Chap 1.O - Des réveils difficiles - P2

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 J’étais épuisé. Je m’étais allongé, la tête contre la glace froide, soufflant comme un bœuf et les mains complètement rouges. Je n’arrivai plus à bouger un muscle depuis un moment, malgré l’envie persistante de tout réduire en miette.

 Je me relevai tant bien que mal, lentement, et me dirigeai vers la sortie. Je n’avais plus rien à faire ici, puisque mon indésirable hôte ne semblait pas se présenter. Je remontai jusqu’à l’extérieur et me figeai devant le nouvel escalier. Quelque chose n’allait pas ; le décor me sembla différent.

 Ce type se moquait de moi, sans aucun doute. Voilà que le haut du bâtiment, précédemment sur le point de s’effondrer, était à présent complètement propre et reconstruit à neuf. Même les gargouilles brillaient de toute leur laideur. C’était un utilisateur de magie. Un de ces écailleux. Sans me souvenir pourquoi, cette simple pensée fit monter en moi une forte rancœur au point de m’en faire grincer les dents.

 Mes forces et mon haleine reprises, je grimpai les marches quatre à quatre. L’étage suivant était bien éclairé mais toujours aussi vide. Une petite place entourée d’un muret, des coupoles enflammées à ses coins et une nouvelle pyramide plus petite que sa base. Rien d’intéressant, donc.

 Un nouveau tour de maisonnette plus tard, j’entrai dedans. Cet endroit n’avait ni queue ni tête, celui qui vivait ici n’avait aucun sens pratique. Si seulement j’avais été au bout de mes surprises à ce moment-là. Couloirs après couloirs, antichambres après antichambres, pièces après pièces, je m’embrouillai la tête à essayer de comprendre sans y arriver comment ce labyrinthe était formé. Un virage à gauche, deux à droite, et je me retrouvai à nouveau à mon point de départ.

 Une nouvelle fois. Une troisième fois. Je n’arrivai ni à rencontrer quelqu’un pour m’aider à comprendre ce qui n’allait pas avec cet endroit, ni à trouver le moindre objet qui me serait utile pour me sortir d’ici, et je finissais toujours au même endroit.

 Irrité, je décidai de re-décorer l’intérieur à ma façon. Par chance, je sus retrouver un large entrepôt, contenant des équipements trop grands, même pour moi, mais dont l’une des masses d’arme me serait utile. Cet endroit avait besoin de moins de couloirs et plus d’aération. J’avancerai en ligne droite, et uniquement dans cette direction. J’abatis ainsi plusieurs murs assez fin qui me barraient le chemin, et me défoulai joyeusement sur la pierre.

 Puis arriva une cloison qui me résista. Je le pris comme un défi pour commencer, néanmoins, mon sourire s’effaça vite, remplacé par mon irascible impatience. Je m’emportai. Je frappai si fort sur le dernier coup que mon outil de démolition passa au travers, et son poids m’emporta avec lui. Je dégringolai un large escalier et finis à plat ventre sur un palier.

 Un moment d’offense verbale plus tard, j’explorai ma trouvaille. J’étais sur un balcon surplombant de part et d’autre la plus grosse salle de tout l’édifice. Elle prenait probablement tout l’espace du bâtiment intermédiaire. L’endroit était surtout décoré de draperies rouge brodées d’argent et de tissus soyeux, cependant, un symbole récurent confirma ma supposition précédente : une tête de dragonne couronnée.

 Je descendis dans la pièce principale. Celle-ci ressemblait à un long couloir bordé de bon nombre de piliers, et dont le chemin était dessiné par un long tapis sur le sol. Quelle étrange sensation que de marcher sur de la laine. Ces dragonnes vivaient dans un tel luxe qu’elles gaspillaient du tissu juste comme ça. Mais je ne comprenais pas pourquoi la voie ne menait nulle part : si une arche d’entrée décorée était visible, un mur épais la bloquait.

 Le côté opposé de la pièce était plus intéressant. Il y avait, au bout de la moquette, un trône métallique, aux reflets jaune et rose. Si ses formes étaient banales, il se rattrapait bien sur sa taille. Il était si large qu’il aurait fallu trois personnes comme moi pour en remplir le siège, et si haut que quiconque aurait besoin d’un tel dossier n’avait pas besoin d’estrade pour surplomber son audience.

 L’odeur d’air rance laissa alors place à une nouvelle senteur nostalgique. En touchant la froideur de ce siège pompeux, des souvenirs très flous me revinrent en tête. Des souvenirs bizarres et impossibles. J’étais assis ici-même, d’humeur irritable, et donnais des ordres à de vagues plus petites personnes. Plusieurs d’entre elles furent mises à genoux face à moi, tandis que je cherchai leur nom dans le grand livre à côté de moi et qu’on m’apportait une bouteille contenant un liquide brillant d’une lumière bleu tamisée. Je trempai une griffe dans ce mana, puis gravai dans leur chair le même symbole que celui affiché sur le dossier du trône : une épée gardée d’un œil elliptique et d’ailes de dragonne.

 J’étais désorienté. Un mâle en position d’autorité était déjà une idée grotesque, mais me voir utiliser de la magie et ce genre de symbole l’était encore plus. Quelqu’un s’amusait-il encore avec ma tête ? Un doute s’installa tout de même en moi, et ne me lâcha plus. Et si ce lieu m’était plus lié que je ne le pensais ?

 Je remontai en trombe jusqu’à l’étage de vie et repassa dans chacune des salles que je trouvai. Partout où je regardai, maintenant, je voyais ce même symbole. Les armes, les outils, les ustensiles et même les livres étaient tous griffés. L’avais-je mixé dans ma mémoire ? Je ne l’avais pourtant même pas remarqué avant.

 A faire des recherches plus soigneuses, je me rendis compte de l’existence d’un escalier montant vers un second étage que je n’avais pas visité. Je passai donc le dernier coude de ce nouveau corridor et atterrit dans une grande salle carrée. Je cru perdre la boule.

 Il y avait devant moi, au centre de la pièce, la réplique du livre de ma mémoire. A un détail près : la taille absurde de celui que je voyais. Je me souvenais le tenir dans mes mains, et non pouvoir m’en servir de lit double. Pourtant, même sans savoir proprement lire ce qui était écrit, les lettres, les symboles et les chiffres décroissants étaient du même style, dans le même ordre et agissaient de la même façon. Je ne pouvais pas l’avoir imaginé.

 Par le passé, portant le livre avec moi, je réécrivais les lignes selon mon bon vouloir, pour le meilleur ou pour le pire. Ce pouvoir de changer la destinée d’une personne en utilisant son sang donnait la sensation d’être un dieu marchant parmi de simples mortels.

 Non, ça n’allait pas. Rien de tout ça n’avait de sens. Ces pensées ne pouvaient être les miennes. C’était ce livre ; c’était ce lieu. Tout ici cherchait à me rendre fou. Furieux, je sautai à pied joint sur ce livre et arracha frénétiquement tous les morceaux de feuilles qui me passaient sous les griffes. Des lambeaux volèrent dans tous les sens, et recouvrirent presque tout le sol quand j’en eus fini.

 Je repris ma torche et voulus mettre le feu à ces petits bouts de papier, mais rien ne se passa. Encore pire, je vis l’encre disparaitre du fragment que je tenais pour réécrire des pages réapparues du livre. Il restait à sa place, intact.

 J’aurai pu m’enrager. J’aurai pu chercher à tout détruire et lancer mes poings dans tous les sens. A la place, je restai sur place comme un crétin, hypnotisé par ce spectacle, et toujours plus confus. Toute cette magie, tous ces enchantements. Ce feu qui ne me brulait pas et ces évènements qui revenaient dans ma petite tête d’irréfléchi.

 Qu’avais-je fait pour subir tout ça ? Avais-je mérité de finir dans cet enfer magique ? Si j’avais trop bu, je devais avoir décuvé depuis un moment maintenant. Pourtant, J’avais toujours la tête pleine de vide. Quel genre de tourment ces dragonnes me faisaient subir ?

 Puis je me grattai le torse, touchant le trou dans ma fourrure formé par une sale cicatrice. Une blessure aussi grosse devait avoir été grave. Mortelle, même. Si j’étais dans l’autre monde, c’était vraiment décevant. Ce tas de pierres aménagé n’avait rien de grandiose. Et si c’était vraiment l’œuvre d’un dieu, pourquoi me punir en me faisant oublier ce que j’aurais fait ?

 Je passai la main sur la torche. Le feu lécha ma fourrure, embrasa mes poils et s’installa sur toute ma paume. Je serrai les crocs. La douleur était là, bien réelle et bien physique. Je n’étais pas qu’un esprit. Alors pourquoi je ne me consumais pas ?

 Toutes ces réflexions me donnèrent mal au crane. La seule idée qui me vint pour oublier un instant ces tracas fut de retourner sentir l’odeur apaisante du portail. Je me débarrassai donc de mes maux en tapant sur tout ce que je croisai en chemin.

 Je profitai du court passage à l’extérieur pour regarder l’horizon. Peu importe la direction, il n’y avait aucun signe de vie, ni le moindre relief. Rien que cette forêt immobile à perte de vue, seulement coupée à un endroit par un petit filet de fumée. Ce monde était si vide et inutile.

 Je m’assis devant le miroir, les yeux fermés. Je luttai contre mon propre tempérament. Je devais me faire une raison, personne ici ne viendrait bien gentiment m’aider à comprendre ce qu’il m’arrivait. Il me fallait calmement réfléchir à la situation et ces souvenirs bizarres. Je me laissai porter par l’odeur. Quoi que je faisais à la fin, ce n’était ni propre ni paisible, pour m’être réveillé comme je l’avais été. Ma tête avait toujours tendance à tout oublier, surtout avec l’aide de la boisson, mais mon corps gardait toutes les traces.

 Je pensai un long moment sans un bruit, sans succès. Je perdais mon temps et haïs ça. Il m’en fallait plus pour m’aider ; il me fallait mon lieu familier. Je frappai une nouvelle fois contre le verre, et grognai :

 – Dans quoi est-ce que j’me suis fourré ? Aide-moi, bordel ! Laisse-moi rentrer !

 Mais tout ce que mes cris firent furent de m’énerver d’avantage. Une nouvelle rage naquit au fond de moi, une colère plus profonde que celle dont j’avais l’habitude. Une grande noirceur.

 – Enfin présent ; on va pouvoir commencer, dit un homme derrière moi.

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