Le mariage

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 Le mariage a eu lieu le 12 décembre. Ma sœur est arrivée trois jours plus tôt avec Léo, son amoureux, et ils m’ont fait la surprise d’amener notre cousine Charlotte installée en Écosse depuis quelques années. Nous avons rencontré Mattías le pasteur deux jours avant afin de mettre au point le déroulement de la cérémonie et de lui donner des éléments pour adapter son discours à nous.

 Des intempéries étant prévues, nous nous étions résolus à louer une petite église située dans le bourg de Hafnarfjörður, à côté de Reykjavík. Nous nous étions répartis dans deux véhicules : les hommes d’un côté, Óskar, Qadir, Anoush et Léo, et dans la voiture prêtée par Óskar, Ninon, Charlotte, Aurore et moi. Le pasteur nous attendait sur place. Nous sommes arrivés avant seize heures. De généreux flocons parcouraient le ciel bientôt sombre, recouvrant la ville de silence et de magie.

 Chacun s’est affairé un petit moment sur quelque tâche préalable, Anoush à la mise en place du son, Ninon à la caméra, Óskar subitement inspiré, prenait des notes dans un petit carnet, tandis que Charlotte et moi sommes parties changer de chaussures et arranger notre maquillage.

 Tout était prêt. Les participants ont pris place sur les bancs du premier rang. Qadir s’apprêtait à défiler dans l’allée centrale au bras de son témoin, Óskar, et moi au bras de Ninon.

 Immobile l’espace d’une seconde, je sens mon cœur battre dans le silence qui précède la musique choisie pour entrer. Moins d’un an passé sur cette île, et voilà que j’étais en train d’assister à mon propre mariage… Tout à coup, je suis prise par le trac. Je songe à mes parents. Il n’avait pas été question qu’ils se déplacent jusqu’ici, mais soudain, constater leur absence me rend émotive. Ma respiration est dense et j’ai chaud au visage. Bien que nous ne soyons pas nombreux, je peine à conserver de l’aisance en face du public. Je lève la tête vers un Jésus en deux dimensions qui lui aussi nous observait dans le fond de l'église. Que dirait-il de tout ça ? Les êtres omniscients doivent bien savoir que je suis remplie d’affection pour mon partenaire et réciproquement.

 Je prends une grande inspiration quand la musique retentit entre les murs de l’église, une mélodie entrainante assortie au costume de Qadir gonfle ma poitrine de confiance. Puisque nous y sommes, autant profiter un maximum de ces instants si particuliers.

 Au cours du défilé jusqu’à l’hôtel, je me plonge dans chaque perception, éprouvant mes chevilles rehaussées par des escarpins à boucle, la caresse légère d’une combinaison framboise ample sur mes jambes, épousant ma taille, la fraîcheur régnant sur ma poitrine orné d’un collier fin, une tresse fleurie serrée autour de ma tête, la tirant vers le haut, l’appui solide du bras de ma soeur, souriante dans sa robe portefeuille. Parvenus sous la nef, mon regard parcoure l’espace, Óskar sur son trente-et-un, droit et fier comme une girafe se tient à côté de l’époux. Ce dernier rayonne dans sa tunique de velour noire aux broderies dorées accompagnée d’un pardessus sans manche de soie verte. Son turban orange brique lui donnait des airs de prince oriental. Un éclat d’émotion fait briller son regard. Je suis parcourue d’un frisson lorsqu’il me gratifie d’un sourire complice.

 Pour l’avoir déjà entendu lors de l’entretien préalable, je sais que le discours du pasteur était touchant, moderne et poétique. Il nous convient finalement assez bien, même si l’auteur ignore la vraie nature de notre relation. Néanmoins, à ce moment précis, je dois avouer que les mots glissent sur mes oreilles distraites. Je me trouve dans un état second. Debout sur mes jambes fébriles, j’ai la vue troublée par des vagues de souvenirs et des réflexions en désordre. Ma communion solennelle, un cierge sur les marches de l’église de St Astier, les funérailles de la grand-mère dans la chapelle de son petit village breton ; je revois le trajet en bus scolaire à côté de mon amie d’enfance, commentant les robes de mariée visibles dans la vitrine d’une boutique. La demande en mariage de Diego, un péruvien avec qui j’étais sortie quelques jours ; Dalil qui à son tour avait aussi parlé de mariage, à demi camouflé par un accès d'humour ; le jour où nous avons bu le thé chez Qadir qu’il me présentait pour la première fois ; les confidences de celui-ci dans la voiture en attendant les aurores boréales en vain ; notre discussion derrière les sanitaires au camp de réfugiés.

— Mademoiselle Juliette Martin, consentez-vous à prendre pour époux monsieur Qadir Bashara ici présent ?

— Oui, ai-je répondu après une inspiration.

— Monsieur Qadir Ahmad, consentez-vous à prendre pour épouse Juliette Martin ici présente ?

 Son oui discret s’est accompagné de grands yeux impressionnés levés vers le pasteur. Celui-ci nous a invité à échanger les alliances. Ma sœur s’est avancée avec le coffret en bois contenant les bagues achetées pour quelques couronnes dans la fripe où j’avais déniché mes souliers. Ses mains chaudes ont saisi mes doigts pâles et froids pour y placer l’anneau en argent, et à mon tour de passer l’anneau plus large à son annulaire sous un flash d’appareil photo. Nous tremblons tous les deux et je manque d’échapper un rire de nervosité.

— Vous pouvez embrasser la mariée, a déclaré le pasteur avec un geste d’invitation.

 Je me suis tournée vers Qadir, raidie par le trac. Sans laisser le temps que la même panique ne le gagne, il s’est penché vers moi en me passant une main dans le dos, a déposé ses lèvres tièdes sur les miennes teintées de rouge à lèvres. Cela dure deux secondes, mon buste frissonnant effectue un léger mouvement de recul, nos prunelles s’accrochent furtivement avant de bifurquer sur l'audience dans laquelle je décèle du mouvement. L’espace d’une seconde, je ne sais plus qui je suis. Tandis que chacun applaudissit, je surprends les trois filles à se consulter du regard. Le silence retombé, Charlotte effectue le geste d’un, deux, trois dans le vide avec son index, suivi d’une inspiration commune avec les deux autres. Leurs trois voix entament en chœur, une chanson connue dont elles s’étaient réapproprié les paroles pour l’adapter à notre mariage. Il est question d’une voyageuse posant le pied sur une île de feu et de glace où elle rencontre un charmant pâtissier joueur de flûte qui habite au-dessus de son appartement. Tous deux cherchent leur place dans ce monde et il la trouvent autour d’une tasse de tchai réconfortante qu’ils partagent ensemble. Prise par l’émotion, je rate certaines des paroles que les filles prononcent en nous jetant des coups d'œil avec de grands sourires. Je suis grandement reconnaissante qu’elles aient su prendre en main la suite du moment le plus embarrassant. J’essuie du revers de la main quelques larmes au coin de mes yeux. Cette cérémonie recouvre des airs plus solennels que ce que nous aurions pu imaginer.

 Pour finir, le pasteur a prononcé ses vœux de bonheur puis nous a invités, ma sœur, Charlotte et Óskar à nous asseoir sur le banc. Le temps que je remette mes idées en place, Aurore et Qadir se lèvent levés pour prendre leurs instruments, placés dans un recoin. Je peux enfin détendre mes jambes et mon thorax, me soustraire à la convergence des regards. Anoush avance trois chaises face à nous et ils se sont installés, Aurore à l’accordéon, Qadir à la flûte et Anoush, amusé tel un voyou par sa participation aux tablas. Je comprends mieux les conciliabules que j’avais cru surprendre en sortant des toilettes au départ de la cérémonie. Charlotte m’avait retenue volontairement aux vestiaires pour réajuster mes accessoires. Voilà une sacrée équipe ! Je me laisse bercer par le son, levant les yeux vers la voûte décorée d’étoiles sur un ciel bleu.

 De retour chez Qadir nous commandons des pizzas et poursuivons la soirée en musique et en jeux de société.

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