04 — Xavier Grindberg

11 minutes de lecture

Brookline Massachusetts - 13 Mars 2032


    Xavier observe les robots qui gardent la zone active de Brookline. Cela fait trois nuits qu’il espionne les déplacements programmés de cette soldatesque mécanique. Il attend patiemment la « variante » qui lui permettra de planifier l’instant ou il pourra passer sans danger le grillage qui l’empêche de rentrer à la maison.

    La « variante », c’est le changement aléatoire, qui rend théoriquement imprévisibles les déplacements de ces automates. Mais Xavier connaît bien les limites de cette imprévisibilité. Pour contrecarrer les mouvements de troupes désordonnés et erratiques, les variantes doivent être espacées de 45 minutes au minimum. Une fois cette variante achevée, Xavier pourra compter sur la régularité de la patrouille durant ce laps de temps. Plus de temps qu’il en faut pour lui permettre de passer le grillage hors de portée des senseurs de ces factionnaires de métal.

    Si Xavier connaît si bien le fonctionnement de ces robots, c’est parce qu’il a travaillé sur leur programmation. La troupe composée de deux chenillettes « Forest P 10 » et d’un quadripode « Centaur P 20 » doit une bonne partie de leur intelligence artificielle à l’intervention de Xavier.

    Il y a quelques jours, Xavier Grindberg était un Cyberpsy. L’un des meilleurs développeurs d’intelligence artificielle de la Detroit Robotic Corporation. L’analyste ultime des formes de pensées quantiques. Celui qui n’a pas besoin de faire allonger son patient électronique sur le canapé virtuel d’un banc de test algorithmique pendant des heures, pour trouver la cause de son dysfonctionnement electro cortical. Personne n’est plus virtuose que Xavier pour redresser la logique informatique de ces machines qui semblent parfois avoir perdues toute raison. Il joue alors une mélodie staccatoviste, ses doigts survolant le clavier de son ordinateur, tandis que le robot retrouve peu à peu ses esprits, avant d’être déclaré bon pour le service.

    La DRC était fière de posséder un tel talent et n’avait a priori aucune raison de s’en séparer. Pourtant, il y a quelques jours, une dizaine de policiers humains étaient venus chercher Xavier à son poste de travail à Boston pour l’arrêter. La loi nord-américaine est très claire : « Un nouveau chômeur n’ayant ni femme et ni enfants doit-être relocalisé immédiatement dans la zone d’urgence la plus proche. » Xavier a donc été raccompagné, manu militari, menottes aux poignets, vers Newton à quelques kilomètres de sa maison de Brookline maintenant devenue inaccessible. C’est de cette façon qu’il a appris qu’il était viré.

    Xavier avait beau chercher dans ses souvenirs la raison de cette brusque disgrâce, il ne trouvait rien. Les dernières tâches qui lui avaient été assignées étaient cruciales pour son employeur et il s’en était acquitté avec succès.

    La DRC devait fournir, dans le cadre d’un contrat pour la défense, des versions modifiées pour un usage militaire de leurs robots policiers. Ces robots seraient destinés à patrouiller le long du « mur du sud » pour repousser les incursions des réfugiés climatiques. Pour respecter ce contrat, Xavier avait lutté pendant plusieurs semaines contre les lois d’Asimov implantées dans le bios des machines civiles produites par la DRC. Seules les mécaniques militaires sont dépourvues de ces garde-fous logiciels qui empêchent les automates de recourir à toute forme de violence pouvant entraîner la mort. Vous n’allez pas demander à une tourelle de mitrailleuses ou à un blindé tactique de respecter la vie humaine n’est-ce pas ?

    Pour arriver à contourner cette protection, Xavier avait dû employer toute sorte de subterfuges logiques. Il devait éviter que ces robots deviennent fous ou qu’ils fassent fondre leur cerveau lorsqu’ils recevront l’ordre de tirer sur des humains. La tâche était compliquée, mais, au bout de quelques semaines, les intelligences électroniques des futures versions militaires des Chenillettes Forest et Dune M 20, des Quadripodes Centaur M 80 et des robots bipèdes Xwat M 50, étaient prêtes pour la fabrication en série. Après un tel succès, Xavier s’attendait à une revalorisation de son statut ou de son salaire, pas à être limogé sans explication. Décidément, il ne comprend pas la raison de son éviction.

    Perdre son emploi, en ces jours de l’année 2032, est telle une malédiction funeste. Il est quasiment impossible pour un chômeur de retrouver un travail. D’autant plus quand ses compétences concernant l’informatique il habite Newton une de ces zones d’urgence sinistrées technologiquement. S’il veut avoir une chance de se tirer de cette mauvaise passe, il doit agir rapidement.

    Si la DRC ne semble plus intéressée par ses capacités, Xavier est sûr que leurs concurrent direct, le consortium NORIIST lui ouvrira ses portes. Xavier est à la fois le résultat d’une éducation d’élite délivrée par le M.I.T. et celui d’une optimisation de premier ordre. Il ne faut pas se fier à ses cheveux blonds bouclés à la coiffure mi-longue négligée, et à sa barbe de trois jours qui sont l’apanage d’une apparence doucement rebelle, liée à sa profession. Son visage fin et ses yeux bleus à l’intelligence aiguisée sont le résultat d’un séquençage génétique de haut vol qui a forgé ses atouts esthétiques, sa santé parfaite et même son caractère. Il n’est pas un de ces inemployables qui peuplent le ghetto. Surtout s’il peut récupérer son ordinateur portable et ses fichiers de travail. Ce serait le meilleur des tickets d’entrée pour trouver une nouvelle entreprise prête à l’embaucher. Mais pour cela, il doit pénétrer dans la zone active pour les reprendre dans son ancienne maison de Brookline.

    Ça y est, la variante vient d’être initiée !

    Les robots commencent à modifier leur déplacement répétitif pour entamer une manœuvre surprise. Dès que celle-ci sera achevée, ils se remettront à patrouiller comme de coutume.pendant les 45 prochaines minutes. En voyant les machines reprendre leur ronde Xavier écrase mentalement le début d’angoisse qui tente de s’emparer de lui avant de se rapprocher de la clôture. Il a repéré de jour un endroit près d’un buisson ou le treillage métallique semble tordu. Tandis que les gardes s’éloignent, il se faufile vers l’arbuste avec une barre d’acier dans la main.       


    Xavier démarre son ordinateur portable. Il se trouve maintenant dans le sous-sol de sa maison dans une pièce remplie de matériel informatique qu’il a aménagé en laboratoire.

    Une fois passé la clôture il s’était enfoncé, la peur au ventre, dans la zone résidentielle. Après quelques kilomètres parcourus à pied, en évitant les patrouilles, la nuit était bien avancée, lorsqu’il avait rejoint son habitation. Il avait lu l’acte d’expulsion qui était affiché sur sa porte. Selon ce document ses affaires allaient être déménagées dans deux jours. Comme c’est l’habitude dans ce cas, les plus monnayables de ses possessions seront vendues pour payer ses crédits et ses dettes, ne lui laissant plus que quelques frusques qui lui seront livrées au foyer de Newton.

    Il s’était glissé dans le sous-sol en passant par le soupirail en priant intérieurement pour que l’électricité ou son abonnement au service de gardiennage soient interrompus. Une fois dans la pièce, Xavier avait actionné l’interrupteur : pas d’électricité. La batterie du système d’alarme ne pouvant pas fonctionner sans électricité pendant plus de 24 heures, il savait que son effraction ne serait pas signalée. Mais l’absence d’énergie allait lui poser un autre problème. Sans énergie, impossible de faire marcher ses ordinateurs ou se brancher sur satelnet.

    Par chance Xavier légèrement paranoïaque ne faisait pas totalement confiance à la Boston Electric. Il possédait un onduleur et une pile à hydrogène pour garantir que son installation puisse fonctionner malgré des coupures d’électricité toujours plus fréquentes en ces temps de dérèglement climatique. Une fois la pile à combustible enclenchée, les multiples voyants colorés de son laboratoire s’étaient mis à briller et clignoter les uns après les autres, accompagnés du bruit des diverses ventilations de ses appareils. Avant de démarrer son portable, Xavier avait éteint les machines qui n’étaient pas indispensables au travail qu’il allait effectuer.

    Xavier devait pénétrer le réseau sécurisé de son ancien employeur pour accéder à ses fichiers personnels. Avant d’allumer à distance l’ordinateur qui doit récupérer les données sur le serveur de la DRC, il pirate les caméras de surveillance du bâtiment pour s’assurer que personne ne se trouve dans la même pièce. Après une brève observation, Xavier se rend compte que personne n’est à proximité de la machine qu’il va démarrer.

    Une demi-heure plus tard, la première étape de son piratage effectuée, il doit attendre quelques minutes que l’ordinateur crypte ses dossiers avant de les lui envoyer. Il en profite pour faire le tour des caméras pour s’assurer que les locaux adjacents sont bien vides lorsqu’il s’aperçoit de la lumière dans le bureau de Steeve Bossman son ancien responsable.

    Il est trois heures du matin, que fait-il encore au travail ?   

    Lorsqu’il essaye d’espionner l’intérieur de la pièce, il se rend compte que quelqu’un a coupé ou couvert la caméra. Comme de l’autre côté la compilation du cryptage est toujours en cours, la curiosité le pousse à essayer de mettre en marche la satelcam de l’ordinateur de son ancien responsable pour voir ce qui se passe.

    Bingo, c’est bien lui ! Beurk, il aurait pu faire traiter cette couperose. De près c’est vraiment immonde. Ses parents ont dû faire des économies sur son optimisation. Mais avec qui, est-il en train de parler ?

    Steeve Bossman est en train de discuter avec quelqu’un situé hors champ. Xavier monte le son pour écouter la conversation. Une intuition lui dit qu’il devrait l’enregistrer. Il y cède en lançant le logiciel adéquat.

    — ...me suis assuré que personne ne puisse remonter jusqu’à nous. Le Cyberpsy qui a réalisé le travail a été conduit à la zone d’urgence de Newton. C’était le spécialiste le plus brillant de notre équipe. Vous ne vous rendez pas compte combien il sera coûteux et difficile à remplacer.  

    Il parle de moi ?

    — Vous savez que vous serez grassement rétribué, répond une voix d’homme. Si vous voulez encore tenter de négocier, j’ai bien peur que vous n’alliez au-devant d’une cuisante désillusion.

    — Non, j’ai bien compris que j’avais atteint des limites qu’il serait dangereux de dépasser. Je voulais juste démontrer que je me suis prêt à faire des sacrifices pour tenir mes engagements. J’espère que vous lui expliquerez que je suis un soutien précieux pour sa politique. Qu’il peut compter sur moi à 100 %.

    — Je lui dirais peut-être, quand vous aurez achevé votre travail. Le chômage c’est une bonne façon de nous débarrasser de lui, mais vous savez que ce n’est pas suffisant. Ce que nous allons faire va garantir le bien-être et la sécurité de nos concitoyens. Mais nous ne sommes pas sûrs que notre démarche sera comprise à court terme. Le temps que la population puisse appréhender le bien-fondé de nos décisions, l’opinion publique pourrait se retourner. À ce moment-là, la police va chercher votre homme pour l’interroger et nous ne pouvons pas nous permettre qu’il puisse parler.

    — Je m’attendais à cette question. Pour l’instant nous ne pouvons rien faire. Tant que les démarches administratives ne seront pas bouclées. Dans quelques jours on lui remettra ses affaires personnelles et il devra se présenter à l’espace emploi. L’agence régionale doit enregistrer ses éventuelles contestations prud’homales et valider son nouveau statut de chômeur. Une disparition aujourd’hui, pourrait enclencher une enquête de police, qui se finirait dans nos bureaux. Mais une fois intégré officiellement parmi les effectifs de la zone d’urgence, un décès subit ne devrait plus intéresser personne. Tout le monde sait que ces endroits sont le théâtre d’une violence quotidienne incontrôlée.

    En se rendant compte que son ancien responsable est en train de signifier qu’il doit mourir, Xavier ne peut s’opposer à la frayeur qui tente de l’envahir.

    Pourtant l’optimisation génétique qui avait été faite en vue de sa naissance devrait normalement supprimer chez lui toute forme de panique. La peur ne sert à rien et vous empêche de réaliser votre potentiel. C’est pour cette raison que ses parents avaient demandé au triturateur de génome qui s’était penché sur son berceau de l’en débarrasser. Malheureusement, ce n’est pas la seule forme de sentiment que Xavier ne peut éprouver. Si, l’absence de ces stimulus intempestifs rendent son esprit parfaitement aiguisé, socialement il est obligé de mimer des attitudes qu’il ne peut comprendre. Dans ce cadre, les relations avec le sexe opposé sont presque impossibles. Ses partenaires s'appercoivent très vite qu’il simule tout de leur liaison. Mais c’est une autre histoire...

    En sentant les doigts glacés de l’angoisse remonter le long de sa colonne vertébrale, Xavier peut se rendre compte que l’instinct de survie est indéniablement plus fort que l’excellence de son capital héréditaire.

    Mais pourquoi, veulent-ils me tuer ? Qu’est-ce que je pourrais dire aux autorités ?

    — Comment allez-vous procéder ? Demande l’inconnu à son ancien patron.

    — On doit tester sur le terrain le travail du Cyberpsy sur les robots de type « P ». Si vous le désignez dans le système Interpol comme terroriste, nous enverrons un de nos bipèdes Xwat armés d’un fusil à longue portée. Bien entendu ses projectiles hypodermiques seront remplacés par leur équivalent mortel. Comme le jour J. Après-tout, il n’est que justice que le Cyberpsy soit le premier à profiter du fruit de son travail.

    — Excellent ! Si le nombre d’unités que vous m’avez promis est fabriqué selon le planning, dans une trentaine de semaines vous recevrez les toxines nécessaires à l’opération. D’ici là l’opinion publique devrait être mûre pour accepter le déploiement de vos machines.

    — Nous serons prêts, comme convenu.

    — Ha ! Une dernière chose, si vous possédez des actions Montesanto Baver, je vous conseille de les vendre très rapidement.

    — Pourquoi ça ?

    — Dans deux jours, elles vont perdre toute leur valeur.

    — Ça a un rapport avec notre opération ?

    — Je ne peux pas vous dire lequel, mais, c’est bien un événement lié à notre affaire. Bien entendu, je compte sur vous pour garder cette information strictement confidentielle. Il ne faudrait pas que le krach boursier se produise avant l’heure.

    — Je vendrais mon portefeuille sans en parler à qui que ce soit. Si mon agent de change m’en demande la raison, je lui dirais que c’est pour provisionner une opération immobilière.

    — Bien, personne ne saura jamais rien de notre rencontre de ce soir, mais vous et moi sommes en train d’écrire l’histoire.

    — C’est vrai ! Il fallait que quelques hommes se lèvent pour assurer la victoire de la raison face au sentimentalisme de l’état providence. Je suis fier d’en faire partie.

    — On se revoit dans quatre mois environ. Je vous contacterais par la voie habituelle.

    — J’attends donc de vos nouvelles. Laissez-moi vous raccompagner, dit l’individu devant la caméra en se levant pour contourner son bureau…

    En entendant ces mots, Xavier se rend compte que les deux hommes vont passer devant l’ordinateur qu’il a piraté pour traiter ses fichiers. L’écran allumé va attirer leur attention, il doit l’éteindre immédiatement. Le cyberpsy tapote rapidement ses instructions sur son clavier en espérant que la soufflerie de la machine en train de travailler sera inaperçue. Il se connecte ensuite à la caméra de la salle pour regarder les deux individus passer et éventuellement essayer de voir qui est l’inconnu. Mais à sa grande surprise, la salle est vide.

    Mais  comment ont-ils disparus ?

    Xavier observe les couloirs et locals alentour passant d’une caméra à l’autre. Aucune trace des visiteurs nocturnes ! La Satelcam de l’ordinateur de Steeve Bossman lui montre une pièce sans lumière. Son occupant semble avoir quitté définitivement le site. Les deux hommes ont utilisé un chemin que Xavier ignore. Et pourtant depuis plus de dix ans qu’il travaille dans cette entreprise, il pensait en connaître chaque recoin.


    Xavier récupère ses fichiers cryptés. Il referme son ordinateur portable et le débranche du réseau électrique de son laboratoire. Il éteint ses machines et met la pile à hydrogène qui lui fournissait le courant hors fonction. Il entasse dans un sac à dos avec son ordinateur, quelques appareils qui pourraient se révéler utiles ou monnayables dans la zone d’urgence et quelques pièces d’habillement. Cela fait plusieurs jours qu’il porte les vêtements qu’il avait sur lui quand on l’a arrêté. Avoir un peu de rechange devrait améliorer sensiblement ses conditions de vie.

    C’est au moment ou il va se glisser par le soupirail vers l’extérieur de sa maison que Xavier est victime d’un trou noir. Sa conscience le quitte subitement, pour ne lui revenir que le lendemain matin, lorsqu’il se réveille dans un lieu inconnu...    

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Elijaah Lebaron ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0