• La tempête 1/2 •

6 minutes de lecture

Les murs de la bâtisse tremblaient furieusement, menaçant un petit peu plus de s’écrouler à mesure que les secondes passaient, et le bruit assourdissant qui venait de l’extérieur n’aidait pas les elfes à garder leur calme. La tempête s’était déclarée sans prévenir, violente, déchaînée. Un vent furieux fouettait le toit de chaume et griffait les pierres qui constituaient désormais le dernier rempart des sylvestres contre la colère de la nature. Nul ne savait d’où l’orage venait, mais tous s’accordaient à croire que les Dieux jouaient contre eux.

― Général ! hurla un soldat cramponné à son arme. Si nous restons ici, la tempête va nous engloutir !

― Si nous sortons, ce seront les fées qui nous auront, grogna un autre.

― Non, Herendil à raison, approuva le chef de l’escadron. Si nous sommes immobilisés par cette pluie diluvienne, les fées le sont tout autant. Daetoris, Ciryandil, allez voir à la cave s’il n’y a pas une issue cachée. Narmacil, Elwen, surveillez l’extérieur. Je veux savoir où se trouvent nos ennemis. Herendil et Vardael, aidez-moi à fortifier les murs de la maison.

A peine ses ordres étaient-ils prononcés que tous les soldats s’exécutaient. Comme une troupe d’automates, les soldats se séparèrent en parfaite synchronisation, dans des gestes presque mécaniques.

― Alors même les Dieux sont contre nous dans cette guerre ? souffla Herendil, le jeune elfe pâle, tout en aidant son Général à barricader la porte du mieux qu’ils pouvaient. Nalii veut nous noyer dans sa colère.

― Non, je ne pense pas que les Dieux y soient pour quelque chose. Pas directement, en tout cas… murmura l’homme en lançant un regard énigmatique à son second.

― Vous parlez de la Demi ?

Hyamendacil acquiesça en silence, pensif.

Herendil s’était engagé très tôt dans l’armée elfique, poussé par un profond désir de s’éloigner le plus possible de sa famille, et donc d’Alferilim. Ainsi, il n’avait jamais réellement fait la rencontre d’Astal, sa jeune cousine. Ce n’était pas les occasions qui manquèrent, au contraire. Il aurait totalement pu demander une permission pour rentrer chez lui quelque temps, saluer son frère et ses parents, et enfin connaître sa petite cousine. Mais certaines circonstances l’en avaient dissuadé, et il ne parlait d’elle que par son métissage. Comme tous les militaires du campement.

― Vous pensez vraiment que cette tempête est son œuvre ? demanda le jeune homme, étonné. Mais comment ? Cette fillette se trouve à des centaines de kilomètres de notre position ! Et quel intérêt aurait-elle de déclencher un tel cataclysme ?

― Je ne pense pas qu’elle soit consciente de la situation, lui répondit le Général avec douceur. Lorsqu’elle souffre où que quelque chose la bouleverse, ses émotions prennent le dessus et elle ne contrôle pas ses pouvoirs.

L’elfe se souvenait fort bien de la première crise d’Astal, sur le chemin d’Alferilim. Les deux premières journées de voyage avaient épuisé la fillette, qui dormait à poings fermés sur le cheval trottant de Hyamendacil. Loin d’être sotte, la demi-elfe avait fini par comprendre qu’elle ne reverrait jamais ses parents, ni ses amis, et après avoir passé une journée entière à hurler sa rage contre le soldat, le sommeil l’avait finalement emporté. Le vent s’était levé, grondant, menaçant, et de sombres nuages noirs de jais avaient recouvert le ciel. Une première goutte s’était écrasée contre l’armure argentée du Général, puis une deuxième, et une troisième. Et lorsque la petite fille avait laissé son cœur parler, l’orage s’était déchaîné. Le vent glacé avait giflé l’homme de ses griffes acérées et une pluie torrentielle tenté furieusement de le noyer, lui et sa monture.

― Astal ! avait-il hurlé pour arrêter ce cauchemar. Astal, tu vas nous tuer si tu continues !

Mais la petite fille était trop profondément ancrée dans sa peine, et les alertes du militaire avaient fait l’effet d’un murmure parmi une mer de hurlements. A moitié consciente, elle avait ouvert les yeux, admirant avec horreur le spectacle qui s’offrait à elle. Entre la fascination et l’effroi, Astal avait tendu le bras vers le ciel. Les gouttes d’eau qui jusque-là s’écrasaient violemment contre le sol s’étaient stoppées dans leur chute, flottant gracieusement au-dessus de leur tête. Avant que Hyamendacil n’ait pu dire quelque chose, la petite était descendue du cheval, les yeux rivés sur les filets d’eau qui dansaient au-dessus d’elle. Mais si la pluie était devenue un spectacle inoffensif, le vent, lui, n’avait pas cessé. Et la violence de son souffle eut rapidement raison du vieux chêne qui bordait le chemin. Dans un craquement épouvantable, les racines de l’arbre s’étaient rompues, et le tronc imposant du quercus était tombé en grinçant, droit sur la Demi, qui s’était vainement protégée en croisant les bras autour de sa tête, attendant le moment fatidique où l’arbre l’écraserait. Dans un ultime geste protecteur, Hyamendacil avait enlacé la petite en la serrant fort contre lui. Et ils avaient attendu. Et attendu.

Lorsque l’elfe avait rouvert les yeux, l’arbre se trouvait à quelques centimètres de lui, retenu par un mince filet d’eau. Etonné, il s’était redressé et ne pouvait détacher son regard de cet étrange phénomène.

― Qu’est-ce que tu attends ? l’avait hélé la petite fille qui s’était éloignée de la zone à risque. Tu vas te faire écrabouiller si tu restes là !

Hébété, le général avait regardé tour à tour la petite Astal et l’arbre suspendu, puis fini par rejoindre la Demi. Il l’avait aidé à remonter sur son cheval, et lorsqu’il s’ était installé à son tour sur la selle de sa monture, le bruit assourdissant de l’arbre qui venait finalement d’atteindre le sol l’avait fait sursauter.

― Tu sais, j’aurais pu te laisser là-bas et repartir chez moi, avait annoncé Astal d’une voix posée.

― Et qu’est-ce qui t’as fait changer d’avis ?

― Ce n’est pas méchant, avait-elle dit avec nonchalance, mais tu n’es pas assez puissant pour avoir donné l’ordre de tuer mon papa et ma maman. C’est un prince mon papa ! Même s’il n’habite plus chez les siens…

L’elfe était resté silencieux, peiné de l’entendre parler au présent.

― Maman m’avait dit que les elfes ne les aimaient pas et qu’un jour, ils finiraient par mourir à cause d’eux, avait-elle continué, les larmes aux yeux, mais la voix posée. Elle a dit que mon grand-père essayerait de me tuer aussi, parce qu’il n’aime pas mes cheveux. Pourtant, ils sont beaux mes cheveux ! Tu ne trouves pas ?

Ne voyant pas vraiment en quoi cela expliquait le fait qu’elle lui laissait la vie sauve, Hyamendacil avait acquiescé avec un demi-sourire.

― Tu vois, c’est pour ça que je n’ai pas laissé l’arbre t’écrabouiller, avait-elle conclu. Tu as obéi à ton chef en tuant mes parents, mais tu aimes mes cheveux ! Tu n’es pas comme mon papi.

Le soldat avait souri à cette remarque. Bien que la vision de la petite Astal ne reflétait pas l’exacte vérité, la semi-elfe était loin d’être idiote.

― Tu me ramènes chez mon grand-père, hein ? demanda-t-elle avec une pointe d’inquiétude.

― Oui, tu rentres chez toi.

― Mais il ne va pas vouloir de moi ! s’était indignée la fillette.

― Il va apprendre à te connaître.

Et sans lui laisser l’occasion de répondre, le cavalier avait repris la route.

Ce jour-là avait été un jour « comme les autres » pour Astal. Se laissant emporter par son chagrin, la jeune fille n’avait rien fait d’autre que de laisser sa partie naïade s’exprimer librement. Ce qu’elle ne savait pas en revanche, c’était qu’aucun être sur cette terre n’avait jamais réussi un tel exploit. Jusqu’à ce jour, on n’avait jamais entendu parler de naïade assez puissante pour déclarer une tempête aussi violente. Et Astal n’avait alors qu’une dizaine d’années ! Ce fut cela, peut-être, qui changea définitivement la vision du sylvestre. Ce que tous les elfes avaient si longtemps blâmé pouvait finalement s’avérer utile. Avec du temps et de l’entraînement, sa jeune protégée rendrait peut-être le roi fier, et donnerait à sa patrie un avantage considérable.

Mais hélas, le militaire n’eut jamais le temps de former son apprentie. Constamment surveillée par Thangil et Darasriel, la petite devait suivre le strict mode de vie des elfes, et si elle osait montrer une pointe de son pouvoir, elle était aussitôt rossée et punie dans sa chambre. Et lorsque les souverains Igdrasil remarquèrent l’intérêt que leur général lui portait, sa permission fut écourtée et il retourna au front. Depuis, ses demandes de rapatriement se trouvaient toutes refusées, et il passa ces dernières années à Celestiae, rétrogradé à la simple gouvernance de la ville annexée.

Annotations

Vous aimez lire Lou<3 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0