9 heures du matin

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Je suis le genre de personne qui aime tout contrôler. J'aime que les choses se passent selon mes plans. Lorsqu'il y a un imprévu, ça a tendance à me perturber, voire m'énerver. Je regrette parfois ce manque de spontanéité, mais je ne peux pas lutter contre. Quelque part, aujourd'hui j'ai l'impression d'être rattrapée par ma rigidité. Cette grossesse n'était pas prévu. Pas du tout. J'avais déjà énoncé mes plans d'avenir à celui qui partage ma vie depuis 2 ans et demi. Je voulais faire mon Master. Ensuite, je voulais partir à l'étranger pendant minimum une année pour me faire une expérience de travail ailleurs. Je voulais me marier et, pour finir, fonder une famille vers mes 30 ans. Cela signifie que, selon mes plans, j'aurais mon premier enfant dans cinq ou six ans. Et il était d'accord avec ça. C'était notre vision de l'avenir. Mais en ce vendredi matin, j'ai compris qu'on ne pouvait pas tout planifier. J'ai compris que la vie prenait parfois un malin plaisir à nous tester. J'ai compris que, quoi qu'il se passe, plus rien ne serait plus comme avant.

Lorsque je me retrouve enfin seule à la maison, après la prise de sang, je suis désespérée. J'ai besoin de soutien. J'ai besoin d'aide. Après le résultat du test de grossesse, j'ai directement écrit à ma meilleure amie. Je lui donne donc plus de précisions sur mon état d'esprit. Elle m'envoie des messages vocaux. Je décide également de me confier à une autre amie proche qui m'appelle dans la foulée. Toutes deux sont choquées et cherchent les mots pour m'apaiser. Je tiens un discours confu, ma voix est pleine de sanglots. Je leur explique que je ne peux pas me permettre de le garder. Je n'ai pas fini mes études, je ne suis pas prête et puis il n'en veut pas. Ce n'est pas dans nos plans. Ce serait trop compliqué. Elles me disent toutes deux la même chose : il y a toujours des solutions. « Je te connais, je sais que tu ne te le pardonneras jamais ». Et quelque part, je sais qu'elles ont raison.

Tout se bouscule dans ma tête. Je leur explique aussi qu'à mes yeux, un enfant se fait à deux. Je ne peux pas concevoir imposer un bébé à l'homme que j'aime. J'aimerais que ce soit notre souhait à tous les deux. J'aimerais qu'on l'ait décidé ensemble, qu'on l'assume. Aujourd'hui, je suis partagée entre le coeur et la raison. Je n'arrête pas de penser que j'ai un tout petit tas de cellule dans mon ventre, qui va grandir. Cela pourrait devenir un enfant, le nôtre. Et puis, je considère toutes les difficultés qu'impliquerait la décision de le garder. J'ai peur. J'ai la sensation qu'il n'y a pas de bons choix. Mes amies me disent de bien y réfléchir, de faire attention à ne pas faire quelque chose que je regretterais toute ma vie. « Je pense que si j'étais dans ton cas, je le garderais. Je n'aurais pas la force d'avorter ». Sauf qu'elles ne sont pas dans mon cas. Moi aussi je tenais un certain discours avant. Finalement, les choses sont tellement différentes lorsque ça nous arrive vraiment. J'ai la sensation que personne - à part ceux qui l'ont vécu - ne peut me comprendre. Mes amies me conseillent d'en parler avec ma mère. « C'est une maman, c'est ta maman, elle va forcément t'aider ». Effectivement, j'ai besoin d'elle.

« Tu es à la maison ? Je ne veux pas te déranger, mais il m'arrive un truc vraiment triste et j'ai besoin de t'en parler » j'écris dans un SMS. Elle m'appelle. Je sanglote à nouveau. Je ne tourne pas autour du pot, je lui annonce. Elle ne comprend pas tellement mon état. Je suppose qu'elle croyait que les choses seraient claires pour moi, que je n'en voudrais pas et que ce ne serait pas plus difficile que ça. Ou peut-être que je me trompe, mais c'est comme ça que je l'ai ressenti. Je lui explique la tourbillon émotionnel qui m'emprisonne.

Elle ne sait pas trop quoi dire. J'apprécie le fait qu'elle ne cherche pas à m'influencer. Elle cherche juste à m'apaiser, à me rassurer, à m'écouter. Elle va le dire à ma soeur et à mon père. Quand on raccroche, ils m'écrivent très rapidement après. Mon père est maladroit, mais ça ne m'étonne pas. Je ne lui en veux pas. Je sais qu'il veut faire au mieux. Je sais que tout le monde veut faire au mieux. J'avais besoin de me confier, qu'on m'aide, mais finalement j'en ressors encore plus bouleversée.

Vers midi, je demande à tout le monde de ne plus en parler, je veux me changer les idées. La vérité, c'est que je ne suis pas vraiment capable de penser à autre chose. Mais au moins, personne ne vient y mettre son petit grain de sel. Je regarde des articles sur Internet : des témoignages d'avortement, des femmes qui hésitent, les procédures. J'ai peur. C'est vraiment le sentiment qui prédomine : j'ai peur et je suis triste.

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