Chapitre 4

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Nous dînâmes dans l'une des anciennes salles de réunion du premier étage, réaménagée en salle à manger. Les réactions auxquelles j'eus droit fûrent un mélange entre celles de Juniper et Lynx, Jane, et ma mère : diverses et variées. Les discussions de la quasi totalité du repas furent tournées vers moi, jusqu'à ce que Jane mette fin aux interrogations et à l'excitation générale prétextant qu'elle était jalouse que "sa mini-elle accapare toute l'attention", à mon soulagement, cela eut le mérite de décroitre drastiquement leur taux d'adrénaline. J'attendis que ma sœur quitte la table avant d'aborder le sujet "Ether", évidemment cela provoqua tension et rancune, mais je ne trouvais pas ça honnête de le leur cacher, pas plus qu'à Jane d'ailleurs. Mais dans son cas, j'estimais que ce n'était pas encore nécessaire — pas si les autres étaient au courant, du moins. Au retour de Jane, les tensions retombèrent comme par magie et les conversations se redirigèrent vers des sujets basiques tels que les activités de chacun pendant la journée.
Lorsque les troupes se dissipèrent —précipitamment afin d'éviter la corvée de la vaisselle— je me mis à débarrasser la table et à m'atteler à cette tâche que tout le monde débéquetait tant. Les plus vaillants tels que Jane et Lynx proposèrent de m'aider, mais je les congédiai gracieusement.
Alors que je finissais d'essuyer le plan de travail, j'entendis quelqu'un s'installer contre le comptoir derrière moi.
— L'horrible meurtrière s'occupe des tâches ménagères ? me dit Juozas, un brun d'à peu près mon âge. Je ne pensais pas te revoir faire ça un jour.
— Moi non plus, répondis-je en essorant le chiffon.
— Tu dois être crevée.
J'essuyai l'évier et haussai les épaules.
— Non, ça va. Je dormais bien.
Il renifla.
— Parce que ça t'arrive de dormir ?
— Évidemment, répondis-je en essorant à nouveau le chiffon avant de l'étaler.
— C'était une question rhétorique (je l'entendis soupirer) Alors tu devrais y aller, me conseilla-t-il. Ça éreinte de réfléchir.
Je m'appuyai au plan de travail en marmonnant, plus à mon intention :
— Je n'ai pas encore réfléchi.
— Tu en es sûre ? fit-il.
Comme je ne répondais pas, il poursuivit :
— Tu as sûrement une idée de la décision à prendre, même si tu attends d'y bâtir autour de solides fondations (je me retournai vers lui et le vis étouffer un bâillement) Je ne l'ai pas dit tout à l'heure mais, quoique tu décides, je pense que Jane devrait en être au courant. Dans les détails. Quoique tu choisisses, personne ne s'y opposera.
— Sans doute, répondis-je en retenant un soupir de fatigue.
— À part peut-être ta mère et ta sœur.
Je m'étais déjà préparée à cette éventualité. Ma mère essaierait de m'imposer son point de vue, Jane serait plus subtile, elle tenterait même de garder le silence, peut-être qu'elle y arriverait, peut-être pas...
— Enfin bref, conclut-t-il en tapant sa main sur sa cuisse. Tout le monde t'a assez bassinée avec ça aujourd'hui. J'imagine que tu en as marre de tenir la même discussion, encore et encore.
— Pas vraiment, répondis-je. Il faut faire face à ses problèmes.
Même s'ils étaient épuisants.
— Même si tu prétends ne pas être fatiguée, je me doute que t'iras t'écrouler comme un macchabé mais que tu te lèveras quand même aux aurores, dit-il d'un ton résigné. Autant joindre l'inutile à l'agréable : Demain on a rendez-vous avec les Anarchistes au Crimson Vault, au point relais habituel (il posa ses yeux sur moi) Ils quittent Specter.
— Quoi ? fis-je en levant les sourcils. Pourquoi ? Il haussa les épaules.
— Aucune idée, et ils ne seraient pas les seuls. Le bruit court que plusieurs gangs se dissolvent ou quittent la nation.
J'en avais vaguement entendu parler, mais j'avais pris ça pour de simples bruits de couloir. Si ces rumeurs se répandaient même à l'extérieur de la prison alors il était possible qu'elles soient fondées.
Les Anarchistes étaient l'un des activistes alliés avec lesquels nous collaborions. Les groupes tels que les Anarchistes ou les Chouettes, dont je faisais partie, se livraient à plusieurs activités : ils délivraient des messages illégalement pour contourner la surveillance étroite du Primédia, permettaient le transport de documents sensibles et privés à travers la ville, certains se tournaient même vers des méthodes violentes en faisant tout leur possible pour terroriser les autorités et pousser les employés à la révolution, même si c'était peine perdue puisque tous les citoyens aux vies décentes étaient des vendus. D'autres groupes vivaient même sur les toits, se regroupant en Cabales et réalisant divers cambriolages. Certains gangs s'aidaient, d'autres se disputaient des territoires ou s'entre-tuaient. Certains se mêlaient aux citoyens, d'autres travaillaient avec eux, ou les haïssaient tout simplement. Bref, les activités étaient variées, rien de plus normal lorsqu'on vivait à Specter.
Les Anarchistes nous avaient donc contactés pour un coup de main, et à en juger par la situation, il risquait bien d'être le dernier. Quelque chose se peaufinait dans l'ombre.
— C'est étrange, répondis-je. Surtout venant des Anarchistes.
— Je sais, fit-il distraitement en se grattant la joue. C'est le souk depuis quelques mois, on a pas cessé de s'agiter comme des dindes, on est encore plus sollicités que des prêtres à la paroisse. Heureusement que les choses se sont un peu calmées, autrement je n'aurais jamais pu tenir.
J'aurais aimé être à sa place ces derniers mois, l'activité m'avait fait défaut ces derniers mois, malgré mes efforts. Mais c'était déplacé de le lui dire alors que tout le monde avait l'air exténué.
— Sollicités par qui ?
— Tout le monde, lâcha-t-il, dépité. Envoie des messages par ci, transporte ça par là, je suis pas coursier, moi.
C'était vrai, la plus part du temps notre travail se limitait à ça. Je pouvais comprendre que personne ne trouve ça amusant. Pas lorsqu'à côté de ces missions de rang D se trouvent des quêtes plus ardues telles que l'espionnage dont tout le monde raffolait.
— Enfin, peu importe, poursuivit-il en se redressant avant d'étouffer un bâillement. Ce ne sont que des ouï-dire, fais pas gaffe aux ragots.
Il se rapprocha de moi et fouilla dans les tiroirs. Il en tira un stylo et un post-it sur lequel il gribouilla quelque chose avant de me le tendre.
— On a rendez-vous à neuf heures, je sais que tu avais pour habitude de tout noter sur des bouts de papiers, dit-il avec un sourire en coin. Même lorsque c'était un horaire tout simple, bidon à retenir.
Je pris le papier sur lequel était écrit au stylo noir "RENDEZ-VOUS 9H00 AVEC A AU C.V"
Je reniflai en levant les yeux vers lui.
— Merci, je n'oublierai pas.
Il s'éloigna en me tournant le dos.
— Je préfèrerai que tu n'oublies pas de dormir, lâcha-t-il en partant en reculant avant de me saluer de la main. Content de te revoir.
Il s'en alla et j'entendis ses bruits de pas disparaître dans la bâtisse.
— Moi aussi, ai-je murmuré.

Lorsque je vivais encore à Specter, j'avais pour habitude de me lever aux alentours de huit heures du matin, mais mon travail à Odium m'avait contrainte à revoir mes habitudes. Je devais donc, comme l'avait dit Juozas, me lever aux aurores. Habitude que je n'avais pas changée en entrant en détention.
En découvrant ma chambre la veille, j'avais pu remarquer qu'absolument tout était comme je l'avais laissé la dernière fois que j'étais venue, au détail près. Propreté comprise. J'étais convaincue que Jane s'était arrangée pour tout nettoyer comme elle le pouvait, cette pensée me serra le cœur.
Ma chambre était au vingt et unième et dernier étage. Comme c'était une ancienne salle de réunion, elle était inutilement grande. Je me souvenais vaguement que mon père s'était porté garant pour la décorer lui-même lorsque j'avais quatre ou cinq ans, alors évidemment, tout n'était pas resté tel quel, mais j'avais gardé la disposition initiale : un des nombreux lits à baldaquin qui avaient été offerts par l'entreprise rattachée aux Cobras, un bureau, une armoire, et une bibliothèque qui avaient sûrement été volées (mais je n'avais jamais fait aucun commentaire là-dessus, un cadeau était un cadeau) ainsi qu'une table de salle à manger pour huit personnes que Juniper m'avait trouvée pour « combler ce putain de vide », elle avait aussi insisté pour me donner un tapis, mais ce n'était pas très prudent dans la mesure où la quasi-totalité des meubles étaient des choses jetées qui avaient été réparées et personnalisées par nos quelques experts en bricolage. Les acariens n'étaient pas un problème que je voulais m'imposer.
À mon réveil, aucun rayon de soleil ne filtrait par les fenêtres. Nous étions au début de l'hiver alors il fallait attendre les environs de huit heures du matin pour espérer assister au lever du jour. Je restai un moment à contempler le plafond et à remettre mes idées en place avant de tenter de réarranger ma routine matinale désormais sans travaux, activités, promenades ou tout simplement sans emploi du temps imposé. C'était la première fois depuis longtemps que je pouvais me lever avant l'heure imposée et prendre mon petit déjeuner quand je le souhaitais.
Ce n'était que deux heures plus tard, aux environs de sept heures du matin, que tout le monde commença à se montrer au compte-goutte.
Le Crimson Volt était une place à Specter où il était fréquent de se retrouver. Il n'était évidemment pas possible de se réunir au milieu du trottoir, à la vue de tous, c'est pour cela nous avions pour habitude de nous déplacer en hauteur. Malheureusement.
— OK ! Regardez ça les copains, fit Lynx en allant au bout de l'un des gratte-ciel voisins de notre immeuble en écartant les bras face au lever du soleil. C'est pas magnifique ? Non mais sérieux, c'est pas la plus belle chose que vous ayez jamais vue ?
— Ouais, ouais, on sait, répondit Juniper sans entrain. Ce n'est pas notre premier lever de soleil, l'ermite. Ça arrive tous les jours depuis, j'en suis sûre, très longtemps.
Cella, une rousse de deux ans plus jeune que moi ricana à mes côtés avant que North, un garçon aux cheveux noirs d'à peu près le même âge qu'elle lui donne un coup de coude.
Nous étions six à aller rejoindre les Anarchistes au Crimson Volt : Lynx, Juniper, Cella, North, Aedan et moi.
Aedan était le plus âgé d'entre nous, il devait avoir vingt six ans et mesurait dans les deux mètres. Il plaisait à énormément de filles, dont Juniper qui le trouvait absolument craquant. Il avait un regard sombre, de cheveux bruns lâchés qui lui arrivaient aux épaules ainsi que des piercings qu'on pouvait distinguer à travers la cascade de cheveux qui recouvraient ses oreilles. Alors que je le détaillais, j'essayais de comprendre ce qui pouvait bien le rendre si attirant et attiser autant l'intérêt. Ses larges épaules, sa mâchoire dessinée, ses bras musclés, ou encore sa maturité devaient sûrement faire partie des raisons de cet engouement, mais je n'arrivais pas à voir en quoi ça le rendait séduisant.
Nous nous mîmes en route après que Lynx ait fini de contempler le ciel, à part Juniper qui faisait des commentaires pour l'embêter, personne n'avait été contre l'idée.
Il faisait frais et je frissonnais dans la veste que j'avais mise. Comme il n'avait pas fait trop froid la veille, j'avais bêtement cru qu'il en serait de même un matin en hauteur, exposée au vent. J'étais assez crispée alors je ne me mêlais pas aux discussions de mes compagnons, même si ça ne changeait pas trop de l'habitude.
Juniper prit soudainement de l'élan avant de prendre appui sur une barrière avant de créer une vague de vent et de se retrouver sur l'immeuble d'en face. Lynx qui prit ça pour un défi, la suivit, bientôt accompagné des deux plus jeunes, North et Cella. Il ne resta qu'Aedan et moi qui étions séparés d'eux par un gouffre. Aedan pouvait les rejoindre sans difficulté, mais il avait l'air perdu dans ses pensées, lorsqu'il vit tout le monde sur le building d'en face, il me fit un signe de la tête et alla les rejoindre avant de disparaître derrière eux.
Je m'approchai du bord et risquai un coup d'œil en bas mais ma vue se brouilla immédiatement et j'eus l'impression de perdre l'équilibre. Je reculai précipitamment alors que mon rythme cardiaque s'emballait en ayant une désagréable sensation de nausée.
— Allez viens ! cria North. Il ne reste plus que toi !
Cella lui donna un coup de coude qui le fit gémir.
— Eh ! Mais ça va pas ?
— Elle a le mal de l'air, t'as oublié ?
North fit un « oh » silencieux avant de m'adresser une grimace désolée.
— Prends de l'élan et saute. Regarde pas en bas, me conseilla Lynx. Fais comme si t'étais sur le trottoir.
— Oh wow, répondit Juniper. La prochaine fois que je mangerai de l'arachide je ferai comme si c'était du blé, ça m'évitera peut-être d'aller à l'hôpital.
Lynx grogna.
— T'as une meilleure idée ?
— Oui, répliqua-t-elle avant de se rapprocher pour descendre. Je descends t'aider.
— Inutile, intervint la voix grave d'Aedan.
Il portait avec lui une planche assez longue et large pour faire office de pont. Il la lança de mon côté et les autres firent un « woah » à l'unisson lorsque l'extrémité m'atteignit.
— Je la tiens, dit-il.
Mon regard passa de la planche au gouffre, du gouffre à la planche. Peu convaincue je lui lançai :
— Je devrais pouvoir trouver un autre chemin. Partez devant.
Aedan secoua la tête.
— Viens, je te réceptionnerai, fit Lynx en me tendant la main près de la planche.
Le gouffre devait faire deux mètres cinquante environ de longueur, j'aurai pu me propulser rapidement en utilisant une technique de vent comme j'avais l'habitude de le faire en étant seule, mais ça aurait nécessité qu'ils s'éloignent du bord, et je ne voulais pas dire à Aeden de jeter la planche qu'il avait pris la peine de rapporter.
Le craquement de la planche me sortit de mes pensées et je vis Juniper a mi-chemin, debout dessus. Elle me tendit la main qui était non loin de moi.
Au prix d'un gros effort, je pris sa main avant de traverser la planche qui ne supporterait pas longtemps le poids de deux personnes. Lynx nous attrapa les bras avant que celle-ci ne se fende en deux.
— Bah voilà. C'était pas si terrible ! fit-il en rigolant.
— Les cafards non plus c'est pas si terrible, lui répondit Juniper.
— C'est dégueulasse !
Aedan se redressa en s'essuyant les mains.
— Merci, leur dis-je.
Ils me sourirent et nous nous remîmes en route.

Vingt minutes plus tard, nous arrivâmes au point de rencontre avec les Anarchistes, mais étrangement, personne ne s'y trouvait. Ils étaient beaucoup plus proche du lieu de rencontre que nous et étaient très rarement en retard. Je me disais que leurs habitudes avaient peut-être changées pendant mon absence, mais à en juger par les expressions de mes compagnons, ce n'était pas le cas.
— Ils ont peut-être été retardés, dit nonchalamment Cella en resserrant sa queue de cheval.
— Ouais, peut-être, lui répondit Juniper.
Nous patientâmes quelques minutes durant lesquelles j'avais la sensation d'être observée. Je ne voulais pas le dire car j'étais en train de déterminer les positions des individus autour de nous. Si les autres ne les remarquaient pas et que je faisais semblant de ne pas les avoir vus, ils seraient convaincus d'avoir le dessus, et je bénéficierai de l'effet de surprise.
Ce plan ne fonctionna pas parce que Lynx dit :
— On n'est pas tous seuls.
— Quoi ? répondit North.
Au même moment, des personnes bondirent de leur cachette et se jetèrent sur nous. J'étais prête à riposter lorsque j'entendis quelqu'un s'esclaffer.
Je me retournai et vis quelqu'un qui immobilisait Lynx, bras sur la gorge.
— Mais quels cons ! fit Lynx en rejetant son bras. Sérieux vous avez rien d'autre à faire ?
Je me détendis lorsque je réalisai qu'il s'agissait en fait des Anarchistes. Les autres en firent de même et Aedan serra la main à au « chef » du groupe, également le plus âgé.
Kai, qui venait de relâcher Lynx se tourna vers moi en baissant ses lunettes de soleil, révélant des yeux bridés ébènes surpris avant de hocher la tête. Je le saluai en retour.
— Vous avez flippé, avouez ! dit-il.
— Nah, répondit Lynx. Mais t'aimerais bien.
Kai s'esclaffa à nouveau.
— Tu déconnes ? Vous étiez tous tendus comme des strings ! Et puis toi (il planta son index sur son torse) qui fait remarquer à voix haute que vous êtes pas seuls, t'es sûr d'avoir été formé comme il faut ?
Juniper ricana avant de lui taper dans la main.
— Eh, va te faire foutre, rigola Lynx en les pointant du doigt. Toi aussi va te faire foutre !
Sur le chemin vers leur planque, Kai nous révéla qu'ils nous avaient bien contactés parce qu'ils quittaient Specter. Ils avaient besoin d'aide pour déplacer le matériel compromettant et effacer toute trace de leur présence dans les environs. En général, chaque gang avait un territoire, c'est-à-dire une petite partie de Specter autour de leur planque qui était comme « chez eux ». Ça ne voulait pas dire pour autant qu'on risquait de se faire assassiner si on la traversait, enfin pas toujours. Certains groupes étaient plus agressifs que d'autres, comme les Cobras.
Les Cobras contrairement à la plupart des groupes qui s'étaient formés pour lutter contre le Primédia, n'avaient pour objectif que le chaos. C'était un gang qui regroupait les cinglés de Specter, assassins, voleurs, agresseurs, kidnappeurs, violeurs, qui avaient décidé de s'assembler. Leur nombre s'agrandissait au fur et à mesure qu'il se faisait connaître, rejoint par les crapules de Specter qui étaient encore solitaires. Résultat, c'était devenu le plus grand gang de la nation contre qui personne ne pouvait rien. Ils perpétuèrent d'innombrables crimes atroces plusieurs années durant. Et c'était l'horreur. Pour tous.
Heureusement, en nous ralliant avec les autres gangs, nous réussîmes à jeter les Cobras dans les bras des forces de l'ordre. Et ils furent arrêtés. Cela faisait maintenant quatre ans.
C'est pourquoi, alors que nous avancions côte à côte, Lynx, Juniper et moi dévisageâmes Kai lorsqu'il annonça, l'air de rien :
— On s'en va parce que les Cobras vont être libérés.
Il y eut un silence de quelques secondes durant lesquelles nous essayâmes d'assimiler la nouvelle. Je fus la première à prendre la parole :
— De quelle source est-ce que tu tiens cette nouvelle ? ai-je demandé.
Il se massa la nuque, comme mal à l'aise.
— Vixen a surpris une discussion entre un petit groupe de frappes, expliqua-t-il. Après ça, on a dû vérifier l'info au cas où, c'est quand même un truc de dingue. Et ça s'est révélé vrai. Alors on se casse.
— Ça veut dire que vous reviendrez si elle s'avère fausse ? demanda Lynx.
Kai renifla.
— Si on trouve une putain de planque en bord de mer, ça risque pas.
— Oh...
Kai le regarda du coin de l'œil avant de ricaner et de lui ébouriffer les cheveux.
— Faites pas cette tête ! On vous enverra nos coordonnées. Et puis en plus, on est pas le seul groupe allié que vous avez !
— Ouais mais aucun d'entre eux n'a de membre qui mange de la viande crue sur du pain rassis, lança Juniper, l'air de rien.
— Eh ! s'offensa Kai alors qu'il relâchait Lynx qui éclatait de rire avant de se tourner vers moi. Dis leur que c'est bon, toi !
— C'est bon (Il haussa fièrement ses sourcils à l'intention de Lynx et Juniper) pour la trichinose.
Ils éclatèrent de rire alors que Kai me regardait d'un air faussement blessé.

Lorsque nous eûmes fini de les aider à tout déplacer, ce qui dura toute la matinée, et le début de l'après-midi, nous prîmes une pause sur le toit de leur planque après avoir enfin déjeuné. Certains prenaient un bain de soleil tandis que d'autres sombraient tout simplement dans le sommeil.
J'étais adossée à un petit muret, réfléchissant à ce que j'avais récemment appris, les Draatinga, la sortie des Cobras, le départ des Anarchistes, Ether... Lorsque je sentis quelqu'un s'installer à mes côtés.
— Alors ? me dit Kai en me tendant une canette. Comment tu te sens après cette première mission depuis un bail.
— Je suis assez nostalgique, répondis-je.
— C'est sûr, confirma-t-il en ouvrant sa canette dans un «pshit » caractéristique et d'en prendre une gorgée. Tu devais pas faire ça en prison.
Même si ça n'avait été qu'une simple mission de déménagement, et que je n'en faisais effectivement pas, il arrivait que des détenues s'échangeaient des armes ou autre objects compromettants.
— Tu faisais quoi comme activités ?
— Oh, plein de choses (je réfléchis à la chose la plus marquante que j'aie faite en tournant la canette fraîche entre mes mains). On nous envoyait retirer de l'amiante.
Il écarquilla les yeux.
— Eh bah, bordel. C'est pas sensé être un travail de professionnel ça ? (il secoua la tête) Tu dois être soulagée d'être sortie.
— Bof, répondis-je en haussant les épaules.
Kai fit la grimace.
— Quoi, t'étais bien avec ces folles enfermées ?
Je me tournai vers lui.
— J'étais une des folles enfermées, et puis... elles ne me dérangeaient pas tant que ça.
Il souleva sa canette qu'il posa sur son front en poussant un soupir de soulagement.
— Ça m'étonne pas, tu devais leur foutre les jetons, elles avaient pas les couilles de venir t'emmerder...
Il s'interrompît et de pencha vers moi avec un air malicieux.
— Ou alors... t'étais contente d'être entourée de canons ? (il but une autre fois jusqu'à vider la canette et reporta son attention sur moi) En parlant de ça, elles étaient comment ? Je veux dire, ça ressemble à quoi des criminelles ? Elles sont belles ou pas ?
Je ne répondis rien et il poussa un gémissement.
— Oh là là, fit-il. T'exagères, est-ce que quelqu'un peut t'intéresser au moins ? C'est quoi cette vie d'ascète ?
Il pointa du doigt quatre personnes non loin de nous, trois garçons et une fille.
— Lequel te plaît ? demanda-t-il avant de me montrer le garçon de droite. Tu vois celui-là ? Juniper m'a dit qu'elle l'avait largué parce qu'il aimait le café. Tu te rends compte ? Le café ! Quel genre de personne normalement constituée pourrait plaquer quelqu'un pour ça ? Cette nana sort vraiment avec n'importe quel mec avant de le jeter d'un avion de ligne, sans parachute à s'écraser comme une merde sur le coin de sa gueule !
Je le regardai du coin de l'œil avant de hocher la tête.
— T'as le cœur lourd on dirait, lui dis-je.
— Je suis sorti avec une Juniper. Mais que les choses soient claires : je l'adore en tant que personne autant que je la hais en tant que femme. Vous êtes littéralement des opposées, c'est dingue.
Il soupira avant de s'étirer.
— Ah franchement, on doit vraiment sortir quelque part tous les trois. Elle va t'influencer un peu, t'aider à rencontrer des gens (il haussa les sourcils), avoir un mec.
J'inspirai avant d'ouvrir la canette et de boire une gorgée à mon tour.
— Je ne suis pas intéressée.
— Oh sérieux ? s'exclama-t-il. Alors baise au moins ! Les relations sexuelles sont bonnes pour la santé.
Je soupirai en levant les yeux au ciel. L'acte charnel était visiblement devenu aux yeux de tous, en plus d'un rite d'initiation, la solution à tout problème.
— T'as toujours été aussi rigide. Tu veux pas te retirer le poing du derche et aller t'éclater un peu ?
— Je n'ai pas le temps, répliquai-je. Et combien même je l'avais, il ne suffit pas de le vouloir.
Il pouffa.
— C'est que... crois moi, si tu le voulais personne refuserait.
— N'importe quoi.
— Mais si, je t'assure ! T'as la côte.
Je le regardai et je repensai à ce qu'Ether m'avait dit, juste avant de rentrer dans le café, lorsque trois garçons passèrent à côté de moi. Mon esprit dériva sur ce dont on avait discuté, ce qu'on avait fait, avant de me revoir dans le bureau de Heesadrul qui m'annonçait qu'elle était sa fille. Et qu'elle surveillait ma sœur.
Je soupirai. Je n'eus pas le temps de m'enfoncer plus profondément dans mes pensées car nous dûmes nous relever et s'attaquer à la deuxième partie de notre travail : effacer les pistes.

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