Comme un scion en cage - 2

4 minutes de lecture

Tu es partie ce jour-là, Caei.


Jᴇ ᴍᴇ sᴜɪs ᴇɴғᴜɪᴇ ?


Non, tu t’es rebellée.

Sous l’effort et l’effroi, ton cœur galopait comme jamais. Tu te savais la proie d’une traque sans merci, où une mort familière et enragée te pourchassait à travers les arbres massifs. Plus que la peur de s’éteindre, c’était à présent celle des supplices qu’inventerait Baraghi s’il parvenait à te rattraper qui te donnait des ailes. Tu n’avais pas le droit d’échouer ; cette implacable vérité te poussait à distancer tes poursuivants sans égard pour tes poumons en feu ou tes muscles au bord du déchirement.

Baraghi a laissé tomber son panier pour accélérer, mais tu volais, mieux portée par la terreur que par aucune paire d’ailes ; Baraghi écumait de rage.

— On va dépecer de l’akci en rentrant au clan ! a-t-il rugi, essoufflé.

Tu as pris cela comme un encouragement. Ne pas se faire attraper. La suite avait peu d’importance, aucune alternative n’était envisageable.

Grâce aux bruits de pas et de respiration, aux odeurs teintées de sueur des Riaon, tu estimais sans mal la distance avec eux. Si le vent était en ta faveur, si le sol inégal et arboré te cachait parfois aux yeux de tes poursuivants, tu ne pouvais étouffer ni le bruit de tes pas ni ton inquiétude grandissante. Votre endurance déciderait de l’issue ; or tu te savais désavantagée sur ce point. Tu avais mis toutes les chances de ton côté et allais tout de même échouer. Ta faiblesse te punissait de nouveau.

Baraghi s’est soudain arrêté, pas encore hors d’haleine. La surprise a failli te faire trébucher.

— Priac, Inja, vous pouvez continuer à la poursuivre si ça vous chante, a-t-il dit froidement. Moi, je me fiche de ce que devient cette farrꜵc.

Les deux compères ont hésité, puis ralenti leur course.

— Pourquoi ? a demandé Inja avant de s’arrêter lui aussi.

Le Naræs s’est étiré les bras.

— Elle se fera dévorer. Ou elle mourra de faim. Ça m’est égal.

Tu as entendu Priac glousser.

— Tu viens d’allumer le feu sous ta propre dépouille ! a-t-elle crié à ton attention.

Inja a fait nonchalamment demi-tour en direction des corbeilles que vous aviez abandonnées. Des créatures opportunistes avaient peut-être déjà volé leur contenu.

Tu as continué ta course, fuyant à en perdre haleine, soulagée de ne plus percevoir les pas de Baraghi, jusqu’à t’écrouler de fatigue entre deux racines noueuses, incapable de bouger le moindre muscle. Si un prédateur te trouvait dans cet état, tu ne pourrais que l’observer se repaître.

Était-ce l’intention de Baraghi ? Savait-il que ta faiblesse te livrerait en pâture aux carnivores ? Ou bien avait-il, enfin, ressenti de la compassion envers toi ? De la pitié, peut-être ?

Tu as fermé les yeux. Le Naræs te voulait morte. Il t’avait toujours voulue morte. Sauf quand tu étais très petite et qu’il n’avait pas encore chassé ta mère. Quand il ne te traitait pas encore comme une Yu. Quand il te croyait une vraie Riao de son clan. Tu as soupiré en silence. À cette époque, Baraghi, qui n’était pas encore Naræs, jouait avec toi comme avec les autres jeunes du clan. C’était lui, tu t’en souvenais, qui t’avait appris à préparer le gako et qui t’aidait à attraper les poissons.

Et tu l’avais aimé.

La honte et la colère t’ont fait monter les larmes aux yeux, mais tu avais aimé cet horrible monstre qui te portait sur ses épaules quand tu étais trop fatiguée pour marcher. Ce farrꜵc qui faisait semblant de perdre quand vous jouiez à vous battre. Ce grakai qui te racontait des histoires auprès du feu et te regardait avec fierté, parce que tu étais la première enfant viable de sa lignée. Agi, comme tu l’appelais à l’époque, t’aimait mieux encore que les autres petits Dai du clan. Parce que tu étais têtue, combative et que tu n’abandonnais jamais. Tu lui rappelais Akmako, sa sœur adorée.

Akmako. Nae. Ta mère.

Tu as tremblé.

Baraghi s’était sans doute senti trahi. Akmako avait été faible, une traîtresse à sa race. Tu étais faible, une parodie de Dai, une affreuse akci. Baraghi était fort. Pour le bien des siens, pour sauver Riao de la perdition, il s'était retourné contre ceux qu'il avait de plus chers, avait conjuré les monstres de sa propre famille.

Tu le comprenais. À sa place, tu aurais peut-être fait la même chose ; ou ton inaction aurait décimé le clan.

Mais c’était contre toi que Baraghi luttait.

« Je suis du clan ! Je suis du clan ! » lui avais-tu souvent crié, la voix brisée, lorsqu’il te battait. Comme si, après six longs essoan de mauvais traitements envers son propre sang, il allait s’apercevoir de son erreur et te réintégrer.

Tu avais eu tort. Tu n’étais pas du clan.

Tu as subitement réalisé que c’était par amour que Baraghi ne vous avait pas tuées sur-le-champ. Dans sa situation, il vous avait infligé la plus légère peine possible sans compromettre le clan. Le temps aidant, sa haine s’était cristallisée, sans jamais le résoudre à mettre un terme à ta vie. Peut-être en souvenir de la petite Dai qui lui rapportait ses vibrisses tombées dans l’espoir vain de les recoller.

Si seulement Baraghi n’avait jamais su.

Si seulement ton père avait été Dai.

Si seulement ta mère ne t’avait jamais eue.

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