Albert Camus, journaliste

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Le 24 février 2020

 Au dessus de la dernière étagère de ma bibliothèque déjà bien haute, j'ai trouvé la place pour empiler encore plusieurs livres jusqu'au plafond. Parmi eux, domine l'énorme biographie d'Albert Camus (1913-1960) rédigée par Herbert R. Lottman et publiée en 1978. Il ne se passe pas de jour sans que j'aperçoive ce livre de près de 700 pages. Au moment où je me décidais enfin à le lire, j'ai reçu "Albert Camus, journaliste" de Maria Santos-Sainz, dans le cadre de l'opération "Masse critique" du site Babelio. Ma priorité va donc vers ce livre sorti en mars 2019, il contient des informations plus actuelles que celui de Lottman et met l'accent sur l'œuvre journalistique de Camus en suivant son parcours dans la profession. Ma découverte de Camus est relativement récente, j'ai lu l'étranger et la chute ainsi que quelques pages de ses biographies. J'ai aussi écouté ce qu'en dit Michel Onfray dans ses conférences à l'université populaire de Caen. C'est assez pour avoir envie d'en savoir encore plus sur cet écrivain engagé dont on dit qu'il est incontournable pour mieux comprendre le XXe siècle.

 Ce qui frappe en premier lieu quand on commence à s'intéresser à Camus, outre son talent et sa sensibilité, c'est son parcours de vie, son engagement social et la fidélité à ses racines. Né en Algérie, il a connu la grande pauvreté dans un environnement familial éloigné des livres. La première injustice qui le meurtri, c'est la mort de son père Lucien âgé de 29 ans à la bataille de la Marne en 1914, le petit Albert n'avait qu'un an. D'origine française par son grand-père paternel et espagnole par sa grand-mère maternelle, il est d'abord élevé par sa mère, analphabète et à demi-sourde, puis par sa grand-mère autoritaire et taciturne. Il ne trouve de réconfort qu'auprès de ses camarades en pratiquant le football. Hélas, le mauvais sort s'acharne sur lui, on détecte dès son adolescence une tuberculose irréversible, il doit abandonner le sport. Compte tenu de son milieu d'origine, son père était ouvrier caviste et sa mère femme de ménage, rien ne le destine à poursuivre des études, pourtant son instituteur Louis Germain (auquel il dédiera plus tard son discours de réception du prix Nobel) détecte chez lui des capacités et arrive à convaincre la grand-mère récalcitrante de le laisser s'inscrire au grand lycée d'Alger, il obtient une bourse et plus tard il pourra s'inscrire à la faculté de philosophie et lettres d'Alger. Il réussit tous ses certificats de licence et songe à l'agrégation, mais ses deux poumons étant touchés par la tuberculose ceci lui ferme les portes de l'enseignement supérieur, Camus ne pourra pas passer l'agrégation, cela lui vaudra plus tard, un certain mépris de la classe intellectuelle gravitant autour de Jean-paul Sartre, encore une injustice terrible qui forgera son caractère. Passionné par le théâtre, il va créer avec des amis une troupe qui rapidement va obtenir un certain succès, il occupe différent petits boulots, commence une activité militante en rejoignant dès 1935 le Parti communiste, mais rapidement déçu, il en est exclu pour dissidence. Il intègre ensuite le journalisme en 1938 après sa rencontre avec Pascal Pia directeur du journal Alger républicain. C'est le début d'une grande carrière de journaliste où il occupera plusieurs fonctions, éditorialiste, rédacteur en chef, journaliste d'investigation, secrétaire de rédaction, directeur de journal. Il publiera des articles dans cinq journaux, Alger républicain de 1938 à 1939 (il n'a que 25 ans), Soir républicain de septembre 1939 à janvier 1940, Paris soir, puis Combat (journal clandestin de la résistance) de 1943 à 1947 et enfin après une grande interruption, l'Express en 1955 pendant une courte mais intense période de 10 mois. Il est animé par un désir de vérité, il veut dénoncer les injustices, la misère, mettre en lumière les abus du pouvoir, la corruption et l'exploitation de l'homme par l'homme.

 S'il est une cause qui mérite d'y consacrer une vie, c'est bien celle de la justice. Le malheur et l'amertume qui empoisonne les hommes trouvent leurs sources dans l'injustice qui forme le terreau de toutes les révoltes. Le sentiment d'injustice est à lui seul, et encore aujourd'hui, de nature à déplacer le débat démocratique de l'hémicycle parlementaire vers la rue. Certains hommes sont plus sensibles que d'autres à l'arbitraire, aux inégalités, au despotisme, aux exactions. Albert Camus était de ceux-là. Il s'est investi dans le métier de journaliste, car c'est l'un des moyens les plus efficaces pour dénoncer les travers de l'humanité et pour crier la vérité. Albert Camus s'impose comme l'un des écrivains les plus engagé du XXe siècle pour défendre, notamment par la voix du journalisme, tous ceux sur qui s'exerce un pouvoir injuste et destructeur. Toute sa vie, il a été animé par le sentiment et l'exigence d'apporter plus de justice sur cette Terre. Le livre de Maria Santos-Sainz pose dès l'introduction les fondements sur lesquels s'appuie l'œuvre de Camus : " La vie journalistique de Camus est marquée par l'adéquation entre l'œuvre et son enfance : un devoir de témoigner. Le journalisme reste un maillon fondamental de son œuvre postérieure où l'on va retrouver les mêmes thématiques fondatrices, ses obsessions" (page 16).

Camus élargira sans cesse le champs politique de ses interventions, il s'érige aussi contre le nationalisme, les totalitarismes de tout bord fascisme et communiste, il défend les républicains espagnols et est l'un des premiers à dénoncer la bombe atomique "La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie" (Combat du 8 août 1945). À la fois français et algérien, il défendra contre l'élite intellectuelle regroupée autour de Sartre, une Algérie française. Son sang espagnol explique peut-être ce qui fait de lui un Don Quichotte pourfendeur des injustices et avocat des causes perdues. En 1939, à seulement 26 ans, il écrit un reportage sur « Misère de la Kabylie » qui fera date, il y dénonce les inégalités qui frappent les musulmans d'Afrique du Nord. Chroniqueur judiciaire il couvre en Algérie trois grands procès criminels : l’affaire Hodent, l’affaire el-Okbi et celle des incendiaires d’Auribeau. Comme Voltaire, Hugo, Balzac, Zola, il défendra des causes justes avec courage et obstination, souvent aux dépens de ses propres intérêts.

 Le livre de Maria Santos-Sainz est très complet sur toutes ses questions et consacre un chapitre à un rappel biographique de près de 60 pages avant d'aborder en détail la carrière journalistique de Camus. L'auteure regroupe et analyse l'ensemble de la production journalistique d'Albert Camus en citant de nombreux passages de ses éditoriaux, articles, correspondances, discours et témoignages de ses collègues et amis. Maria Santos-Sainz souhaite que son livre servira de manuel de référence aux journalistes et futurs journalistes. Elle met en évidence le sens éthique de Camus et sa vision du journalisme, pour Camus le journaliste est un homme qui d'abord est censé avoir des idées, il est au service de la vérité et de la justice et doit éveiller le sens critique du lecteur. Des règles qui devraient être reprises par de nombreux médias qui laisse aujourd'hui trop de place à la dictature du sensationnel et du scoop. Informer bien au lieu d'infjormer vite est l'un des principes journalistique de Camus.

 Un livre passionnant, très riche et qui se lit sans difficulté.

Bibliographie :

"Albert Camus, journaliste", Maria Santos-Sainz, éditions Apogée (2019) 298 pages.

Un format maniable, une mise en page et une typographie irréprochable sur un papier de bonne qualité procurent un bon confort de lecture.

Maria Santos-Sainz est directrice de l'institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine, journaliste et docteur en sciences de l'information.

Les Éditions Apogée :

Les Éditions Apogée ont été fondées à Rennes en 1991 par André Crenn. Et reprises en novembre 2017 par Antoine Cam, elles ont développé une politique éditoriale généraliste.

Albert Camus et les fake news :

"...nos paroles nous engagent et que nous devons leur être fidèles. Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde...la grande misère humaine, c'est le mensonge."

"Sur une philosophie de l’expression", compte rendu de l’ouvrage de Brice Parain, Recherches sur la nature et la fonction du langage, éd. Gallimard, in Poésie 44, n° 17, p. 22. de Albert Camus.

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