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Maïeul observe longuement Archibald, de la tête aux genoux : il ne pousse pas son inspection plus avant, car il remarque le pansement sur son genou gauche, et le rouge qui en dépasse très clairement. D'abord, il plisse les yeux, pour être sûr de ce qu'il croit voir. Puis il fronce les sourcils, décontenancé. Enfin, il éclate de rire. Archibald fait un bond de frayeur en lui lançant un regard noir teinté d'incompréhension plus que de colère.

— Tu as choisi le pansement de Sam dans les Totally spies, sérieusement ‽ T'aurais pas pu choisir Hamtaro ou Inspecteur Gadjet ou Corneil et Bernie, ou je sais pas, moi ‽

— Arrêêêêêête ! Elle est grave badass Sam ! Elle est comme moi, merveilleusement belle et intelligente !

— Ah, et depuis quand es-tu merveilleusement belle et intelligente, Bald ? Non, vraiment, j'ai pas reçu le mémo !

— Han t'es con ! Tu sais très bien ce que je voulais dire ! s'exclame-t-il avant de reprendre plus bas, en se penchant vers Maïeul. Ça t'a bien rendu service, que je joue au gamin de quatorze ans aussi immature qu'un mioche de six ans pour faire diversion... Pourquoi tu voulais être tout seul ? Tu t'es pas mis dans une sale histoire, hein ?

Le ton d'Archibald perd en légèreté, et une moue inquiète déforme son visage : en cet instant précis, on sait qu'il n'est pas le gamin puéril qu'il a joué plus tôt, et le poids du monde semble peser sur ses épaules. Dans ses yeux, Maïeul a l'impression de se voir lui, plus jeune, quand il faisait tout pour que son père le punisse, comme il l'aurait fait avant la mort tragique de son épouse. À cette période, il était vraiment sur une pente savonneuse... si savonneuse qu'il s'y était pété la gueule et avait failli passer l'arme à gauche.

Maïeul est soudain triste pour Archibald, et furieux contre lui-même. Pour commencer, son petit frère avait semblé grandir subitement à la mort de leur mère, alors que lui semblait avoir régressé et refusait de grandir sans figure maternelle. Il aurait dû simplement avoir à gérer son deuil, mais il avait été là, avec leur père, pour l'aider à se sortir du pétrin dans lequel il s'était fourré. Et quelques mois après avoir perdu sa mère, il avait failli perdre son grand frère : il ne s'en serait pas relevé, Maïeul en avait la certitude, là, tout de suite, en plongeant dans les méandres de l'âme apeurée d'Archibald, par le biais de ses magnifiques yeux verts.

— Je n'ai rien fait de mal, je te le jure... J'ai... Je... Tu... Elle... Oh, et puis merde ! Tu crois au coup de foudre ? Je crois que... Je la connais pas, mais... je la connais par cœur... C'est si indescriptible ! Elle occuperait encore cette chambre si la fenêtre n'était pas cassée, et je voulais la voir...

Archibald semble à la fois perturbé et rassuré. L'amour. Ce n'est que ça. Mais alors pourquoi a-t-il la sensation que non, justement, ce n'est pas que ça ?

— Elle s'appelle comment, l'heureuse élue ?

— Myranda... avec un y, pas avec un i, ne peut s'empêcher de préciser Maïeul avec un petit sourire amusé empreint de nostalgie.

— Et donc tu veux être tout seul ici parce que... ?

— C'est sa chambre, triple buse ! souffle Maïeul en levant les yeux au ciel et les bras en l'air en signe d'exaspération. Tu veux que j'foute quoi ici, sinon ‽

— Tu fouillais dans ses dessous ? Ils sont sexys ? demande Archibald, taquin. Elle est où, ta fameuse Myranda ? Elle est jolie ? s'emballe-t-il ensuite.

— Chhhhhhhhhhhhh tu vas alerter son père ! Il sait pas que je la connais ! J'étais passé par la fenêtre pour récupérer notre ballon quand tu est parti comme une poule mouillée !

Archibald attend en l'observant fixement, les bras croisés, un sourire qui l'invite à lui répondre sur le visage.

— Oui, elle est très jolie... concède Maïeul en rougissant. Mais dis-moi comment tu as su que je voulais être seul ? T'es allé jusqu'à te blesser pour m'aider, sérieux, tu y vas fort ! J'ai flippé ma race !

Archibald passe sa main gauche derrière sa tête, puis le long de sa nuque avec un grand sourire, l'air gêné.

— Bah en fait, pour tout te dire... J'ai absolument pas fait exprès de me vautrer. Je réfléchissais à un moyen de faire diversion pour t'aider et j'étais distrait quand tu as tribuché (il prononce le mot avec difficulté) donc je me suis ramassé. Je me suis dit que le malheur de l'un fait le bonheur de l'autre et j'ai sauté sur l'occasion. Je t'ai fait un clin d'œil pour que tu comprennes. Une fois devant l'armoire à phramacie (il bute sur le mot, comme très souvent) j'ai fait mon cinéma pour choisir un pansement. Je disais non à tout pour te donner le plus de temps possible. Mais j'ai jamais pu résister à Sam alors... Tu as pu la voir ? Je pourrai la rencontrer la prochaine fois ? C'est trop cool : Maille qui Maïeul est amoureuuuuux !

— Non mais ça va oui ‽ Tu veux pas un clairon non plus ‽ Il t'ont pas entendu en Uruguay ! s'agace Maïeul en plaquant précipitamment sa main contre la bouche d'Archibald.

Archibald s'amuse à se débattre pour dire haut et fort que Maïeul est amoureux, et sans qu'ils ne s'en rendent compte, ce moment de complicité et de confidences entre frères tourne au jeu.

Du coin de l'œil, alors qu'ils se chamaillent gentiment depuis quelques minutes en riant aux éclats, Maïeul remarque le père de Myranda sur le pas de la porte, l'air attendri. Il lui est impossible de dire depuis quand il les observe de la sorte, mais Maïeul annonce à Archibald qu'ils ne sont plus seuls, et qu'ils joueront quand ils seront retournés chez leurs grands-parents.

— On va vous laisser, Monsieur... Poirier ? Non attendez, c'est pas ça... J'ai lu quoi sur la sonnette ? Purée... Prunier... PERRIER ! MONSIEUR PERRIER !

Archibald donne un coup de coude dans la hanche de Maïeul, qui se retourne vers lui. Il lui fait les gros yeux en pensant très fort : ARRÊTE DE BRAILLER TU FAIS FLIPER !

— Humhum... Ouais, pardon... On va vous laisser, Monsieur Perrier, nous avons assez abusé de votre temps et de votre gentillesse. On sera là demain à neuf heures pétantes pour vous aider !

— Vous êtes de biens adorables petits monstres, les enfants. Vous avez votre ballon ? Ne l'oubliez pas, surtout, ça serait dommage de ne pas pouvoir jouer avec. Je me suis éternisé un peu : vos grands-parents doivent s'inquiéter. Dites bien à Mémé Coco que je la remercie du fond du cœur pour sa tarte : elles sont toujours excellentes et tout le monde en raffole dans la famille !

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