Le traître

4 minutes de lecture

Le pas décidé, le jeune garçon ondulait dans les rues pavées. Il esquivait avec agilité et finesse les adultes qui défilaient, chargés pour la plupart, portant des caisses de viandes et de légumes frais. C’était son environnement naturel. Un marché vivant et bruyant accompagné d’un mélange d’odeur de nourriture et de fleurs d’été. Le bruit des sabots qui claquent sur la pierre. Des adultes préoccupés par leur quotidien, agacés par la difficulté de leur travail. Lui il naviguait là, le sourire aux lèvres et l’oeil brillant. C’était son terrain de chasse.
Son regard changea lorsqu’il identifia sa proie, il devint plus dur et plus acéré, comme celui d'un rapace. Il se glissa depuis le centre de la rue piétonne vers l’arrière des étales. Hop, en un clignement il s’empara de deux tomates à l’allure juteuse. Le marchand était trop occupé à attirer les passants et ne réalisa même pas que le jeune garçon s’était également saisi d’une poignée de bâtonnets de viande séchée. La poche pleine à craquer, il repartit aussi vite qu’il était arrivé.

Trop facile pensa-t-il. A force de pratique, chaparder était devenu si naturel pour lui, comme respirer. Il avait commencé par nécessité, mais il y avait pris gout avec le temps. Ce n’était pas le seul enfant des rues à avoir recours au vol, même s‘il y avait d’autres méthodes pour survivre. Des méthodes parfois bien moins dignes. La différence avec les autres voleurs c’est que lui agissait seul. Être en groupe ne ferait que le ralentir, il perdrait en discrétion, il risquerait même de se faire attraper et ça c’était hors de question.

En entrant dans une ruelle excentrée du marché, l’atmosphère se fit plus froide. La proximité des bâtiments donnait à la petite rue une allure lugubre, les rayons du soleil ne descendaient pas jusque là. Le capharnaüm du marché paraissait déjà loin. Le garçon profita du calme nouveau pour profiter de son butin, une tomate bien rouge, et croqua dedans. Le jus éclata et lui redonna des forces. Lorsqu’il releva le regard il n’était plus seul dans la petite rue.

Trois gamins de son âge environ se dressaient devant lui. Un plutôt costaud et deux plus frêles. Le premier commença :

  • « Tu partagerais pas ton butin avec nous dis moi ? » Un grand sourire lui fendait le visage. Il se tenait droit, le buste en avant. Le poing serré autour d’un long bâton en bois bruni par le temps. Il serrait son arme si fort que ses phalanges viraient au blanc.
  • « Pas cette fois-ci Greg. » Le chapardeur ne se laissa pas impressionner, il n’était pas armé et en sous nombre mais il connaissait bien Greg. Au moindre signe de faiblesse, il fondrait sur lui comme un prédateur affamé. Il fallait faire preuve de caractère.
  • « Pas cette fois-ci, ni la fois d’avant d’ailleurs. Tu te la joues solitaire pendant que nous on crève de faim. » Greg fit un pas en avant et monta d’un ton. « Tu le sais n’est-ce pas ? Ça ne peut pas continuer comme ça. Tôt ou tard il faudra choisir un camp. Ici c’est chez nous, c’est le territoire du Groupe. » Dit-il avec emphase sur le dernier mot. Ses acolytes acquiescèrent en coeur.

La bande avança vers lui, ils n’étaient maintenant plus qu’à quelques bras de distance du chapardeur. C’est alors qu’il aperçut un quatrième enfant en retrait jusqu’à maintenant, une fille.

Greg remarqua la surprise dans le regard du garçon et lança :

  • « Eléonore, laisse-moi te présenter Keller, le paria, le traitre du Groupe, le loup solitaire. »

Keller grinça des dents. Paria ? Traitre ? C’est lui qu’on avait trahi et pas l’inverse. Il était bien au courant de sa réputation parmi les enfants des rues de ce côté de la ville et il n’en avait que faire la plupart du temps. Mais que l’on parle de lui comme d’un traitre le mettait hors de lui. Il avait tout donné pour le Groupe, il avait tout sacrifié, et à quoi avait-il eu droit en retour ?

La fille le tira de ses pensées. Il réalisa la maigreur de son corps, ses os étaient visibles à travers sa fine couche de peau blanche. Ses cheveux blonds retombaient sur ses joues pâles et creusées. Malgré la faiblesse de sa constitution, ses deux yeux d’un bleu si clair qu’ils paraissaient gris lui donnaient de l’allure. Son regard plein de vie le transperça, comme une tempête, comme un ciel d’orage que rien n’arrête.

C’est alors que Keller porta sa main à sa poche. Greg et le reste de la bande se mirent sur la défensive. Un projectile fendit l’air en direction du visage de la brute. D’un geste vif ce dernier intercepta le lancé avant l’impact. Greg toisa ce qu’il avait entre les mains, une poche difforme qui pesait son poids. En l’ouvrant il découvrit avec surprise qu’elle était pleine de provisions. Avant que chacun ne puisse réagir Keller prit la parole :

  • « Juste pour cette fois alors. Je ne chasse pas pour vous. Le Groupe n’a qu’à trouver quelqu’un d’autre à sacrifier, moi j’ai déjà donné. »

Il échangea un dernier regard avec la fille. Il dût lutter pour ne pas s’y perdre. Elle était nouvelle. Elle ne venait pas de la rue, il ne la connaissait pas. Ce qui veut dire qu’elle n’était pas encore habituée à la dureté de la vie d’enfant de gouttière. Ses premiers pas étaient déterminants pour son avenir. Elle devra apprendre à se faire respecter, sinon... Le garçon frissonna. Pour l’instant elle était dans la bande à Greg, c’était une brute mais au fond il avait bon coeur. Keller le savait. Il leur tourna le dos et lança enfin :

  • « Faites attention à vous. » Avant de s’en aller par là où il était arrivé.

Il entendit Greg pouffer de rire et lui dire :

  • « Parle pour toi Keller ! Tu sais où me trouver si tu changes d’avis ! »

Keller était déjà loin mais il esquissa un sourire en coin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Victor Martin Nguyen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0