Chapitre 22

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Avril découvrit deux yeux de givre qui la fixaient lorsqu’elle se réveilla. Elle mit du temps avant de se rappeler les évènements de la veille et l’endroit où elle se trouvait.

— T’es réveillée, là ? demanda Ronan.

— Je crois, répondit-elle en l’enlaçant. Fais-moi un câlin.

— J’ai vu un écureuil pendant que tu dormais, déclara Ronan en se lovant contre sa sœur. On voit tout ici !

Avril se tourna vers la fenêtre qui occupait une partie du mur, à sa gauche. La pluie avait cessée mais le ciel demeurait parsemé de nuages. Les gouttes d’eau s’accrochaient aux branches des arbres, luttant contre la gravité. Dans la pièce, les affaires de Tim étaient éparpillées par terre.

— Avril ? Qu’est-ce qu’on fait là ?

— Je me suis dit qu’on serait mieux ici, non ? Pour quelque temps en tout cas.

— Ça veut dire qu’on rentre plus à la maison ? s’enthousiasma le petit garçon.

— Pas tout de suite.

En fait, Avril ne savait absolument pas comment procéder. Maintenant que l’adrénaline était retombée, elle se demandait ce qui avait bien pu lui passer par la tête. Son beau-père devait déjà avoir appelé la police et s’Il les retrouvait, Il ne les accueillerait certainement pas à bras ouverts. D’un autre côté, elle se sentait bien ici. Et Ronan avait l’air content.

— Avril ?

— Quoi ?

— J’ai faim.

— Viens, on va petit-déjeuner, annonça-t-elle en souriant.

Ils descendirent dans la cuisine après s’être habillés. Leurs amis étaient déjà attablés et leur adressèrent des bonjours endormis. Pendant qu’ils mangeaient en silence, Avril et Tim échangeaient des regards, se remémorant la soirée de la veille avant qu’elle ne dérape. Une fois la table débarrassée, Tim monta récupérer ses affaires dans sa chambre pendant qu’Etienne sortit promener le chien et qu’Hippolyte s’empressa d’aller montrer le grenier à Ronan.

— Il y a de la pommade dans le placard de la salle de bain si tu veux, déclara Raphaëlle la tête dans le lave-vaisselle. Et de l’aspirine aussi.

— Merci, murmura Avril.

Elle monta les escaliers et se déshabilla dans la salle de bain. Son œil et sa lèvre avaient dégonflés mais la douleur persistait. Ses jambes étaient couvertes de bleus et un large hématome s’étendait sur ses côtes. Elle attrapa le tube de pommade et en appliqua sur chacune de ses marques.

Dans son dos, une ecchymose s’étalait sur son omoplate droite et un cercle noir recouvrait le bas de son dos. Elle tenta d’y appliquer de la pommade, mais il lui fallait placer ses bras endoloris dans une position inconfortable et douloureuse pour atteindre ces blessures.

— Tu as besoin de quelque chose ? demanda Raphaëlle de l’autre côté de la porte.

— Non, merci.

Les pas de Raphaëlle s’éloignèrent dans le couloir avant qu’Avril ne la rappelle.

— Attends ! J’arrive pas à… Je veux dire… Tu veux bien m’aider ?

— Je peux entrer ?

Avril enfila rapidement son pantalon avant de déverrouiller le verrou. Raphaëlle pénétra dans la pièce et se retrouva devant son amie, les bras croisés sur son soutien-gorge, tentant de cacher le plus de bouts de peau amochée possible.

— J’arrive pas à mettre la pommade dans mon dos, murmura Avril, gênée.

Raphaëlle lui prit délicatement le tube des mains et s’assit sur la baignoire, derrière Avril. Elle posa ses mains sur son dos et sentit les muscles de la jeune fille se crisper à son contact. Elle attendit qu’elle se détende avant d’étaler la crème, caressant doucement la peau meurtrie, lui rappelant la saveur de la douceur après la haine, comme le soleil qui réchauffe les cœurs après la tempête.

— C’est bien que tu sois partie.

— Je sais pas, soupira Avril. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

— C’est normal que tu doutes, la rassura Raphaëlle. Dans ces moments-là, tu dois te rappeler ce qui t’a poussée à prendre cette décision.

Avril réfléchit en silence pendant que Raphaëlle fermait le tube de pommade pour le ranger dans le placard. Elle en sortit une boîte de comprimés et en prit un qu’elle tendit à Avril.

— Pour Ronan. Je ne pouvais plus rester. C’était trop dangereux.

Raphaëlle leva la tête et regarda son amie dans les yeux. Une pointe de fierté brillait dans ses pupilles en entendant ces mots.

— J’ai cru le protéger pendant cinq ans. Mais c’était le contraire. Je le mettais en danger. Je veux pas finir comme ma mère.

— Ça n’arrivera pas.

Elles restèrent immobiles, se dévisageant en silence, reliées par un petit comprimé blanc. Leurs bouches étaient étirées en de larges sourires tandis qu’elles s’installaient un peu plus confortablement dans le cœur de l’autre.

— C’est de l’aspirine, ça fera passer la douleur.

Avril avala le comprimé et remit son pull avant de suivre son amie dans le couloir. Elles croisèrent Hippolyte qui aidait Ronan à descendre l’échelle du grenier.

— On a retrouvé un vieux Pictionary dans le grenier, annonça le jeune homme.

— C’est vrai ? On y jouait tout le temps avec mes grands-parents et Etienne.

— Tous au salon, c’est l’heure de jouer !

Tim les rejoignit au rez-de-chaussée en même temps qu’Etienne qui rentrait avec Bidouille. Ils passèrent la matinée à dessiner diverses expressions, riant devant les esquisses inachevées. L’équipe d’Avril, Hippolyte et Tim l’emporta haut la main et Hippolyte passa le déjeuner à taquiner sa copine.

— Avril, t’as pris Le Petit Prince ? demanda Ronan au dessert.

Elle avoua l’avoir laissé sur la table de chevet, oublié dans la précipitation.

— Je peux te prêter le mien si tu veux, proposa Etienne au petit garçon.

— C’est vrai ? Tu l’as ?

— Oui. C’est mon grand-père qui me l’avait offert, mais je l’ai toujours laissé ici. Il est dans la bibliothèque du grenier je crois.

— Merci !

Avril sourit, réjouie de voir la carapace d’Etienne s’effriter petit à petit. Ronan s’installa sur le canapé après le repas et demanda à Etienne de lui lire l’histoire. Avril s’adossa au mur du couloir et écouta la douce voix du jeune homme parler d’astéroïdes, de roses et de moutons.

Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde…

Au-dehors, la pluie se remit à tomber mais personne ne sembla y prêter attention dans la maison. Le monde extérieur ne leur était d’aucune importance. L’air qu’ils respiraient était chargé de gaieté et d’apaisement.

À la tombée de la nuit, une fois Ronan couché, ils branchèrent la télévision et se pelotonnèrent sur le canapé. Raphaëlle glissa une vieille cassette dans le lecteur et deux lettres violettes s’affichèrent sur l’écran, sur fond de musique spatiale.

— Allez, c’est reparti pour un tour ! s’exclama Tim, faussement agacé.

— Il faut qu’Avril le voie, répliqua Raphaëlle. Rien ne t’oblige à rester.

— Mais tu auras tout le temps de lui montrer ! Elle ne part pas demain, peut-être jamais d’ailleurs.

Etienne s’enfonça un peu plus contre le dossier, le visage fermé.

— J’arrive pas à croire que cette cassette marche encore, s’extasia Hippolyte.

— Heureusement, soupira Raphaëlle, j’ai oublié le DVD.

— Je reviens, j’ai un coup de fil à passer, déclara Etienne en sortant de la pièce.

— E.T. téléphone, maison, lança Hippolyte en s’esclaffant.

Avril passa la soirée dans les années 80 en présence d’un petit extra-terrestre et d’acteurs à la bouille enfantine. Elle en vint même à oublier qu’elle s’était enfuie et qu’elle n’avait plus de foyer. En fait, elle avait plutôt l’impression d’en avoir enfin trouvé un.

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