Lettre berlinoise

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Mon très cher, aimé mari,

J’ai une nouvelle que moi seule peut t’annoncer.

Tu te souviens de mes précédentes lettres, si tu les as reçues. Je t’y racontais Berlin sous les décombres. Les Berlinois dans les caves ou le métro. Abandonnés de tous sous le feu incessant des canons et des bombardements. Notre fils adoré, si jeune, envoyé se battre avec tous ces enfants et  adolescents… Et ces hommes si vieux et malades. En ultime rempart contre l’invasion bolchevik. Comment les femmes sont restées uniques habitantes de la ville. Et comme nous avions peur de ces hommes fantasmés en démons, la bave aux lèvres, armés pour toutes nous passer par le fil d’une épée imaginaire. L’opération « terre brûlée ». Les « orgues de Staline ». Tu te souviens ? C’était il y a quelques semaines qui  nous ont parues toute une vie à nous, femmes terrées qui devions survivre. Les maladies, la faim, la terreur… Hitler s’est donné la mort, tu l’as su ?

Notre immeuble a tenu le coup, il est debout, les fenêtres soufflées, le toit éventré mais debout. On nous a volé notre porte d’entrée. Chacun peut entrer et sortir librement dans notre appartement.

J’avais entendu des rumeurs de femmes maltraitées par les soldats de l’Armée Rouge. Rumeurs, rumeurs, celle-ci comme d’autres. Notre monde est fait de rumeurs et seul nous importe de trouver du pain. Il paraîtrait qu’aucune femme ne les rebute. Agée, jeune, belle ou laide, propre ou roulée dans la fange…

Ils sont entrés un soir. On aurait dit des gamins, le sourire aux lèvres. J’ai repris connaissance sur le carrelage de la cuisine, une immense douleur au ventre.

Ne sommes-nous pas déjà humiliées qu’il faille nous faire subir cela, en plus ?

Mon amour, mon aimé, j’ai savouré chaque instant passé en ta compagnie, puis j’ai tremblé pour toi chaque instant de ton absence. Comme je prie chaque jour pour notre Hans.

J’aurais pu tout subir. Tout ce que la guerre apporte de fléaux et de désastres. J’aurais reconstruit Berlin. Je m’en sentais le courage. Aujourd’hui, je ne peux plus. Ils vont revenir. Il parait qu’ils reviennent toujours auprès de leur proie. Ils me trouveront les pieds nus flottant à vingt centimètres du sol.

Quand tu rentreras, je ne serai pas là pour t’accueillir.

Je t’embrasse tendrement.

Ta femme qui n’a pas failli.


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