Léonore

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Dos contre le radiateur, sac sur la table. J’y poserais bien les pieds, d’ailleurs. Mais les manières. Restons bien élevée pour le premier jour de classe. Terminale littéraire. Pour ce que je lis, je n’ai pas vraiment ma place ici. Ça ne manque pas d’intérêt pour autant, j’ai un côté érudit, j’aime engranger des connaissances qui ne servent pas un objectif précis.

— Léonore Maka… McCallaghan ?

Je me redresse un peu et raccroche à la réalité de la classe.

— Présente.

Ça bute sur mon nom à chaque rentrée, alors je ne vais pas chipoter sur la prononciation. Ce foutu g ne se prononce pas, mais allez expliquer ça à madame Lenoir, cent-vingt-mille ans, qui entend un peu haut et prof de français depuis trois générations.

Je soupire discrètement, souris une peu aussi, parce que j’aime bien cette prof malgré tout. C’est mamie gâteau que l’on veut tous en mamie de vacances. Elle sent bon, elle sourit en permanence, et ses cheveux si blancs, toujours attachés avec soins.

Elle continue l’interminable appel des vingt-sept prénoms et je suis du regard mes nouveaux camarades. Des têtes connues, des têtes nouvelles. Certaines dont je me serais bien passée. La plupart dont je n’ai cure, les insipides, ni gentil ni méchants, ceux avec qui on rigole facilement, mais qui ne deviendront jamais des amis. La place vide à côté de moi est pour Hiro, cette tête de mort est encore en vacances et ne revient que demain. À sa décharge, son avion a été annulé et on ne revient pas du japon en claquant des doigts.

J’ai rencontré Hiroko en seconde, au CDI un mercredi aprèm. Quand j’ai dit que je ne lisais pas beaucoup, je précise que je ne lis pas beaucoup de livres contenant plus de trois phrases d’affilée. Je me repet essentiellement de manga, de BD et de roman graphiques. J’avais emprunté toute une pile de manga, toute une série à vrai dire, et Hiro m’a interpelé juste avant de sortir me demandant de lui filer le dernier tome qu’elle n’avait pas encore lu. Puisque je n’avais pas commencé la série, elle argumentait sa demande en disant que je n’étais pas près d’y arriver. C’était le tome 7. Je me souviens encore du sourire que je lui ai lancé.

— Tu as trois heures pour me le rendre, lui ai-je dit.

Mon air mesquin a trouvé sa réponse dans son œil ironique. Elle a attrapé le volume sans un mot et est partie. Précisément trois heures plus tard, je fermais le tome 6 avec le froncement de nez du lecteur frustré et Hiro se tenait devant moi, le même air ironique au fond des yeux.

— Si tu l’as fini avant que je sois partie, j’ai plusieurs pépites chez moi qui te plairont.

Cette pique n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Je suis allée chez elle, la soirée ne fut qu’une longue liste de tout ce que nous avions lu, aimé, détesté, moins aimé, pourquoi, comment, quels dessinateurs, quels univers, quelles langues, et ainsi de suite. Cette soirée a scellé notre amitié sous le sceau des découvertes. Si nous avions énormément de culture en commune, nous en avions tout autant à faire découvrir à l’autre.

— Mademoiselle McCallaghan, est-ce que vous pouvez vous concentrer un petit peu ?

Ah oui, mamie-Lenoir a son côté vieux jeu « je-vous-appelle-par-vos-noms-de-fammille »

J’ai entendu la question, là n’est pas le problème, mais je ne l’ai pas écoutée.

— Je ne sais pas.

— Vous ne savez pas si vous pouvez nous lire l’incipit de Thérèse Raquin ?

Berlingot ! Ça marche presque à tous les coups le « je sais pas ».

— Parce que je ne l’ai peut-être pas dans mon sac. Vous me connaissez, je suis tête en l’air.

Mamie-Lenoir retient un sourire et je fouille dans mon sac resté sur la table. Évidement que j’ai le bouquin. Je l’ouvre, toussote de manière théâtrale et commence ma lecture.

« Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu’on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. »

— Bien, vous faites au moins les choses comme il faut lorsque vous vous concentrez. Des remarques ?

Si ce n’est que c’est nettement moins percutant que l’incipit de l’Étranger, je n’ai pas grand-chose à en dire, mais l’on va faire semblant.

— Zola place le lecteur dans la rue sans préambule. On a pas le temps de réfléchir qu’on est happés par la situation et l’ambiance plutôt sale, voire lugubre. On peut se demander si le lieu est important et va devenir récurent au cours du livre, peut-être une ruelle d’un trajet habituel pour l’un des personnages, Thérèse peut-être, car on a d’ores et déjà l’idée de déplacement. Zola nous a pas simplement immergés dans Paris, mais il nous dit également qu’on était en train de marcher, on vient des quais. Est-ce qu’on est fatigué ? Est-ce qu’on termine une journée de travail ? On a pas d’indication précise sur le niveau socio éco de l’endroit, mais la rue sombre, et si on connait Zola, on est pas chez les noblayons parigos.

— Eh bien, voilà que vous nous avez donné matière à travailler mademoiselle McCallaghan. Votre analyse est très intéressante. Est-ce que l’un d’entre vous veut y ajouter quelque chose ?

Maintenant que j’ai fait ma BA, je me rendors intellectuellement pour l’heure, et laisse mon cerveau absorber passivement les infos, tandis que je pense à autre chose.

Je sursaute presque lorsque la cloche sonne. J’étais loin dans ce que j’allais faire ce soir. Aller au skateparc peut-être ?

— Tu lui en as mouché un coin à la prof !

Le sac jeté sur l’épaule, la casquette vissée sur la tête, je lève les yeux. Edmond de Valérian. Un beau gosse qui le sait.

— Mouché ?

— T’as jamais entendu ? C’est comme vieux motard que jamais !

Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Celle-là je la connais et je la trouve indéniablement amusante.

— On mange ensemble ?

Un sourire ironique glisse sur mes lèvres tandis que je passe devant lui.

— Me voilà la nouvelle cible du très désiré Edmond de Valérian.

Je l’entends pouffer et il ne tarde pas à m’emboiter le pas.

— Tu ne réponds pas à ma question.

— Ma foi pourquoi pas ? Ça peut être amusant.

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