvenir de son premier enfant, lui fait dire que l'accouchement est imminent. Elle s'apprête à sonner quand une étudiante entre dans la pièce, elle la réexamine, tente de trouver le coeur du bébé et s'absente.

Elle a mal et elle commence à s'inquiéter.

Elle gémit, elle pleure, elle se dandine dans le lit quand la sage-femme arrive à son chevet. Sans examiner, la professionnelle sait que cette patiente est en train d'accoucher, elle vérifie cependant.

« Madame, vous êtes à dilatation complète, l'accouchement est tout proche, les fesses de votre bébé ne sont pas encore engagées dans votre vagin. Est-ce que vous sentez votre bébé pousser pendant les contractions ?

Elle répond dans un gémissement viscéral.

— D'accord. On va vous passer rapidement en salle d'accouchement pour vous poser une péridurale ou une rachianesthésie et vous soulager. Ça vous convient ?

— Oui, aidez-moi s'il vous plaît, j'ai tellement mal, répond-elle péniblement.

— Je suis là pour ça. Tout va très bien se passer, dans moins d'une heure vous avez votre bébé dans les bras », répond la sage-femme doucement en lui caressant le front.

Le bébé va bien, elle entend son coeur. Ses entrailles se déchirent, son coeur à elle saigne, mais il va bien.

La sage-femme appelle les équipes obstétricales, le pédiatre et les anesthésistes. Tous doivent être sur place au moment de la naissance de ce bébé original qui se présente par les fesses. La sœur de la patiente est appelée. On l'intime de se mettre en route immédiatement si elle veut avoir une chance de l'accompagner pour l'accouchement.

— Diana, on va devoir pousser pour que votre bébé soit dans vos bras d'ici quelques courtes minutes. Je sais que vous n'êtes pas soulagée encore par ce que l'anesthésiste vous a fait, mais son coeur nous montre des signes de stress devant la rapidité de votre travail. Est-ce que ça vous va de pousser maintenant ?

— Oui, vous me dites quand y aller, répond-elle entre deux gémissements.

Ses entrailles prennent feu, encore et encore. Son bébé pousse toujours plus fort. La salle est bondée, mais elle ne s'en accomode pas. Son coeur saigne, elle est seule, avec son bébé.

Une contraction, elle pousse, donnant tout ce qu'elle a. Il descend, elle le sent. La sage-femme l'encourage, la félicite aussi. La rachianesthésie commence à faire effet. Elle devient plus calme. Elle pousse pendant plusieurs minutes, dans une salle bondée et bruyante. Elle entend les médecins parler de tout et de rien. Elle s'en fiche. Sa mission, faire naître son bébé rapidement. La sage-femme la motive. Elle s'ancre à la seule chose visible sous son attirail, son regard. Elle s'agrippe à la seule présence qui compte à cet instant. Elle sourit, émerveillée par ce que sa patiente fait. Sa soeur arrive, elle se ressaisit et pousse d'autant plus fort.

Elle est seule, mais elle a son bébé et sa sœur avec elle.

Elle sent qu'il avance plus vite, les encouragements redoublent. Elle n'a plus mal, elle ouvre les yeux et voit les fesses se lever vers le ciel et tourner. La sage-femme, avec l'étudiante, l'aident pour aller plus vite. Le temps est compté, il fallait qu'elle fasse vite. Va-t-il aller bien ? A-t-elle poussé comme elle le devait ? Les jambes sont dehors, elle pousse à nouveau et sent qu'on le fait tourner.

— Une première épaule dehors ! Allez !

Elle pousse et sent qu'on fait la même chose pour la seconde.

Puis, une courte pause, elle reprend son souffle.

— Le plus dur est là, la tête ! On y va ?

Les gens se taisent, enfin.

Un regard, elles se comprennent. Elle empoigne ses cuisses, relève la tête, ferme les yeux et pousse une dernière fois, aussi fort que possible.

Elle est seule avec son bébé, sa sœur, et la sage-femme. Le tout petit corps s'élève. Puis, le vide accompagné d'un silence, pesant, lourd, intense. Elle ouvre les yeux, il est posé sur elle, les bras en l'air et les yeux ouverts. Elle pleure, pleure si fort. Les sanglots ne sont pas ceux d'une femme qui rencontre son bébé. Non. Ici, les larmes sont pleines de tristesse.

Elle est seule, avec son bébé, qui la regarde calmement. Son regard dépose un baume sur son coeur meurtri. Profond et intense, déjà si éveillé pour un petit être qui n'a que quelques minutes de vie. 

— Bravo Diana, je suis si fière de vous ! Votre garçon est vraiment magnifique ! Il a l'air d'avoir du caractère et de savoir décider de ce qu'il veut, il voulait naître en ce 19 Avril !

— Oui, mon conjoint était comme ça, déterminé. »

Etait ...

La sage-femme regarde sa collègue. Elle pose son doigt sur la première page :

Conjoint décédé en janvier d'un arrêt cardiaque brutal.

Elle a accouché dans une salle bondée, mais dans sa tête et dans son coeur, elle était seule. Il ne fallait qu'une seule personne à ses côtés pour qu'elle se sente complète. Il sera désormais éternellement absent. Son fils, c'est son dernier cadeau.

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