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Quartier résidentiel, Clermont-Ferrand, fin de journée.

L’horizon s’assombrissait, tandis que le ciel prenait des teintes bleutées, grisonnant à certains endroits. L’atmosphère électrique, lourde d’orage, n’annonçait rien de bon. Et pour cause, une vive lumière vaillante éclairait les murs des habitations en rouge et bleu. Cris et sanglots s’échappaient du numéro 2, résidence de la famille Floran. D’aucun n’aurait prédit ce qu’il allait se passer. Tout aussi prévisible qu’évitable, ce premier événement d’une longue série allait ébranler l’équilibre de ce charmant quartier.

La porte d’entrée était grande ouverte, une ambulance était déjà sur place, mais selon un des ambulanciers, le pronostic vital de la victime était engagé. Deux agents de police entrèrent en sachant ce qu’ils allaient découvrir. Au loin, le gyrophare éclairait l’entrée de la maison qui prenait la forme d’une scène de crime, théâtre d’un crime affreux digne d’un roman suédois. Un seul mot planait, indicible, tenu du bout des lèvres mais que personne n’osait exprimer. Madame Floran anéantie, était incapable d’admettre ce qu’il venait de se produire, son esprit se bloquait, s’emmurait afin de ne pas s’effondrer. ‘’Aucun parent ne mérite de vivre un tel événement !’’ murmura un des agents de police à son collègue.

En bas des escaliers, Christopher Blier et son collègue Bernard Vincent entendaient déjà les sanglots déchirants de madame Floran et de son mari. Même s'ils étaient entraînés, habitués, ils ne pouvaient rester indifférents, insensibles à leur détresse. Il faudrait être un monstre pour ne pas compatir à un tel malheur. Christopher, même s'il ne l’avait pas vécu personnellement, comprenait mieux que quiconque ce que la famille Floran traversait. Ayant également un enfant, il arrivait à se mettre à leur place. Par souci de professionnalisme, il s’interdisait d’y penser, de l’entrevoir afin de se concentrer sur l’instant présent.

À mesure qu'il montait les marches de bois, son cœur se serrait dans sa poitrine, son estomac se nouait. Il avait l’impression de gravir un mont infranchissable. À mesure qu'il se rapprochait du sommet, la difficulté, tel un sac de briques, l’écrasait, le compressait avec violence.

Les parents attendaient hors de la pièce, Stéphanie, effondrée au sol, pleurait à chaudes larmes en appelant sa fille étendue dans la baignoire.

Comme pour une scène de crime, les deux agents inspectaient la pièce en quête d’indices. Au sol, le téléphone portable de Mégane était allumé, affichant l’application TikTok. Christopher n’eut pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre ce qu’il venait de se passer, et l’idée de devoir le formuler l’horrifiait.

*

Peu de temps avant le drame, Clermont-Ferrand

—Mégane, attends-moi ! lança Louise en la rattrapant de justesse avant qu’elle ne rentre dans le bus. Tu ne peux pas continuer ainsi, ça va mal finir ! Tu dois en parler, c’est trop important.

—Pour dire quoi ? Ça ne servirait à rien ! Dans tous les cas, je suis coincée. Je suis terrorisée, je regarde toujours derrière moi. Tu ne comprends pas, tu n’y étais pas !

—Laisse-moi t’aider, Meg. Tu ne peux pas gérer ça toute seule.

Mégane, d’un ton froid, lança avec force.

—Alors n’en parle à personne ! Jure-le au nom de notre amitié.

Louise, gênée et inquiète, n’avait guère de choix que d’accepter, mais sans prendre en compte les énormes répercussions que ça allait engendrer.

Alors qu'elle rentrait chez elle, Mégane avait l’impression de sentir une pression dans sa poitrine. Elle avait l’impression d’être dans un état second, ailleurs. Même si elle avait conscience qu’elle était soutenue, Mégane ressentait une profonde solitude. Tout autour d’elle semblait se compresser, se refermer sur elle. Par moment, elle avait l’impression de suffoquer, d’être en pleine crise de panique, quand quelque chose lui rappelait ce soir-là.

Prise dans une rue à sens unique, elle n’avait guère de choix que de poursuivre sans pouvoir revenir en arrière. À plusieurs reprises, Louise lui avait suggéré d’en parler à ses parents, à la police, mais elle en était incapable. La seule idée de le révéler, le formuler à voix haute l’effrayait. Pourtant, même si parfois en parler pouvait être compliqué, libérer son âme, dire la vérité pouvait être salvateur. Louise, soucieuse pour sa meilleure amie, lui envoyait souvent le même message dans l’espoir de la faire changer d’avis. ‘’Je t’en supplie, parle-s’en à la police, à tes parents, c’est important.’’ Mais Mégane n'y arrivait pas. Elle préférait croire qu'il s’agissait d'un mauvais rêve, d’une illusion. Pourtant, il n’y avait rien de plus réel, concret, que les SMS qu’elle recevait depuis quelques temps. Le dernier fit l’effet d’un coup de massue, une vive décharge électrique. À défaut de recevoir un simple message de menace, c’était cette fois-ci une photo. Tremblante, tétanisée, Mégane cherchait la moindre faille dans la photo qui pourrait lui faire croire qu’il s’agissait d’un montage, un canular d’un camarade de classe à l’humour déplacé. Mais hélas, c’était tout sauf un vulgaire photomontage.

Mégane se reconnut sur la photo, elle avait dû être prise un peu plus tôt. Elle se voyait parlant à Louise qui paraissait inquiète sur l’image. Consciente qu’elle se mettait en danger, elle plaçait son amie dans une situation délicate également. À plusieurs reprises, Louise avait tenté de prévenir ses parents, ou même Damien, le père de Mégane, par de subtils messages, mais sans jamais dévoiler toute la vérité.

Aussitôt, Mégane envoya la photo à Louise qui, tout comme son amie, craignait pour sa vie. En arrivant enfin chez elle, Léon l’attendait devant chez elle, le regard lumineux, le sourire aux lèvres.

— Je voudrais te dire quelque chose Meg, ça fait un moment que je voulais t’en parler.

Sachant de quoi il était question, Mégane fondit en larmes en pensant à tout ce que cela impliquait. Même si au plus profond d’elle, son cœur la poussait à répondre à ses avances, son esprit quant à lui se bloquait. D’un geste calme et tendre, Léon instinctivement l’enlaça en lui adressant un regard chaleureux.

— Tu trembles, que se passe-t-il ? s’enquit Léon d’une voix inquiète.

‘’Pourquoi il a fallu que tu ne viennes que maintenant.’’ Murmura Mégane en le serrant dans ses bras frêles, tremblant de peur, la voix noyée de larmes, de remords, de peur.

Durant ces quelques secondes contre lui, elle avait l’impression de se sentir forte, vivante, en paix. La tête collée contre son torse, elle entendait les battements accélérés du cœur de Léon qui n’attendait qu’une chose. Leurs regards se croisaient, un long silence planait, mêlant la gêne aux sentiments partagés. Timidement, elle posa ses lèvres sur les siennes, laissant choir des larmes qu’elle tentait de retenir depuis trop longtemps.

— Je suis navrée ! déclara Mégane d’une voix contrite, déçue, légèrement tremblante.

— Je ne comprends pas, je croyais que je te plaisais ? interrogea Léon d’une voix étonnée.

Mégane cacha son visage afin de ne pas montrer ses larmes, mais Léon n’avait pas besoin de la voir pour comprendre. Il n’insista pas, se contenta de caresser la joue de Mégane et partit sans rien ajouter.

Tremblante, Mégane suppliait intérieurement pour que Léon se retourne et change d’avis. Elle ne voulait pas rester seule, elle ne le devait pas. Au plus profond d’elle, son esprit hurlait :’’RESTE !!’’ Mais sa bouche demeurait muette. Elle ne pouvait pas le mêler à tout ça, ce soir-là, il était trop occupé à danser avec ses amis. Il ignorait totalement ce qu'il se passait dans les bois, à l’abri des regards indiscrets. Personne ne savait hormis Mégane et Louise qui a vu les premiers messages par hasard.

‘’Si tu as un soupçon de moral et d’amour pour lui, laisse-le partir, ne le retiens pas.’’ Se disait-elle en le regardant partir sous un ciel coloré. Consciente qu’elle laissait probablement son ultime chance de s’en sortir, Mégane regagna sa chambre sans même saluer ses parents qui regardaient la télé.

Le cœur gros, l’estomac noué, Mégane s’effondra sur son lit aux couleurs de Serpentard dans Harry Potter. Elle rédigea quelques lignes dans son journal intime qu’elle rangea dans sa cachette à l’abri des regards. L’heure n’était plus à la conversation ni aux faux-semblants.

Ce soir, j'ai reçu un autre message du même inconnu, enfin je suppose qu'il s'agit de la même personne. Cette fois-ci, j'ai reçu une photo de Louise et moi en sortant du lycée. Comment est-ce possible ? Est-il de Clermont ? Comment a-t-il eu mon numéro ? Est-ce une personne de mon entourage ? Tant de questions sans réponse et qui, j'espère, vont aider la police. À celui qui lira ça, je n'ai jamais été une personne violente, à chercher des problèmes ni à en créer. J'ai juste été au mauvais endroit au mauvais moment !

Des larmes de tristesse et de peur perlaient sur ses joues blafardes, épuisées. En public, elle faisait semblant d’être la fille cool, enjouée, mais seule face à elle-même, il n'était plus question de feindre. Louise tentait de l'appeler, de lui envoyer des messages, mais Mégane ne daignait pas lui répondre. Tout rapetissait autour d'elle, sa chambre, la salle de bain qui d'ordinaire était spacieuse. Elle avait l’impression d’être dans une autre dimension, dans un autre espace-temps, infini, où le temps n'avait pas cours.

Sur le pas de la porte de sa chambre, elle adressa un regard amer, abattu, consciente qu'elle n'y reviendrait plus. Elle se souvenait alors de tous les moments passés avec ses amis, sa famille. Une infime part de doute subsistait en elle et la retenait de commettre un geste irréparable. Aculée, dos au mur, comment pouvait-il en être autrement ? se demandait-elle les yeux noyés de larmes.

Face à la glace de la salle de bain, Mégane laissait choir toutes les larmes de son corps. Ses lèvres sentaient encore la chaleur de celles de Léon, elle repassait la scène encore et encore dans son esprit troublé. Une voix féminine se fit entendre du bas des escaliers.

— Chérie, nous allons bientôt manger !

— Je prends un bain rapide, maman, je fais au plus vite ! s'exclama Mégane d'une voix tremblante.

Les minutes passaient, il était temps de prendre une décision. Elle laissa choir sa robe de chambre et s'installa dans la baignoire remplie d'eau. D'un geste lent et tremblant, elle attrapa son téléphone et une petite boîte sombre.

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