Chapitre 8 - Fin

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Alexandre la regardait intensément. Elle n’avait pas changé, il retrouvait toutes ses mimiques, ses moues, les plis de son visage. Elle avait seulement changé de coiffure.

« Comme je suis naturalisée française, c’est plus facile de bouger pour moi. Je suis venue te voir à Penang il y a deux ans.

- Comment ça ? Je ne m’en souviens pas du tout.

- Tu n’étais pas là. Pas de chance, tu étais en déplacement à Bombay. Pile la semaine où j’étais là. Tu n’imagines pas l’excitation dans laquelle j’étais. Et l’état lamentable dans lequel je me suis retrouvée ensuite. Le retour à Levallois a été pénible.

- Tu aurais pu prévenir, aussi.

- Merci pour ton soutien, chéri. J’essaie de dramatiser nos retrouvailles et tu te moques de moi. »

Ils sourirent tous les deux, en même temps.

« Et cette fois, j’avais téléphoné avant pour m’assurer que le directeur serait bien là. Tu vois, je me suis organisée depuis.

- Tu travailles toujours à Levallois ?

- Non, c’est fini. J’ai eu un poste à Singapour. Interprète encore. Je commence dans une semaine. D’une certaine manière je suis en vacances, là.

- C’est gentil d’être passée me voir, Lenka.

- Ne m’appelle plus Lenka, s’il te plaît. Lenka Novacka n’existe plus. Mon vrai nom, c’est Iulia Jdanova. Mais j’ai été naturalisée sous le nom de Julia Jadon.

- Julia, donc.

- C’est ça.

- Eh bien, Julia, merci d’être venue me voir. »

Il se leva, posa sa tasse et replaça son fauteuil.

« C’est tout ?

- Tu veux que je fasse un salto arrière de joie ?

- C’est-à-dire que… Je suis là pour… je suis là pour toi, Sacha. »

Elle s’était levée et avait fait un pas vers lui.

« Pendant toutes ces années, je t’ai attendu, j’ai cherché, et voilà, je te retrouve enfin. Tu n’as pas beaucoup changé. Tes cheveux sont un peu poivre et sel sur les tempes. Et tu as rasé ta barbe. Elle t’allait bien pourtant.

- Elle était trop blanche pour moi.

- Sacha, s’il te plaît, voyons-nous ce soir. Mangeons ensemble. Je reste une petite semaine. Ne joue pas au monstre froid. Pas avec moi, pas après tout ce qu’on a vécu ensemble.

- J’ai passé deux années de psychothérapie pour t’oublier. J’ai subi des séances de cloisonnement mental où on me montrait des photos de toi que je devais ranger dans un coin de mémoire et rendre l’accès à ce coin de mémoire impossible. Et tu déboules, un beau matin, sans crier gare, pour me dire qu’on pourrait faire comment si de rien n’était ?

- Ecoute, on a vécu ensemble pendant deux ans. On était heureux. Puis je l’avoue on s’est trahi, on a été les jouets de nos pays respectifs. On a vraiment partagé le pire et le meilleur, pas vrai ? Que peut-il nous arriver de plus terrible ?

- Pas faux, ça.

- Alexandre, je t’aime. Si je suis là, c’est uniquement pour ça. »

Elle l’avait dit avec assurance. Elle s’était livrée au-delà de ce qu’elle avait pensé. Alexandre la voyait à nouveau, désirable, éminemment désirable dans ce chemisier, désirable en diable, et il ne sentait pas capable de résister à cette femme, cette femme qu’il avait tant aimée, qui lui avait si durement manqué pendant des années et qu’il n’avait pas été foutu de remplacer.

Instinctivement, il lui tendit la main, et l’instant d’après ils étaient dans les bras l’un de l’autre. Il sentait sa peau, l’odeur de ses cheveux lui revenait, et toutes les digues du passé et du présent sautèrent en une fois. L’évidence de leur couple baroque sautait aux yeux. Sacha embrassa Julia comme pour vérifier que son goût n’avait pas changé, il plongea son nez dans le cou, parcourut de ses mains le dos et les hanches de son amante. C’était elle, c’était bien elle, ne cessait-il de se dire. Il retrouva le feu qui l’avait si longtemps fait défaut. Enfin, ils se retrouvaient.

« Tu m’as tellement manqué » soupirèrent-ils. Le ventilateur au-dessus approuvait tout cela d’un flap flap réconfortant. L’amour pouvait renaître dans la chaleur tranquille d’un bureau de Penang.

***

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