Chap 2.O - Des premiers contacts - P1

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 De la vie m’entourait. Beaucoup de vie. Trop de vie. Passer subitement d’un monde de mort, avec autant de lumière que le fond d’une grotte et de mouvement qu’un cadavre, à un endroit bruyant et animé avait de quoi m’embrouiller la tête.

 Il y avait cette soudaine et forte clarté qui m’obligeait à garder les yeux plissés presque en permanence, me donnant l’air encore moins aimable que je ne l’aurais cru possible. La chaleur était, elle-aussi, à peine soutenable sous ma trop grosse fourrure, même si celle-ci me protégeait un peu quand je devais sortir de l’ombre des arbres de cette forêt trop clairsemée à mon goût. Au moins, le vent tiède m’aidait un peu.

 Je soufflais toute mon exaspération à chaque pas que je faisais, mais je réussi à trainer ma bedaine jusqu’au gravas du temple. Je n’avais rien compris à où ni quand ce portail m’avait transporté, et ne prendrais certainement pas le temps d’y réfléchir dans ces conditions. Mais si ce type bizarre avait dit la vérité, je devrais pouvoir trouver le gros morceau de cristal au milieu de ce tas de pierre.

 Je fis trois fois le tour de l’amas, au cas où la chance m’avait souri et que le morceau que je cherchai serait visible directement, et surtout pour profiter d’avoir les pieds dans la boue fraîche du lac. Bien sûr, ça aurait été trop simple.

 J’escaladai donc lourdement le monticule. Je fus content de voir que mes griffes perçaient toujours facilement la roche. Je retrouvai approximativement l’entrée du tunnel, visible par un effondrement de son toit, et commençai à marteler, érafler et détruire tout ce que je pus. Je descendis les marches à la force de mes bras, tout en repoussant les quelques éboulements qui venaient gentillement me rappeler que cette construction n’avait plus rien de stable en me tombant sur le coin du museau.

 J’atteignis enfin mon but. Si la grande pièce était encore visible par ses fondations, son sommet n’était plus constituer que de gros cailloux en équilibre les uns contre les autres, tenant par je-ne-sais quelle chance. Malheureusement, aucun objet dans cette salle sombre ne semblait briller. Je retournai bien quelques caillasses à coup de pied violent, mais savait pertinemment que le morceau de cristal était bien trop gros pour se cacher en dessous.

 Il n’y avait rien ici. Pas même un restant du portail lui-même, ou l’une de ses décorations. Absolument rien. Je gueulai à en faire vibrer les murs, puis décidai de quitter cet air vicié. Ma remontée fut si rageusement explosive que je fini en fracassant le mauvais mur, terminant une bonne fois pour toute l’effondrement total du bâtiment. « Ça apprendra à ce type, à dire des conneries pour me faire faire n’importe quoi», pensai-je, presque content de moi.

 Le ciel s’assombrit rapidement, tandis que je retournai à la lisière du bois. L’étoile, qui était pourtant toujours bien haute dans le ciel, se trouva quasi entièrement cachée par une grosse lune, ce qui transforma le jour caniculaire en une pénombre moins chaude, agréable à la fois pour mon corps et mes yeux. Je me dis que ce serait le bon moment pour une sieste. Après tout, je ne savais pas ce qu’il se passait, où j’étais, ni où ce fichu fragment se trouvait, alors à quoi bon se prendre trop la tête ?

 Je m’enfonçai un peu dans la forêt, trouvai un arbre assez épais et feuillu, et étalai ma grosse carcasse à son pied.

 – Eh bien, ma grosse, c’est comme ça que tu fais tes rondes ?

 Une voix forte et aigu me perça les tympans. Ce réveil soudain me fit ronchonner, tourner le dos, et repartir dans ma léthargie. Mais mes signes évidents d’occupation profonde ne semblèrent pas suffire à cette nouvelle venue, qui décida de me taper sur la tête à l’aide du bois de sa lance.

 – Je suis sérieuse ! On est juste à côté, ils peuvent rôder dans le coin s’ils n’ont pas encore été tués. Où est ta…

 – Tu veux bien m’lâcher, râlai-je en me redressant, assis.

 En m’entendant, la lapine qui me faisait face eut un mouvement de recul. Au travers de mes yeux à moitié vitreux, je la vis changer d’expression, passant de l’amusement à l’anxiété. Les siens, d’un vert foncée, me dévisagèrent dans tous mes détails, avant de chercher quelque chose dans les environs. Au milieu de son visage un peu rond, le petit point noir qui lui servait de museau ne cessait de frémir. Elle se passa nerveusement la main à plusieurs reprises dans ses cheveux roses claires, si longs et ébouriffés qu’ils ne cessaient de lui passer devant le regard. Ne trouvant clairement pas ce qu’elle cherchait, elle commença à sautiller d’un pied sur l’autre, faisant des bonds de ses jambes fortes. Sans être famélique, je lui trouvai tout de même un manque de forme et de ventre, que ça fine fourrure brune n’aidait pas à camoufler. Seul un collier de poil autour de son cou semblait duveteux, celui-ci tombant jusqu’entre les deux rondeurs de sa poitrine.

 Je restai là, toujours assoupi, tandis qu’elle se mit à enchainer les questions et les réponses plus vite que je ne pouvais les comprendre :

 – Ca va pas, ça va pas. Pour-Pourquoi est-ce qu’il y a un m-mâle ici ? Il f-fait partie d’une caravane ? Non, pas sur la ligne de front, idiote. Peut-être u-un qui vient d’arriver d’un avant-poste ? Les jeunes sont retirés normalement, et t’es un peu vieux. Il… euh… Tu… tu viens de… d’où ?

 Sa détresse commençait déjà à me prendre la tête. Je me relevai ; elle grimaça. Mes deux tête de plus qu’elle devait y être pour quelque chose.

 – Ecoute, petite, je comprends rien à c’que tu m’veux, bougonnai-je. J’suis pas d’humeur, là, et franchement…

 – Petite ! me coupa-t-elle de sa voix bruyante. Dit donc, mon gros, respecte une guerrière plus mâture que toi !

 – Guerrière ? repris-je avec un demi-sourire. Ok, retourne jouer la grande avec ta lance mal ficelé. J’ai autre…

 Je n’eus pas fini que plusieurs coup de bâton rapide m’atterrirent sur le coin du museau. Je rouspétai d’abord aussi calmement que ma mauvaise humeur le permit, puis lançai toutes les insultes qui me passèrent par la tête en voyant que cette femelle ne cessait pas ses attaques. J’agitai mes bras, voulant me défendre, et cherchai à la repousser. Mes coups, au début plutôt réfréné, prirent autant d’ampleur que ma colère grandissait, et finirent par être lancés de toutes mes forces. Malheureusement, toute la force du monde ne servait à rien si je ne faisais qu’effleurer sa fourrure du bout de mes griffes.

 – Arrête… de me… frapper… sale… petite… agitée… articulai-je à bout de souffle.

 J’avais une fois de plus prononcé le mot interdit. Tandis que je me jetai une fois de plus sur elle, la lapine bondit sur toute ma hauteur, marcha sur mon visage relevé d’une patte, frappa le dos de mon crâne de l’autre, et m’atterrit sur le dos tandis que je m’écrasai magnifiquement à plat ventre. Sonné, épuisé, je n’arrivai même plus à me redresser. Fier d’elle, elle me tapota la tête avec sa main.

 – Alors, mon jeunot, on est calmé ?

 Je marmonnai une réponse à peine audible, mais cela sembla lui suffire pour se relever et me laisser rouler sur le dos pour reprendre mon souffle. Malheureusement, ce moment de calme ne dura pas. Elle recommença à me poser tout un tas de questions incompréhensible ou pour lesquelles je me fichais bien des réponses. Une matrone ? Des gardiennes ? Mon lieu de travail ? Rien de tout ça ne me semblait familier, et j’avais assez de problèmes avec l’autre humain bizarre pour m’ajouter de nouvelles questions.

 – Bon, hey, écoute, peti… euh…

 Elle roula des yeux, puis prit la parole après un silence gênant :

 – Rebbyline. Appelle-moi Rebby. Et toi, grand ?

 – Je… J’en sais rien…

 Ce que j’aurais voulu éviter arriva. S’ensuivit donc une prise de tête avec la lapine pour que je réussisse à m’expliquer. Je préférai passer sous silence les détails les plus bizarres, ne parlant que de mon réveil sans souvenir à côté des ruines et de l’objet que je cherchais. D’abord sceptique, la lapine se laissa convaincre après quelques répétitions de « j’en sais rien » à tout ce qu’elle me demanda, et afficha une compassion un peu trop forte. Au moins, elle me prenait moins la tête, à présent.

 Elle prit finalement des décisions à ma place :

 – Bon, hum, ça serait plus pratique avec un nom, quand même. Orso, ça t’ira bien, je trouve ! En attendant, bien sûr. Il ne me semble pas que l’amnésie fasse partie de la rage du mâle, tu devrais t’en remettre. Bref, tu vas me suivre jusqu’à la ville, où tu seras en sécurité. Si ton pendentif cristallin a été trouvé par une guerrière en patrouille, il y aura été amené et stocké dans la réserve. Il faut se mettre en route tout de suite si on veut arriver demain. Aller, hop, en route ! Avec ça, si elle ne m’accepte pas…

 J’eu beau essayer de reprendre la parole, elle ne s’arrêta pas de donner ses ordres pour autant. Mais puisque je n’avais absolument aucune piste sérieuse pour retrouver le morceau de portail, et si ça m’aidait à avoir un peu de calme, je pris sur moi pour me calmer et la suivre.

 Une douleur soudaine me prit au crâne tandis que je me relevai. Elle était moins forte et plus localisé, mais toujours aussi dérangeante et énervante.

 – Etrange et intéressant, entendis-je faiblement au fond de moi.

 – Tu vas pas recommencer !? grognai-je en l’air.

 Mon raffut brutal alarma Rebby, qui reprit une pose de combat avant de voir que je tenais ma tête entre mes mains. Mon mal s’en alla aussi vite que les autres fois, m’agaçant toujours plus contre moi-même. Je marmonnai quelques mots d’excuse pour avoir faire sursauter la lapine.

 – T’es un mâle du genre expressif on dirait, c’est rare ! dit-elle avec un petit rire et me donnant une tape sur l’épaule. Tiens, mâche ces feuilles, ça t’aidera si tu as mal à ta petite tête. Les mâles et leur besoin de violence. Je parierai que tu t’es tapé…

 Elle parlait tellement que je préférai ne pas pinailler avec elle, et pris ce qu’elle me donna. Elle avait eu bien raison. Si son médicament avait un sale gout amer, il m’aida beaucoup pour le reste de la journée, car à m’entendre mâchonner, je l’entendis moins bavasser, elle.

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