Voltiges

7 minutes de lecture

 Depuis que j’avais rompu montre amitié avec Dalil, ma vie accueillait de multiples petits changements qui lui procuraient une saveur nouvelle. De cette relation qui avait fini par me mener au bout de mes forces, je ressortais épuisée, mais prenais sans aucun doute une grande bouffée d’oxygène. J’avais encore réduit mes heures de travail et prenais plus de temps pour les activités qui nourrissaient mes aspirations, notamment mon besoin d’apprendre à travers les études d’islandais et une plus ample exploration du pays et comtemplation de la nature. Chaque jour en débauchant, à Laugarnes, je vidais mon sac au rythme des vagues face au fjord et le remplissait d’air pur. Certaines fois où la mer prenait l’aspect d’un miroir plan, une petite tête grise aux moustaches luisantes surgissait hors de l’eau. Émue, je saluais le phoque depuis mon promontoir, le regardais piquer une tête en décrivant des ondes à la surface de l’eau, puis guettais toutes les directions pour voir où il allait réapparaître. D’autres fois, c’était un cormoran, un groupe d’oies sur la terre ferme ou encore un couple d’huitriers-pie rasant l’eau turquoise du bout de l’aide. Au loin, le glacier du Snæfells décrit par Jules Vernes, Esja et la montagne d’Akranes. Il me prenait des envies de peindre ces montagnes blanches découpées de noir et dont je commencais à connaître par coeur le dessin. Depuis que j’étais en Islande, je n’avais pas touché à un pinceau. Tout mon matériel était demeuré en France, de même que mon élan créatif. Ce constat réveillait chez moi un sentiment de culpabilité.

Un autre changement majeur secouait mes tripes. Suite au dérapage qui avait eu lieu la nuit des tremblements de terre, mon estomac abritait une nuée d’oiseaux qui viraient en plongeons de hautes voltiges dès l'instant où Qadir surgissait le paysage de mes idées. Tout en remplissant les rayons de boîtes de boulons et de vices, je me surprenais à sourire, puis à pousser des soupirs en ressentant le manque s’installer au creux de chaque minute. N’ayant pris aucune décision officielle, nous faisions en sorte de ne pas nous voir tous les jours, afin de ne pas nous précipiter. Je voulais aussi faire durer cette période provisoire où il n’était encore que mon voisin dont j’entendais les pas sur le plancher au-dessus de mon lit et dont l’odeur de cuisine se faufilait à travers l’ouverture de ma fenêtre, me laissant rêveuse.

Quelques semaines après notre premier rapprochement, j’ai eu droit à une surprise. De retour du travail, je dévalais la pente parvenant à Laugarnes lorsqu’au loin, j’ai apercu un objet de couleur violette s’agiter dans le ciel. Laissant ma bicyclette contre un lampadaire, je me suis approchée à tâtons sur le sentier où la glace n’avait fondu que par endroits. Quelques brindilles tenaces triomphaient de la neige le long du chemin. Le sel marin chatouillait mes narines et la brise chargée de sel marin caressait mon visage. À mesure que j'avançais, un pressentiment me disait que cette promenade n’était pas faite pour ressembler aux précédentes.

Dos à moi sur la grève, la vision d’une silhouette a fait palpiter ma poitrine. J’ai reconnu le prince de mes songes, enveloppé dans une grande étole de laine feutrée. Accélérant le pas, j'ai manqué de tomber sur les galets glissants. Le bruit mat des cailloux a détourné Qadir de son calme. J’ai frémi lorsqu’il a posé sur moi ses yeux de malice. Il tenait dans sa main une bobine de cordon reliée au cerf volant. Son rire de satisfaction l’emportait sur les vagues.

— Que fais-tu ici ? m’a-t-il lancé.

— Ce serait plutôt à moi de te demander.

— Pardon, mademoiselle, j’espère que vous ne voyez pas d'inconvénient au fait que j’arpente cette plage à l’heure qui est la vôtre.

Un rictus faussement offensé de ma part.

— Ce que je fabrique ici ? a-t-il repris, eh bien, j’ai voulu vérifier si je possédais encore les qualités d’ingégnieur aqcuises lorsque j’étais gamin. Avec mon frère et mes copains, nous faisions des concours de cerf-volants. Nous en fabriquions de toutes sortes, dragons, oiseaux, papillons. Tous les matériaux légers disponibles y passaient.

— C’est donc toi l’auteur de ce volatile ?

Ses yeux ont cligné en guise de réponse. L’objet oscillait dans le ciel, nous exposant une face, puis l’autre. Des rubans de papier s’agitaient de chaque côté du losange.

— Tout de même, je ne te cacherais pas que si cet objet m’amuse drôlement, j’ai l’esprit ailleurs, je plane sur les hauteurs moi aussi… Je rêve à une fée que je sens si proche et en même temps si lointaine. Chaque jour un peu plus, son absence creuse une galerie dans ma poitrine. Moi qui aimerait tant garder patience, je trépigne, je suis assailli par des poèmes, des visions. Je me surprends à chantonner des airs romantiques connes d’il y a longtemps, mais les voilà habités par une passion qui est la mienne.

J’ai joint ma main à la sienne. Au contact de sa paume tendre, un frisson m’a parcouru le corps. Quel genre de place prenait cet homme dans ma vie ?

— Je te savais chanteur, mais pas poète.

— Si seulement tu comprenais l’ourdou… pour sûr, je t’aurais déjà saoulé avec ma poésie.

Il s’est mis à chanter une chanson indienne, accompagné de grands gestes, à la manière d’une sérénade.

J’étais diablement sous le charme, contractant un vertige à l’intérieur de moi. Voulant savourer le présent de la vie à pleines dents, mais retenue au-dessus du vide par la prudence des réflexions. Ma raison ne s’était pas encore alignée avec l’ardeur des sentiments naissants. Cette situation aussi cocasse que délicieuse revêtait néanmoins un aspect effrayant. Jusqu’alors, j’avais laissé la requête de Qadir mijoter en arrière, car je ne savais pas quelle réponse j’étais en mesure d’apporter. Il avait raison en sous-entendant que tomber amoureux était facile, mais s’engager de pied ferme dans une promesse de vie à deux n’était pas une démarche à la portée de tous. L’euphorie présente était-elle là pour nous inviter dans la bonne direction ou nous aveugler ? Mon cerveau était rempli de clichés au sujet du mariage, allant du conte de fée séduisant à la connotation lourde et ennuyeuse du mot “mari”. De fait, ma grand-mère était la dernière génération de mariés, et on ne pouvait pas dire que mes grands-parents étaient un exemple en matière de bienveillance mutuelle ou de bonne entente au sein du couple. Aussi, dans mon cercle social français, mes parents était un des rares couples à perdurer, connaissant des hauts et des bas dont nous avions vaguement conscience. Moi qui avais envie d’y croire, serais-je assez armée pour le jour où il ne s’agirait plus de la nouveauté ni des hormones ? Une chose supplémentaire qui freinait quelque peu mon élan, c’était la confiance que j’avais perdue en ayant dégoté une personne comme Dalil, et le temps que j’avais mis à ouvrir les yeux sur l’impasse.

Précédés du cerf-volant, nous avons marché, cette fois en évoquant le futur. Qadir qui venait d’obtenir un emploi à temps partiel de……………. rêvait d’avoir une maison dans la nature avec une chambres d’hôtes et des chevaux. L’idée n’était pas pour me déplaire. Me concernant, la question d’une carrière restait un terrain vaseux, et j’en éprouvais un certain mal-être. L’idée du permis pilotage était toujours présente à mon esprit, même si je n’avais aucune certitude de vouloir en faire un métier. De plus, cette ambition était encore très imprégnée du venin de Dalil. Je ne savais donc pas vraiment quoi en faire. En ces heures indécises, je gardais mon travail pour le confort d’y être déjà installée, me laissant le temps d’apprendre l’islandais et de réfléchir à la prochaine étape. Mise en confiance par mon interlocuteur, je lui ai fait part des inquiétudes que j’avais autour du véritable mariage, ce qui a donné lieu à plus d’une discussion sur nos visions respectives du couple et de la famille et le chemin d’accords que nous pouvions envisager.

***

Un soir, au téléphone avec ma soeur, je me suis vue lui dire : “Tu te rends compte, il y a encore peu de temps, j’étais célibataire, et aujourd’hui je suis ni plus ni moins que mariée et amoureuse de mon époux ! C’est sans queue ni tête mais je crois bien que je suis heureuse comme ça.

— Ca y est, ma soeur est une véritable femme mariée ! Je savais que ce n'était qu’une question de temps. Vous n’avez plus qu’à relancer les festivités !” s’est-elle réjouie.

— Parfois, j’ai juste peur que ce soit trop beau pour durer… C’est peut-ètre naif, mais j’ai envie d’y croire. En tous cas, au point où nous en sommes, nous sommes décidés à faire en sorte que ça perdure.

Le jour où j’ai fait part à Qadir de mon choix de prendre au sérieux notre mariage, celui-ci est resté sans voix pendant une minute, serrant ma main dans la sienne. Ses yeux émus aux larmes me regardaient puis se perdaient dans le vide. Nous sommes partis en weekend sur la péninsule de Snæfellsnes comme pour célébrer nos noces en retard. Sur les falaises, nous avons fait voler deux un cerf-volant où nous avons inscrit chacun des vœux pour notre union toute neuve et dont nous nous engagions à prendre soin.

J’ai mis un certain temps à pouvoir parler de lui comme mon époux. Si en Inde passer du statut de célibataire à celui de marié (et parents dans la foulée) est la norme, chez nous, cela semble pour le moins suspect et les gens peuvent vite vous classifier comme appartenant à une secte ou un extrémisme religieux. Le déroulement de notre histoire ne convenait ni à la norme indienne, ni aux coutumes occidentales. Si ma famille a été mise au courant sans souci, Qadir ne s’est pas pressé pour révéler sa situation à la sienne, qui selon lui, lui aurait mis la pression s’ils ne s’agissait pas d’accueillir un rejeton dans l’année à suivre. Là-dessus, nous n’étions pas pressés. Nous nous étions trouvés tous les deux à un moment où, de la bougeotte perpétuelle, nous souhaitions chacun passer à la construction d’un socle plus stable. Cependant, nous souhaitions prendre le temps de continuer de nous explorer et de voir comment nos deux vies pouvaient s’accorder sur une même mélodie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Brioche ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0