Chapitre 2

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   Au bout de dix minutes environ, le spécialiste se présente, la salue en lui serrant chaleureusement la main, et l'invite à la suivre dans la salle de manipulations. Vêtu élégamment avec recherche mais sans excentricité, sobre dans sa démarche comme dans ses propos, il émane de sa personne une sorte de douceur et de tranquillité qui a sur elle un effet de décrispation. D'autant qu'à l'extérieur l'orage se déchaîne. Elle se déplace machinalement, plongée dans une indicible torpeur, en état de quasi insensibilité de l'âme et du corps.


Soucieux de respecter la pudeur de ses clients, l'ostéopathe a coutume de quitter sa salle de travail pendant que ceux-ci se déshabillent. Il laisse Marielle seule quelques instants. Elle ôte d'abord son caraco de coton blanc. Le buste est alors mis à nu car elle ne porte jamais de soutien-gorge, non par goût de la provocation mais parce que ses seins, petits et joliment galbés, lui permettent cette option vestimentaire sans qu'il n'y ait la moindre indécence quant à sa tenue. Pour la première séance elle s'était demandé si cette liberté ne risquait pas d'induire quelques pensées suspectes, de provoquer quelque méprise, chez le thérapeute qui n'en est pas moins homme. Puis elle avait pensé que dans la profession qu'il exerce depuis longtemps déjà, il avait trouvé les moyens d'assumer ce genre de situations, et qu'il devait être « blindé » contre la sensualité des corps qu'il manipule. Elle n'a donc pas changé ses habitudes. Sûrement, en outre, qu'il lui aurait demandé d'enlever son soutien-gorge si elle en avait porté un. Et ce, pour des raisons strictement professionnelles.


Ensuite elle retire sa jupe légère et ample, élégante parure estivale aux couleurs vives, décemment transparente. Vêtue seulement de son mini slip noir, noué aux hanches par de fines lanières, elle sort un mouchoir de son sac et tente d'essuyer la sueur qui lui colle à la peau. L'idée que l’odeur peut indisposer le praticien lui vient furtivement à l'esprit. Enfin, elle s'allonge sur le divan recouvert d'un drap propre.


Au début, cette façon d'être presque entièrement nue devant un homme inconnu d'elle, le fait qu'il ne soit pas médecin et qu'elle-même ne soit plus à franchement parler, malade, l'avait quelque peu gênée. Mais au cours des séances suivantes cette gêne s'est estompée car l'ostéopathe n'a à aucun moment cherché à tirer profit de son avantage, exécutant son travail avec beaucoup de finesse et de tact.


Ce jour là, elle n'arrive pas à se décontracter totalement, à laisser à l'autre toute la maîtrise de son corps. Et elle sait, avec cette prescience caractéristique de la gent féminine, que cet autre est troublé. Elle doit à une assez longue pratique de la danse, la musculosité de ses membres, l'harmonie de ses formes, et la jeunesse de son aspect physique. D'emblée il s'est adressé à elle en l'appelant « mademoiselle », ce qui ne l'a pas chagrinée, bien au contraire, mais renforce à présent une certaine ambiguïté quant au contenu de leur relation. Il revient dans la pièce, va fermer la fenêtre car un vent violent s'est mis à souffler, dit quelques mots à propos du temps qu'elle n'entend à peine, puis se dirige vers elle.

-Vous avez peur de l'orage ?

- Oui. C'est une de mes faiblesses.

La suite de l'échange se perd dans les fracas du tonnerre, les sifflements du vent, les crépitements sauvages de la grêle qui vient, sans crier gare se mêler à la partie. Elle se demande s'il a réellement fait allusion à une chanson de Brassens, dans laquelle le cher Georges bénit « le nom de Benjamin Franklin », ou si c'est son imagination qui lui joue des tours.


Dans la pénombre de son cabinet, l'homme semble à son aise. Cette fois, aucun rapport de puissance n'existe entre ses clients et lui. Il n'est plus question pour elle de considérer les avantages de l'un et de l'autre, de goûter aux sensations délicieusement érotisées, et savamment contrôlées, d'une pratique où le corps est l'unique centre d'intérêt. Avec cet orage qui modifie radicalement les données du jeu, elle n'est vraiment pas en mesure de marquer des points. Et elle le sait. Mais lui, que ressent-il ? Plongée dans sa léthargie momentanée, elle n'a plus de ressources pour tenter de répondre à cette question. Soudain, un violent coup de tonnerre, encore plus assourdissant que ceux qu'on a entendus jusque là, fait trembler les murs et vibrer les carreaux des fenêtres. Elle a un sursaut involontaire. Un long frisson la parcourt. Elle ferme les yeux.


Des trombes d'eau s'abattent sur la ville. L'univers entier paraît se liquéfier. Allongée sur le dos, Marielle ne bouge pas, on dirait qu'elle somnole. La présence du thérapeute la rassure, lui procure paradoxalement, dans le vacarme ambiant, une aura de quiétude et de confort.


Assis à côté d'elle, il commence cette séance comme les précédentes, soulevant ses reins pour lui permettre de passer un bras entre ses jambes et d'atteindre la colonne vertébrale. Elle repose ses fesses sur l'avant-bras de l'ostéopathe quand la position correcte est enfin obtenue.


Paume de la main collée en son dos, celui-ci touche presque imperceptiblement, du bout des doigts, les os de sa colonne lombaire. A-t-il conscience de son trouble ? Entend-il son cœur battre la chamade ? Comprend-il que cette fois elle se laisse traverser par l'onde de choc qui électrise les cellules les plus sensibles de son intimité ? Toujours est-il qu'elle ne sent pas seulement le contact de la main que son dos écrase mais aussi, et surtout, celui du bras entre ses cuisses. Elle a même l'impression que ce bras se rapproche sensiblement de son pubis, de son sexe. Spontanément, dans un sursaut d’orgueil, qu'elle considère aussitôt comme déplacé, elle écarte les jambes. Elle n'ose ouvrir les yeux, de peur de croiser un regard moqueur, de déceler un sourire énigmatique de celui qui la tient en son pouvoir.


Un éclair suivi instantanément d'une déflagration étourdissante renforce le caractère irréel, voire surréaliste, de ce qui se joue là, à cet instant. Elle tressaille, redresse la tête, se saisit d'une partie du drap pour éponger la sueur qui ruisselle entre ses seins.

- « Non. Ne bougez pas. C'est inutile. Décontractez-vous et reprenez la position », dit-il d'une voix douce et chaude qui la réconforte, ce dont elle lui est reconnaissante.


Tout en parlant, il effectue un mouvement de rotation sur sa chaise et pose sa main libre sur le ventre de la jeune femme, la paume exerçant une pression sensible sur le plexus solaire. Dans la même temps, l'autre bras effleure le mon de Vénus à travers la mince étoffe du slip, lequel n'assure plus aucune fonction protectrice.

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