Nouveau costume, nouvelle page

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 Le lendemain avant huit heures, je me suis rendue sur le lieu de travail que je connaissais déjà, remplie de curiosité. C’est Bilal qui m’a présentée aux collègues. On m’a remis la même veste jaune fluorescente que la leur, ainsi qu’une paire de gants. Nouveau terrain de jeu, nouveau costume. Impressionnée, j’avais un peu le trac.

 J’ai demandé à mon complice par quelle tâche nous devions démarrer la journée. “La première chose à faire, où que tu sois, c’est veiller à avoir un espace propre et dégagé.” Une telle réponse de sa part ne m’étonnait pas.

 Dehors, il m’a tendu une grosse pelle afin de rassembler dans un container le tas de gravas qui obstruait le parking. Il s’en est allé dans l’entrepôt tandis que j’attaquais mes travaux dans la fraîcheur matinale. En face du timbursala (espace de vente du bois et autres matériaux de taille) se trouvait le magasin d’outils de bricolage de la même entreprise. Certains employés faisaient des allers et venues entre les deux bâtiments, d’un pas tranquille. Parmi eux, quelques intrigués sont venus me saluer à tour de rôle en me souhaitant la bienvenue dans un anglais très clair, teinté de leur accent nordique. L’un d’eux, le gardien de sécurité, m’a m’a félicitée d’oser me joindre à l’équipe, ordinairement composée de mâles.

 J’appréciais particulièrement d’avoir le corps en action et à l’air libre. Cette première besogne de taille m’a largement échauffée. “Magnifique ! Tu es très efficace, a constaté Bilal. Repose toi, vas prendre un café.”

 Cette liberté dans le rythme de travail n’était pas dans mes habitudes, d’autant plus que dans ma position de nouvelle employée - et visiblement unique femme de l’entreprise, - je tenais absolument à écarter de moi l’image d’une paresseuse rapidement fatigable.

 Par la suite, Bilal et moi nous sommes attelés à ranger l’espace à l’étage de l’entrepôt. Il y avait toutes sortes de matériaux poussiéreux en vrac: laine de verre, plaques de polystyrène, gouttières, barrettes métalliques et j’en passe. Je n’aurais pas su me figurer comment nous devions disposer tous ces objets. Je me contentais de suivre les instructions de mon collègue. Nous allions force physique et bavardages, ce qui rendait le labeur agréable.

 La pause déjeuner était plus que bienvenue. J’en profitais pour dire à mon coéquipier que j’allais chercher une autre solution pour me loger carsi sa soeur me rendait service, je voyais bien que cette situation n’était pas idéale pour leur petite famille dont les nuits étaient rythmées par les pleurs et les biberons.

 “Je suis navré, je ne peux pas t’accueillir chez moi car je partage la maison avec ma vieille amie, Sigrún. Elle est assez particulière… Lunatique, disons. Parfois nous sommes en bons termes et d’autres fois moins, alors je préfère n’héberger personne. Mais laisse-moi demander à Qadir et Anoush. Tu sais, dans notre culture, on ne peut pas refuser d’héberger quelqu’un.

 J’ai voulu protester, mais vu l’état de mes finances, toute option provisoire était bonne à saisir. Par ailleurs, c’était bien la première fois que j’entendais parler de cette mystérieuse colocataire au prénom islandais…

 Dans l’après-midi, Qadir est venu rendre visite à ses deux acolytes au moment de la pause. Je les observais tous les trois dans la cage d’escaliers : Bilal debout et bien droit, les mains sur les hanches, Qadir appuyé contre la rampe d’escalier et Anoush assis sur une marche, capuche sur la tête. La discussion était animée. Leurs regards vifs tournaient, tantôt moqueurs, tantôt complices.

— Ils sont d’accord pour t’accueillir le temps que tu trouves un logement. a déclaré Bilal lorsque nous étions tous les deux.

— Vraiment ? C’est un peu osé… ai-je pensé tout haut. D’un autre côté, je n’ai pas d’autre solution en tête. Cela me dépannera pour un temps. Par contre, je ne les connais pas, puis-je leur faire confiance, d’après toi ?

— Parfois ils n’ont pas l’air futé, mais ce sont des bons gars. Totalement inoffensifs. Ne te fais aucun souci, c’est moi qui t’envoie chez eux. Ils me connaissent bien, ils savent que s’ils touchent à un de tes cheveux, ils sont morts.

 Sur ces paroles pleines d’emphase chevaleresque, nous sommes retournés dehors pour débarrasser le parking de longues tiges en acier, cette fois. Il fallait les trier et jeter celles qui étaient trop courbées. Lunettes en plastique sur le nez, je m’apprêtais à scinder en plusieurs morceaux celles qui allaient rejoindre le containeur. Bilal venait de me montrer comment il fallait s’y prendre. La scission produisait des étincelles qui giclaient partout et j’étais amusée de m’essayer à ce genre d’opération. La vie réserve bien des surprises pour les preneurs, pensais-je. Je me disais que j’aurais encore de belles aventures à raconter dans les prochaines cartes postales que j’écrirais. Après les chapitres “Ramassage de déchets en Himalaya”, “Récolte de cacao dans la jungle péruvienne”, ou encore “Emballage de magrets de canard dans une usine du Périgord”; j’allais entamer ce nouveau récit “Lundi 9 avril 2018 : je fais mon entrée chez Timburland, munie d’une pelle et d'une meuleuse”.

 Mon CV s’éloignait peu à peu du milieu intellectuel universitaire pour se teinter d’anecdotes incongrues dans une géographie éparpillée.

 Tout le monde débauchait à dix-huit heures, au moment de la fermeture. La journée, bien qu’éprouvante, était passée vite. Sur la piste qui longeait les ruisseaux et forêts de bouleaux miniatures, j’appréciais le retour à bicyclette, laquelle m’avait été gracieusement prêtée par Bilal.

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