Chap 1.S - Des réveils difficiles - P2

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 Il reprit la première histoire, bien convaincu maintenant que ce conte était vraisemblable, et atteignit rapidement sa conclusion. Le personnage se trouvait en désarroi, tout au sommet de l’édifice. Il attrapa donc ce journal intime, le glissa sous l’un de ses bras, et se mit en route. Il ne chercha pas à trop observer toutes les salles qu’il traversa, ne voulant pas trop se perdre dans une autre distraction, et atteignit plutôt rapidement le dernier étage. Il ne remarqua même pas le changement d’aspect et le rajeunissement des pierres à mi-parcours.

 Il atterrit d’un dernier saut et passa l’entrée. Il tourna frénétiquement la tête, à la recherche de son interlocuteur potentiel.

 – Salutations ! Il aimerait s’entretenir avec le dragon, s’il lui plait. Ohé ?!

 Mais aucune réponse ne vint. Il fut aussi surpris que la pièce ne soit pas plus éclairée, tandis qu’il avait lu que l’autre personne n’y voyait clair sans flamme. Il fit alors trois fois le tour de la salle, livre en main, s’assurant de n’avoir pas raté de détails. Il n’y avait rien.

 Il se posa et réfléchit. Pourquoi l’histoire s’était-elle arrêtée là ? Pourquoi ne le trouvait-il pas ? Avait-il disparu en cédant au désespoir ? Étaient-ils tous deux biens morts, attendant ici un jugement de leur cœur ? Le registre des âmes tourna l’une de ses pages, attirant son attention et ses pensées. Etait-ce là leur punition, chercher un nom qui leur était inconnu avant que celui-ci ne soit barré ?

 Il laissa échapper son journal. Il ne voulait pas simplement disparaître sans lutter. Il sauta précipitamment sur le livre et se lança dans une analyse de plus. Les noms étaient bien sûr lisible, mais d’aucune utilité. C’était le reste, les suites de lettres et de symboles, qu’il lui fallait comprendre. Regrettablement, il ne trouva rien de ressemblant à des voyelles ou des syllabes cohérentes. Il s’acharna quand même, encore et encore.

 Allongé sous une pile de pages, la tête plus embrouillée que jamais, il soupira. Pas une once d’idée ; pas une once de logique. Aucune interprétation, même des plus incongrues, n’avait fait son chemin jusqu’à ses pensées. Il était défait. Il rampa jusqu’au bord du lutrin, fatigué, et se laissa tomber sur le sol froid. Peut-être son heure viendrait-elle rapidement ?

 Seulement, la patience n’était pas de ses qualités. Il se releva bien vite, reprit nonchalamment son mémoire, et sorti. La fin arriverait bien assez tôt. Il marchait simplement, morose, avançant aussi lentement que sa petite taille lui permettait, et descendant une marche après l’autre. Il passa à coté de diverses pièces propres et entretenues, remplies d’étalages d’outils et d’étranges machineries qu’il regarda d’un œil désintéressé.

 Il se retrouva à l’extérieur, au bord de la grande terrasse. Il observa l’horizon plat, lointain, inatteignable. Il voulut malgré tout s’y essayer à son tour. Les airs pourraient être plus cléments que le sol, après tout.

 Il sauta une fois, deux fois, trois fois, restant un peu plus en l’air à chaque tentative. Puis il se jeta. Chaque battement lui demandant un grand effort. Un douloureux effort. Mais les expériences demandent parfois des sacrifices de soi. Il volait.

 Le vent frais sifflait agréablement à ses oreilles, ébouriffait ses poils, glissait le long de son corps et vibrait au rythme de ses ailes. Il revivait une expérience nouvelle. Il voyait les feuillages défiler sous lui à vive allure. Il se sentait en vie ; il se sentait libre. Il se laissa tellement porter qu’il en oublia son objectif premier. Il ferma les yeux et virevolta. Il montait, descendait, tournait sur lui-même. Il aurait voulu rester ainsi éternellement, mais la réalité le rattrapa.

 Perclus et fatigué, il se plaça en vol stationnaire. Il regarda quelle distance il avait parcouru, et faillit se laisser tomber de surprise. Il n’avait dépassé la lisière de la forêt que de quelques battements d’ailes. Cela n’avait aucun sens.

 Vaincu par ce monde, il retourna sur le balcon du temple, et s’assis à son bord. Il s’énerva, et la forte lumière des flammes se reflétant sur le marbre poli des murs extérieurs l’irritait d’autant plus. Il devait forcément y avoir une raison à sa présence ici. Il ne pouvait en être autrement.

 Son regard descendit sur ses mains. Il tenait toujours inconsciemment le livre sans vraiment y prêter attention. Il serra le poing si fort qu’il faillit percer la couverture, puis le jeta de toutes ses forces, le laissant tomber dans la cour, sale et humide, en contrebas. L’ouvrage atterrit à moitié dans une flaque d’eau. Ce spectacle lui pinça le cœur. Il essaya de détourner le regard, de se changer les idées, mais son instinct pris facilement le dessus. Ce n’était pas une façon de traiter une pièce d’histoire, aussi mineure puisse-t-elle être.

 Il plongea en piqué, récupéra le livre et l’essuya brièvement. Il l’ouvrit pour s’assurer qu’aucune page n’avait été effacée, et fut soulagé de voir que l’encre magique résistait sans problème. Il s’envola même de joie lorsqu’il vit que de nouveaux paragraphes de la patte du dragon étaient apparus. Il revint rapidement à ses sens, cependant. Cela n’était pas possible. Cela n’était pas logique.

 Il remonta aussi vite qu’il put, rentra en trombe et inspecta succinctement chaque salle. Il appela même à plein poumon. La réponse qu’il obtenait à chaque fois n’était que l’écho de sa propre voix. Il n’y avait personne d’autre.

 Il prit une profonde inspiration. Cet endroit ne suivait pas sa rationalité de raisonnement, qu’importe ; peut-être tombera-t-il par hasard sur ces autres personnages. Au demeurant, il se souvint qu’il n’avait pas lu la troisième écriture superposée. Il décida donc de retourner dans la bibliothèque, endroit où il se sentait le plus à l’aise. Il se replaça devant le bureau étroit et se reconcentra sur sa lecture.

 Une fois de plus, il finit avec la tête plus embrouillée qu’il ne l’avait anticipée. Si le dragon avait un langage plutôt quelconque, il était au moins lisible et compréhensible. Ce n’était pas le cas de ce troisième récit. Cet individu était d’une violence et d’une vulgarité à peine supportable pour lui. Même son écriture en était déformée. Il préféra passer outre bien des passages.

 Tout ce qu’il put conclure de sa lecture fut qu’ils étaient bien tous trois bloqués dans ce bâtiment. Ou dans des édifices curieusement similaires, puisqu’aucun détail précisé par les écrits ne semblait se refléter dans sa réalité. Et ces deux compagnons d’infortune semblaient se diriger vers le même endroit à présent.

 Il tourna en rond. Il passait juste d’une pièce à l’autre, bêtement, et finissait toujours par revenir au même endroit. Il n’arrivait pas à tenir en place, mais ne trouvait pas la moindre occupation valable face à ses tourments. Il en venait presque à espérer avoir une nouvelle indication de la voix dans sa tête. Une indication différente. Néanmoins, il avait assez éludé le sentiment qui lui crevait l’âme. Il savait déjà, dans le fond, où la voix voulait qu’il se rende lorsqu’il l’avait vu ; il avait juste cherché à s’occuper l’esprit par tous les moyens qu’il trouvait sur l’instant. Le libre arbitre leur avait été ôté.

 Alors, il était en route. Le plus lentement qu’il put, il descendit, et fit face à l’entrée de la base. Il s’assura avec une dernière brève lecture que ses compères l’avaient franchie, et se rassura au mieux en voyant qu’aucun d’eux n’éprouvait de ressentiment. Il était juste sur les nerfs, sa solitude l’avait rendu paranoïaque, à n’en pas douter. Sûrement. Peut-être. Il se jeta donc à son tour dans la gueule du temple.

 Une odeur rance lui monta instantanément du nez jusqu’au crane. Ce n’était pourtant pas celle-ci qui lui donnait la nausée. Il y avait dans l’air âcre, dans la pierre gâté, dans la végétation moisie et dans l’eau stagnante un effluve qui alertait tous ses sens magiques. Son corps lui disait de rebrousser chemin, mais sa raison était rongé par la curiosité. Ces murs renfermaient quelque chose de puissant. Ou quelqu’un.

 Il arriva enfin tout en bas. Il n’arrivait pas à voler droit, sentait une envie de vomir lui venir, mais avançait tout de même. Il entra dans la grande pièce lumineuse, et se trouva bouche bée devant l’incommensurable miroir. Il leva la tête si rapidement qu’il faillit en tomber à la renverse. Passé la stupeur, il tourna lentement autour, d’abord sur ses petites pattes, puis en une spirale montante. Il contempla bien sûr le paysage, à la fois désolé et chaleureux à son cœur. Un foyer qu’il savait sien, dans une contré sur laquelle il régnait. Toutefois, il n’avait que peu de temps à consacrer à ce bien-être.

 Il analysa chaque parcelle, chaque gravure et surtout chaque cassure. Car ces dernières étaient aussi profondes que des plaies béantes dans l’épaisse glace, et si ses yeux n’y voyaient au travers qu’un décor déformé, son esprit percevait une nécrose qui en coulait de partout. Il fallait réparer ce mal. Il devait réparer ce mal. Si seulement il pouvait traverser le portail, il trouverait de l’aide. Il se laissa retomber lentement.

 – Il n’y arrivera pas seul, se lamenta-t-il. Il a besoin de passer de l’autre côté ! Laisse-moi rentrer !

 Il fit un pas de recul, trébucha, et se retrouva assis sur son derrière. S’il était avéré que ces paroles étaient sorties de sa bouche, il n’était pas assuré de les avoir prononcées consciemment. La douleur et les nausées devaient attaquer sérieusement sa tête ; tant qu’il en finit par la tenir entre ses mains pour se calmer.

 – Enfin présent ; on va pouvoir commencer, dit un homme derrière lui.

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