1. Bienvenue à bord

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Mardi 16 Octobre. Il est 13h37. Dans très exactement 12 minutes et 33 secondes, l’embarquement pour le vol Paris – Montréal va commencer.

Dans la salle d’embarquement, les passagers commencent à s’agiter. L’un sort son passeport, l’autre range son livre, un troisième remet ses écouteurs, quant à la jeune fille au fond, le tremblement de ses pieds témoigne du stress qui l’envahit de plus en plus.

Elle s’appelle Margaux. Aujourd’hui elle fête ses 20 ans et pour la première fois, elle va prendre l’avion. Elle doit retrouver sa sœur Judith partie habiter dans les contrées québécoises, pour fêter son anniversaire. Ce sont ses parents qui lui ont offert le billet d’avion. C’était son rêve. Mais là tout de suite, l’idée de monter dans un énorme engin de ferraille de plusieurs tonnes censé s’élever dans les airs à plus de 900 km/h la tétanise. Bien sûr, elle a lu tout un tas d’articles démontrant par a+b que l’avion est le moyen le plus sûr de voyager... Mais elle ne peut s’empêcher d’imaginer tout un tas de scénarios catastrophes.

À côté d’elle se trouve Fabrice, un quadragénaire qui passe en revue ses mails une dernière fois. Il a l’habitude de l’avion : il le prend au minimum 2 fois par semaine. Un jour à Tokyo, le lendemain à Rio, Montréal, Barcelone, Sydney, ... Il est cadre commercial dans une grande entreprise. Marié puis divorcé, puis remarié à nouveau, il est aussi le papa de 2 garçons de 7 et 10 ans. Fabrice déteste son travail, il s’était juré de le quitter à la naissance de son deuxième enfant... et puis le temps a passé et maintenant entre la routine et la sécurité de l’emploi, il prend sur lui en se disant que « ça va, j’ai la chance d’avoir un job qui paye bien, je ne vais pas me plaindre non plus ».

Deux sièges devant se trouve Léon. Pour lui c’est le grand retour dans son pays natal. Après 4 ans passés en France loin de sa famille, il vient de terminer ses études et s’apprête à décrocher un premier job non loin de Montréal. Il a hâte ! Les adieux avec ses amis français ont été difficiles, mais il sait que sa vie est au Québec. Il aime l’ambiance des aéroports avec tous ces gens partagés entre le stress d’un nouveau départ, la hâte des retrouvailles ou la fougue des jeunes qui partent pour leur premier voyage.

Le stress du nouveau départ, c’est l’état actuel de Sarah. À 32 ans elle part pour une nouvelle vie. Accompagnée de sa fille Nina, 4 ans, elle a fui son ex-mari violent. Après plusieurs années à se taire, il y a quelques mois, elle a osé franchir les portes du commissariat pour déposer plainte et mettre un terme à ces violences. Aujourd’hui, c’est le grand jour : le premier jour du reste de sa vie.

« Les passagers du vol AF-356 à destination de Montréal sont invités à se présenter porte 4. L’embarquement peut débuter. Nous appelons tout d’abord les passagers du groupe A ainsi que les passagers avec de jeunes enfants et handicapés. »

Olivier s’avance. C’est le seul passager en fauteuil roulant aujourd’hui. À la suite d’un accident de voiture, il a tout perdu : l’usage de ses jambes, mais surtout sa femme Maria décédée dans l’accident. Mais aujourd’hui, il a de l’espoir. Un grand hôpital de Montréal l’a sélectionné pour un programme pilote qui pourrait lui permettre de remarcher.

Il s’avance, scanne son passeport et son billet et monte dans l’avion.

Dans l’avion, il y a les 7 hôtesses de l’air et stewards. Parmi eux, Lou et Camille. C’est la première fois qu’elles volent ensemble. Il y a une heure et demie, Lou a quitté son mari Jérémy et sa toute petite fille de 5 mois, Lucie. C’est son premier vol depuis son congé maternité. La hâte se mêle à un léger stress. Et si elle avait oublié les gestes de secours ou les règles de sécurité ? Non impossible, elle a tout révisé cent fois ces derniers jours et cela fait des années qu’elle est hôtesse de l’air. Ce métier a toujours été une vocation pour elle.

Camille la trentaine, n’est pas mariée. Même pas un petit ami à l’horizon. Sa vie c’est l’avion : c’est le seul endroit où elle se sent bien... entre ciel et terre, entre deux pays.

Elle aime le moment de l’embarquement des passagers : c’est là qu’elle repère ceux qui vont l’embêter un peu plus que d’autres, ceux qui sont stressés et qu’il va falloir rassurer ou encore ceux qui ont un peu abusé des bars de l’aéroport.

Justement, elle repère assez vite Sandro. La vingtaine, un regard ténébreux et la peau bronzée comme s’il revenait de vacances sur une île au soleil. Il est beau et il le sait. Il essaye de draguer sa jeune voisine mais visiblement elle n’a pas l’air réceptive. Cela fait rire Camille, car elle sait à l’avance que la jeune fille finira par être excédée et demandera à changer de siège.

En attendant, elle aide Mathéo 7 ans, un jeune UM[1] à ranger sa valise dans le coffre à bagage et à se préparer au décollage. Le jeune garçon a l’habitude de voyager seul. Entre un papa à Paris et une maman à Montréal, à chaque vacance, il traverse l’océan pour retrouver sa deuxième vie. Cela fait déjà 3 ans que c’est comme ça.

A côté de lui se trouve Colette, une petite mamie toute de rose vêtue qui part retrouver son fils qui vient d’avoir un bébé. Elle sent bon la violette et porte un grand collier en argent avec un cœur.

L’avion commence à rouler sur la piste, le commandant de bord Antoine, vient de prévenir les passagers que le décollage était imminent. Margaux serre ses mains sur les accoudoirs. Maintenant elle ne peut plus reculer : l’avion va décoller. Il accélère et elle sent tout son corps qui s’enfonce dans le siège. Et soudain, une sensation d’élévation : ça y est, elle ne touche plus terre. L’avion tourne un peu, elle a l’impression que son corps ne suit pas tout à fait. Elle a un peu la tête qui tourne. Elle ferme les yeux, se concentre sur les mouvements de l’avion, les bruits, les gens qui parlent tranquillement, ceux qui ronflent déjà (sérieusement ?!), les hôtesses et stewards qui s’activent dans les galleys. Elle est rassurée.

Le début du vol se passe bien, Julio un steward italien venu en France pour le travail termine la première distribution des repas. Aujourd’hui, aucun passager n’a fait d’histoire pour les menus. Il s’apprête maintenant à profiter de quelques minutes pour s’asseoir et se reposer. Il retrouve Anna. Exténuée, la jeune femme enchaîne les vols plus qu’elle ne le voudrait. C’est son premier emploi en tant qu’hôtesse de l’air et elle n’imaginait pas que ce serait si fatigant. À tout juste 22 ans, entre le décalage horaire et les horaires variables, elle peine à trouver un nouveau rythme de vie. Mais elle est heureuse, ah ça oui ! Elle a travaillé dur pour avoir cette place et elle ne renoncerait pour rien au monde ! Elle a juste hâte de profiter de ces quelques minutes pour fermer les yeux un petit peu. En espérant que les passagers lui laissent un peu de répit.

[1] UM : Unaccompagnied Minor (Mineur non accompagné).

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